L’Iran s’est économisé une révolution. Les mollah gardent la main et le turban est plus que jamais à la mode à Téhéran. Analyse d’une crise encore loin d’un sursaut démocratique du régime en place.
Le Guide suprême, Ali Khamenei, a sonné la fin de la récréation en Iran. Ahmadinejad est déclaré vainqueur et les Iraniens sont priés de ne pas céder aux sirènes des agents de l’étranger qui ont tout fait pour déstabiliser la République islamique. « Définitive et absolue », la victoire du président Ahmadinejad est nette et sans bavure pour le premier des Ayatollahs. Gare à ceux qui oseront encore défier la toute puissance du Guide. Bakchich revient sur une semaine où le fantasme s’est souvent substitué à la réalité.
Dès la nuit du dimanche 15 au lundi 16 juin, le régime a montré les dents. Ayant en mémoire la révolte étudiante de 1999, qui s’était soldée par une terrible répression (17 morts et des centaines de blessés et embastillés), les nervis du régime (Bassidji et Pasdarans) ont investi la Cité universitaire de Téhéran et ont procédé à une répression préventive. Bilan : au moins trois morts et des dizaines de blessés. La journée du lendemain se solda par au moins 7 morts et durant toute la semaine les forces de répression n’ont pas démérité : arrestations de dizaines de leaders « modérés », visites chez les militants du camp perdant et leurs familles, tabassages et un total de 35 morts d’après les constatations de sources locales. Les informations sont arrivées à doses homéopathiques mais celles qui nous parvenaient confirmaient une chose : les durs du régime gardaient la main.
Mir Hossein Moussavi s’est fait déborder par sa base lundi 15 avec la monstrueuse manifestation de Téhéran (plus d’un million de personnes). L’appel lancé le 16 juin à ses partisans « à ne pas manifester » sonnait la retraite. Il s’expliquait autant par la volonté de ne pas susciter d’affrontements de rue entre supporters des deux camps que de garder le contrôle sur la situation qu’il avait créée en n’admettant pas la victoire « officielle » de son concurrent. Le peuple s’était invité à la fête sans y être convié. Le laisser s’égayer et croire à sa liberté d’exprimer massivement son mécontentement n’est pas vraiment dans les habitudes locales.
Si certains (surtout parmi nos confrères) se sont un peu emballés en parlant de « révolution », les langues et plumes pressées ont eu tôt fait de réviser leurs ambitions pour la liberté en Iran à la baisse. Un processus révolutionnaire présuppose que plusieurs conditions soient réunies. Des conditions subjectives : un peuple mûr pour le changement et prêt à prendre les armes pour l’imposer. Des conditions objectives : un contre pouvoir suffisamment organisé et déterminé pour prendre la place du pouvoir légal. Il n’y a rien de tout cela en Iran. Personne n’est en mesure de renverser le régime et les modérés ne souhaitent qu’une chose : le réformer à la marge et défendre la République islamique.
Mahmoud Ahmadinejad, sûr de sa force et du soutien du Guide Ali Khamenei, n’a pas ajourné son voyage officiel en Russie en début de semaine et n’a pas pris la peine de faire allusion à la situation de son pays dans son discours d’Ekaterinbourg, indiquant par là qu’il était sûr de sa légitimité et confiant dans la suite des évènements. Le pouvoir iranien s’est permis de convoquer l’ambassadeur de la République tchèque, qui préside actuellement l’Union européenne, pour indiquer aux pays qui eurent l’outrecuidance de « s’inquiéter » de la situation en Iran que les affaires intérieures à l’Iran regardent les Mollahs, et juste les Mollahs.
Le régime iranien, en bon communicant, a amusé la galerie en annonçant lundi soir qu’il serait procédé à un recomptage partiel des votes par le Conseil de discernement, histoire de calmer le jeu. Les comptes refaits, le Guide suprême a annoncé dans sa très attendue prière de vendredi matin le nom du vainqueur. Pas de changement au tableau. « Définitive et absolue » est la victoire. Il faut dire qu’avec un taux de participation qui est allé dans certains bureaux de vote jusqu’à 140%, la démocratie iranienne peut bomber le torse devant la si virulente Union européenne, qui a plafonné à un taux de 40% lors des élections au Parlement de Strasbourg.
