Alors que Nicolas Sarkozy, en visite récemment à Bagdad se félicitait que l’Irak sorte de « l’ornière et de l’isolement », les chrétiens irakiens, eux, continuent à fuir leur pays. Seule la Syrie les accueille encore.
Les élections provinciales en Irak se sont déroulées (presque) dans le calme. En janvier 2009, il y a eu entre trois et quatre fois moins de civils tués que l’année précédente. Seulement 138 morts. Le Premier ministre irakien, le chiite Nouri Al- Maliki sort grand vainqueur du scrutin. Après Barack Obama, Nicolas Sarkozy applaudit « cet ancrage démocratique, cette réconciliation et cette reconstruction ».
Toutefois, en regardant d’un peu plus près, on découvre que les trois provinces kurdes n’ont pas voté en même temps que le reste du pays. Idem pour la région pétrolière de Kirkouk, où rien n’est réglé entre Arabes et Kurdes. Enfin, la minorité chrétienne continue de fuir en masse. Elle ne serait plus que 400 000 en Irak, contre un million avant la première guerre du Golfe (1991).
A Damas, en Syrie, les réfugiés chrétiens irakiens ne se sont pas installés dans les mêmes quartiers que leurs compatriotes musulmans, sunnites ou chiites. Ils ont choisi Jaramana, une banlieue déshéritée de la capitale syrienne, aux ruelles encombrées de voitures et de tas d’ordures. 16 heures, une petite trentaine de fidèles se pressent dans l’église du couvent Ibrahim Al-Khalil, dépendant du patriarcat grec melkite catholique. « Seuls les Irakiens assistent à cet office, car la messe est dite en assyrien », explique Daniel, qui fait fonction de diacre.
A 17 heures, la messe est dite en arabe pour les chrétiens syriens. Daniel, originaire de Bagdad, est spécialiste en électricité. Il travaillait sur les chantiers. Il y a quatre mois, il a abandonné précipitamment sa maison et s’est réfugié en Syrie. « Des islamistes ont sonné chez moi à 7 heures du matin en me menaçant de me tuer si je ne me convertissais pas à l’islam. Personne ne protège les chrétiens en Irak, ni le gouvernement, ni les Américains », lâche ce petit homme souriant.
Sur ses huit enfants, sept ont déjà fui l’Irak. Seule l’une de ses filles, mariée, reste domiciliée au Kurdistan irakien. Un fils est établi au Canada, un autre de ses enfants en Suède. Ils le soutiennent pour payer son minuscule appartement à Jaramana. En quelques mois, le loyer est passé de 25 à 200 dollars par mois. « Le chrétien qui occupait ce logement avant moi a réussi à obtenir un visa pour l’Australie », lâche Daniel. Lui aussi n’a qu’un espoir, partir, partir très loin.
En attendant ce “Sésame“, Daniel seconde les prêtres du couvent Ibrahim Al-Khalil. « Je remercie les Syriens. Il n’y a plus qu’eux qui nous accueillent », ajoute-t-il. Poussés par la sauvagerie de la guerre civile, deux millions d’Irakiens ont fui leur pays. La plupart se sont réfugiés dans les pays voisins, Jordanie (750 000 réfugiés, dont 30 000 chrétiens) et Syrie (1,5 million d’Irakiens, dont 100 000 chrétiens). Amman n’accueille plus que les Irakiens fortunés, au compte-goutte. Jusqu’en septembre 2008, Damas a laissé ses frontières ouvertes, au nom de la solidarité arabe. Mais 1,5 million de bouches supplémentaires à nourrir, c’est plus que ne peut supporter le régime du président Bachar Al-Assad.
Dorénavant, les réfugiés irakiens ne bénéficient plus que d’un permis, valable trois mois. Ils sont contraints de repasser la frontière (et donc de retourner en Irak, puis de revenir en Syrie) pour le faire renouveler. Non seulement leurs conditions risquent de devenir de plus en plus précaires, mais ils n’ont plus guère d’espoir d’être accueillis en Europe, en Amérique du Nord ou en Australie.
Ils ont souvent la cinquantaine, peu de diplômes et ne parlent guère les langues étrangères. Les Etats-Unis, par exemple, n’accordent que 15 000 visas par an aux Irakiens qui fuient la guerre. Le bon déroulement des élections provinciales, et la perspective d’un désengagement des troupes américaines, ne devraient pas inciter Barack Obama à ouvrir plus largement ses frontières.
Pour Mgr Jean Sleiman, archevêque de Bagdad, les chrétiens d’Irak n’ont plus le choix qu’entre la “dhimmitude“ (protection contre soumission selon la loi musulmane) et l’exil. Depuis l’intervention américaine, ils sont perçus par les musulmans comme des croisés. « C’est une impression générale dans le monde musulman. L’Occident est chrétien, donc les chrétiens sont occidentaux. C’est une erreur magistrale ! Les chrétiens d’Irak ont été chrétiens avant les autres. Nous avons des racines historiques », rappelle Monseigneur Jean Sleiman (*).
La tradition attribue l’évangélisation de la Mésopotamie à Saint-Thomas. En réalité, l’introduction du christianisme remonterait plutôt au début du IIe siècle, soit plusieurs siècles avant l’arrivée de l’islam. Elle serait l’œuvre de missionnaires venus de Palestine.
(*) Mgr Jean Sleiman : « Seul l’amour sauvera l’humanité », L’Echo magazine, 25 décembre 2008.
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