Nicolas Sarkozy a débuté aujourd’hui une visite en Syrie que l’Elysée qualifie de « politique ». De son côté, le président syrien Bachar Al-Assad soutient mordicus la Russie dans son conflit avec la Géorgie. Aïe ! Réintégrer Damas dans le giron de la communauté internationale n’est décidément pas chose facile.
Dépêché en Syrie le 25 août pour préparer la visite que Nicolas Sarkozy entame aujourd’hui à Damas, Bernard Kouchner avait encore dû mouiller sa chemise pour arracher in extremis au Président Bachar Al-Assad la bonne nouvelle : la reprise des relations diplomatiques avec le Liban, qui commençait à tarder, sera bien concrétisée d’ici à la « fin 2008 ». Fort de cette « preuve » que le dialogue « nécessaire » avec la Syrie sait produire des résultats, Nicolas Sarkozy, soulagé, a pu défendre le lendemain devant les Ambassadeurs français réunis à Paris le rapprochement franco-syrien et annoncer les dates de sa visite. Celle-ci s’inscrit dans la continuité de celle du Président syrien à Paris, le 13 juillet dernier. Le cercle vertueux de la « rédemption » appliqué à la Libye puis maintenant à la Syrie, commençant à porter ses fruits, s’est-il félicité, la France a raison de continuer à soutenir la Syrie dans ses efforts pour retrouver toute sa place dans la communauté internationale. Et assumer sa politique de la main tendue, certes « plus risquée, mais plus prometteuse ».
Les poids lourds du CAC 40 ne sont pas mécontents. Peu importe si l’Union pour la Méditerranée (UPM) retombe comme un soufflé dans quelques mois. A leurs yeux, en lançant l’UPM le 14 juillet dernier, Nicolas Sarkozy a eu le mérite de renouer les relations avec la Syrie de Bachar Al-Assad. Et de remettre accessoirement les boîtes françaises sur le chemin de Damas. Signe d’un climat propice aux affaires, un membre de l’ambassade de Syrie à Paris arpentait d’ailleurs les travées de l’université d’été du Medef à Palaiseau, juste avant le déplacement officiel de Sarkozy en Syrie les 3 et 4 septembre. « Ce n’est pas un voyage économique, c’est une visite politique » : répété en chœur par la diplomatie française et son homologue syrienne, ce leitmotiv paraît donc tout relatif. Histoire peut-être de ne pas froisser les autres Etats européens…
Car sous sa casquette de président du Conseil européen, qui recouvre celle de chef d’Etat français, Nicolas Sarkozy en a caché une troisième. Celle de VRP 100 % hexagonal. Même si l’Elysée prévient qu’il y aura peu de contrats à ramasser, le président emmène tout de même une poignée de grands patrons tricolores. Comme celui de Total, Christophe de Margerie, « le seul de tous ceux du CAC 40 que Laurence Parisot, la présidente du Medef traite comme un ministre », note avec amusement un observateur avisé. Le pétrolier moustachu devrait user de son charme à Damas pour obtenir l’extension après 2011 du permis d’extraire du brut dans l’est de la Syrie (29 000 barils par jour actuellement).
Si Anne Lauvergeon n’est pas mentionnée parmi les participantes, Areva espère toujours aboutir à des projets de nucléaire civil en Syrie. Parmi les boîtes qui visent des contrats à plus ou moins long terme, on trouve Vinci ( pour moderniser l’aéroport de Damas), Lafarge (qui négocie la construction de deux cimenteries), voire EADS/Airbus à en croire Reuters. Le hic, souligne l’agence de presse, c’est que Washington, avec qui EADS négocie le contrat géant d’avions ravitailleurs risque de se fâcher. Les Etats-Unis ont en effet interdit l’exportation vers la Syrie d’un certain nombre de marchandises.
La délégation sarkozienne réserve aussi une vraie sensation. Non pas parce qu’elle compte dans ses rangs un chiraquien pur sucre en la personne de Jacques Saadé, président de CMA-CGM, devenu le troisième armateur mondial pour les conteneurs. Mais plutôt parce que ce franco-libanais – dont la holding familiale est basée à Beyrouth – est un proche, tout comme Chirac, de la famille Hariri. Inutile de rappeler que la Syrie est soupçonnée d’avoir fait assassiner en 2005 le Premier ministre libanais Rafic Hariri… Mais l’heure serait aux grandes réconciliations au nom du business. Dans ce qui a filtré officiellement, Saadé espère implanter des activités sur le port syrien de Lattaquieh.
Toujours dans les transports, un projet pourrait faire surface au bénéfice, (qui sait ?) des bétépistes (du BTP) tricolores et d’Alstom, entreprise chouchou de Sarkozy. Le régime d’Al-Assad caresse en effet l’idée d’un métro à Damas…
Bon début, l’an passé, une boîte d’ingénierie française, filiale de la SNCF et de la RATP, a d’ailleurs obtenu de mener des études en partenariat avec un bureau d’études libanais. Objectif : déterminer le tracé de la future ligne « verte », signe qu’il pourrait y en avoir par la suite une rouge, une bleue… En espérant, si la diplomatie française fait des trésors, qu’il s’agisse de projets que les Américains ou les Chinois n’auront pas…
L’auditoire du jour n’est pas dupe. Des promesses pour demain, il retient surtout le risque du moment. Car Nicolas Sarkozy s’est bien gardé d’évoquer ce que tous les représentants de la diplomatie française ont dans la tête en l’écoutant : l’entrée fracassante de la Syrie sur le dossier géorgien, qui risque bien de plomber les fameuses « nouvelles avancées » de la Syrie vantées par Nicolas Sarkozy et qu’il est censé valider à Damas.