Cette crise majeure n’est pas terminée. Elle a révélé un conflit qui se déroule depuis longtemps dans les alcôves du pouvoir à Téhéran et a connu son apogée cette semaine. Les « modérés », terme galvaudé à l’extrême, leur « modération » étant toute relative et aucun occidental ne voudrait de ces « modérés » au pouvoir chez eux, représentent la branche des mollahs qui souhaitent lâcher un peu de lest sur l’application de la loi islamique et avoir des relations plus aimables avec l’occident pour permettre à leur pays de ne plus être victimes de l’embargo -illégal- dont il est l’objet. Cela dit, il ne faut pas surestimer les contradictions d’un régime dont les membres, « modérés » ou non, ont surtout pour souci la survie du régime. En dernière analyse, les conflits entre barbus se règlent en famille. Selon une de nos sources très au courant des bisbilles entre mollahs, le très corrompu Rafsandjani se serait ainsi vu proposer d’intégrer un cabinet en échange de l’effacement de son ardoise de pots de vin. Il est impossible de savoir si cela va se terminer par un accord entre les factions islamistes ou une purge, mais on peut déjà dire que la guerre de succession à Ali Khamenei est lancée, l’hypothèse de sa destitution n’étant pas à écarter, quoique peu probable.
Il en est un qui ne s’est pas trompé d’analyse : Barack Obama. Bien conscient que braquer un pouvoir iranien tenu par la frange la plus fondamentaliste des fils de la révolution est la dernière chose à faire s’il veut réussir son projet d’atténuer -un peu- les tensions au Moyen-Orient, ses déclarations sont restées très mesurées. Tout juste a-t-il déclaré mardi aux Iraniens qu’il fallait qu’ils sachent que « le monde les regardait » et que « la voix du peuple devait être entendue », tout en précisant qu’il ne serait « pas productif » pour les États-Unis de se mêler de la politique iranienne.
Dans la droite ligne de son discours du Caire, le président américain continue à croire dans les vertus de sa politique de « main tendue » envers le « monde musulman » en général et l’Iran en particulier. Il sait que sans la bonne volonté de Téhéran, toute tentative de calmer le jeu au Moyen-Orient est vouée à l’échec. Les positions de principes, c’est bon pour les puissances mineures. Les États-Unis ont engagé le processus de retrait des troupes US du sol irakien et tentent de pacifier l’Afghanistan, ce n’est pas le moment de se fâcher davantage avec ceux qui sont susceptibles d’être le plus nuisible à leurs efforts. Il sait également que le pouvoir israélien, entre les mains des tenants d’une ligne « dure » à l’égard de tout ce qui les entoure, doit comprendre que la ligne de l’empire a changé : Jérusalem est priée de ne pas gêner les États-Unis dans sa volonté de construire un dialogue avec l’Iran. L’heure n’est plus au bombardement des sites d’enrichissement nucléaire ni à la confrontation directe avec les mollahs. Place au retour de l’internationalisme wilsonien version Obama.
En toile de fond se joue le rendez-vous historique entre les deux pays, qu’Obama souhaite avoir le temps de mener sous sa présidence : le grand "bargain", la discussion globale qui doit aboutir au retour de relations diplomatiques entre les deux pays et à la reconnaissance par l’Amérique de l’Iran islamique comme puissance régionale.
Évitons cependant de verser dans la prospective aléatoire sur l’Iran et les développements futurs de cette crise car l’histoire l’a montré à de multiples reprises : la seule chose prévisible au Moyen-Orient, c’est que rien n’y est prévisible. De la réussite ou l’échec des manifestations prévues aujourd’hui à l’appel des trois candidats « modérés » dépend l’avenir d’un mouvement dont personne ne peut prévoir l’issu.
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Cher Monsieur, c’est parce que l’Iran est une dictature. Alors évidemment, vous allez me dire que dans une dictature, il n’y a pas d’élection (et qu’il n’est donc pas nécessaire de tricher), que dans une dictature, il y a des (dizaines de) millions de morts lors des manifestations réprimées par un pouvoir avide du sang du peuple.
Vous avez donc tort Monsieur. Si l’Iran était une démocratie, ses dirigeants auraient le droit de tricher lors des élections, ils auraient le droit de bombrader leur population avec des armes interdites par les conventions de Genève et ils seraient même soutenus par la CIA lorsque l’aviation militaire locale bombarderait le palais présidentiel avant d’enfermer, de torturer et d’assassiner des milliers de personnes, enfants et religieuses compris.
Vous n’evoquez pas une question pendante : pourquoi les médias européens ( et français en particilier ) ont-ils autant mis d’huile sur le feu ? a mon sens bien plus que CNN,espère-t-il une agression israelienne contre l-Iran ? la voudrait-il ? On aimerait bien quelque lumière de votre part !!
MERCI