Au grand dam des pays occidentaux — et de la France qui assure la Présidence européenne — la Syrie de Bachar a décidé, (quasi) seule contre tous, de se ranger du côté de la Russie et soutenu ses opérations militaires massives sur le territoire de son voisin. En visite à Moscou le 21 août, le Président syrien a en effet qualifié l’offensive de « réponse à la provocation géorgienne » sur l’Ossétie du Sud et fustigé les réactions occidentales visant à « isoler la Russie ». Allant même jusqu’à établir un parallèle entre l’attitude de Moscou envers la Géorgie à celle de Damas à l’égard du Liban ! Très en forme, l’ami Bachar a même évoqué le rôle bénéfique que Moscou peut aujourd’hui jouer pour « contrer l’occident et l’influence israélienne au Moyen Orient », dénonçant la main américaine et le soutien opérationnel apporté par Israël à la Géorgie dans cette opération.
Pour enfoncer le clou, surfant sur l’implication de son ennemi historique, Israël dans un complot visant son ami de toujours, la Russie, Bachar a demandé au Président Dimitri Medvedev de fournir à son pays des missiles nouveau modèle de défense anti-aérienne capables notamment de contrer les survols israéliens intempestifs sur son territoire…. De quoi faire bondir les Israéliens, qui ont encore en travers de la gorge les missiles russes antichars achetés par la Syrie mais envoyés par le Hezbollah sur leurs blindés pendant la guerre au Liban à l’été 2006…
Très fâché, Tel Aviv vient de décider de suspendre « temporairement » les négociations officiellement engagées avec la Syrie via la Turquie, où devait se tenir le 4 septembre une nouvelle rencontre dans ce cadre. Pas sympa pour Nicolas Sarkozy, qui se flattait en juillet dernier d’avoir pu obtenir de la Syrie la promesse d’un co-parrainage de la France aux côtés des Etats-Unis, pour de futures négociations israélo-syriennes directes à venir… Encore une autre nouvelle « avancée » que les Présidents syriens, turcs et français, et l’incontournable Emir du Qatar réunis en sommet ce 4 septembre auront à confirmer à Damas.
Avec les Européens qui l’attendent au tournant sur le dossier russe, et une partie de la classe politique française sur son coup de cœur syrien, Nicolas Sarkozy va devoir lui aussi mouiller la chemise. L’ami Bachar est décidément difficile à gérer…
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Bien curieux ce commentaire de Lou.
En quoi le fait qu’Israel régulièrement cible de "déclarations d’amour tonitruantes" de la part de l’Iran, avec lequel Israel n’a aucun contentieux, chercherait, si cette info est exacte, à prendre des mesures lui permettant d’etre dans une position militaire adéquate, pourrait elle etre qualifiée de et je cite : " d’intrigues sans nombre des axes militaro-industriels USA-Israël" ?
Un pays menacé n’aurait-il pas le droit, si ce n’est le devoir, envers ses propres citoyens, d’assurer sa défense ?
Le dernier pays en date, à avoir remis sa sécurité et par la meme son existence, entre les mains "prometteuses" des démocraties, fut la Tchécoslovaquie en 1938, avec les conséquences qui en découlèrent, pour elle-meme et par la suite pour le reste du monde.
Comme le disait fort justement, Feu Golda Meir, je prèfère etre abreuvée de critiques et d’insultes, que de condolèances.
Abon entendeur salut…
Borchgrave nous dit qu’Israël a (avait ?) des bases en Géorgie pour attaquer l’Iran
"Arnaud de Borchgrave explique que la coopération des Israéliens avec les Géorgiens, notamment la formation des troupes géorgiennes, était payée par la Géorgie par la mise à disposition pour Israël de deux bases aériennes en Géorgie, à partir desquelles pourrait, ou aurait pu être lancée une attaque contre l’Iran (la proximité de la Géorgie de l’Iran rendrait en effet très avantageuse la disposition de ces bases en cas d’attaque israélienne de l’Iran). (…) Si les révélations de Borchgrave sont confirmées, ou si on leur accorde quelque crédit, comme c’est plus probable, la vision réaliste de la crise géorgienne prend une autre dimension. Elle propose une vision d’une affaire géorgienne inextricablement liée aux intrigues sans nombre des axes militaro-industriels USA-Israël, avec implication plus ou moins assurée dans un possible conflit avec l’Iran. La question de l’adhésion de la Géorgie à l’OTAN, et à l’UE pendant qu’on y est, prend une allure cocasse et grandguignolesque à force d’intrigues et de complications absolument incontrôlables. La rhétorique vertueuse de l’“Ouest” à l’égard de la Géorgie va être de plus en plus difficile à soutenir et la diplomatie européenne de plus en plus confrontée aux combines déstructurantes des groupes plus ou moins contrôlés aux USA et en Israël.
En attendant, l’usage des bases géorgiennes par Israël, si bases il y a effectivement, devient, avec la présence russe, complètement aléatoire. Peut-être, un jour pas si lointain, certains Européens ne seront pas mécontents qu’il y ait des troupes russes maintenues sur les bordures du territoire géorgien ; et la rhétorique russe anti-Saakachvili acquiert dans ce cas d’autant plus de poids. Certaines explications secrètes entre la Russie et Israël, – Israël ayant beaucoup d’intérêts à ne pas se brouiller avec la Russie, qui pourrait armer efficacement l’Iran et la Syrie, – ne doivent pas manquer de piquant. "