Corruption, abus de biens sociaux, chantages, menaces, extorsions et blanchiments : le procès du foot belge sera XL. Manque le fuyant Monsieur YE, recherché par toutes les polices.
C’est lundi 30 novembre 2010 que se joue devant la chambre du conseil du tribunal correctionnel de Bruxelles, l’avant-dernier acte de l’affaire dite des matchs truqués du championnat de football belge.
Au terme d’une instruction interminable ouverte par Sylvania Verstrekken qui y a laissé des forces, et refermée par son collègue Jean Coumans, plus énergique, le parquet fédéral va plaider le renvoi devant les juges de 31 individus issus de toutes les « familles » du foot régional, et d’une nuée de sociétés aux gestions très créatives…
Lorsqu’elle a éclaté au cours de la saison 2004-2005, l’affaire semblait à l’image de la Jupiler League, la première division locale : des besogneux d’un football professionnel de seconde zone où les salaires se font parfois désirer, qui se seraient laissés corrompre pour traîner les crampons lors de certaines rencontres tout en arrondissant leurs fins de mois, modestes en regard des revenus pharaoniques perçus sous d’autres cieux par le gratin du foot-business.
Le tout, au plus grand bénéfice d’un réseau clandestin d’inspiration asiatique, de paris sur des matchs dont l’issue ne laissait ainsi aucune place à la détestable incertitude du sport.
Apparence trompeuse. Le travail de titan déployé par les magistrats instructeurs à partir des centaines d’écoutes téléphoniques et de géo-localisations des téléphones cellulaires des protagonistes et des résultats de commissions rogatoires internationales lancées tous azimuts, a mis à jour l’inimaginable : un précis d’arnaques conçues autour du foot, compacté dans 31 cartons d’archives qui expliquent les surprenants chefs d’inculpation des prévenus : corruption active et passive bien sûr ; mais aussi et surtout abus de biens sociaux, participation à une organisation criminelle, chantages, menaces, extorsions et blanchiments en tous genres.
Bref, des performances n’ayant rien à envier à celles des mafias des pays de l’Est, actuellement au top niveau mondial en termes de benchmarking crapuleux.
C’est donc à la chambre du conseil que revient la redoutable tâche d’extraire de la longue liste de ceux qui vont comparaître devant la juridiction correctionnelle bruxelloise de 1ère instance, les quelques malheureux innocents à tête de bavure, footeux de leur état, happés dans la tourmente par malchance ou maladresse, et ceux contre lesquels les charges sont insuffisantes. Le box des accusés risque tout de même d’accueillir du beau linge : joueurs anonymes et plus connus, entraîneurs et directeurs sportifs, agents…L’ ex-président de La Louvière Filippo Gaone et l’avocat Laurent Denis seront également de la partie parmi les usual suspects.
Manque à l’appel, le chef d’orchestre présumé de l’organisation ; un Chinois de 45 ans au visage d’adolescent androgyne : YE Zheyun, le fameux « Chinois » aussi craint et insaisissable que Kayzer Söze malgré les nombreux avis de recherche lancés par Interpol depuis plusieurs années. Une situation d’autant plus rageante pour la justice belge que le garçon s’était fait pincer par la maréchaussée bruxelloise à son hôtel, un peu par hasard dès le 31 mai 2005.
Un cafouillage juridico-policier digne de Groland a conduit à sa relaxe et à sa disparition définitive quelques jours plus tard. Une rumeur tenace le tient même pour quasiment extralucide. Elle affirme qu’il aurait deviné l’improbable scénario de la finale de l’édition 2005 de la Champion’s League à Istanbul le mercredi 25 mai entre Liverpool et l’AC Milan. Il aurait parié sur le bon score à la fin de la première mi-temps (0-3) et du temps réglementaire (3-3, les Anglais égalisant en 6 minutes !), et aurait pris le temps d’encaisser ses gains faramineux avant de s’arracher…
Seules les archives des sites de paris en ligne pourraient donner corps à la légende. Muet jusque là, Betfair a pourtant manifesté sa nervosité dès novembre 2005, en constatant le montant singulier des mises sur des matchs a priori aussi captivants que Saint Trond-La Louvière et Cercle de Bruges-Saint Trond….
Toutes les recherches dans les contrées les plus exotiques pour retrouver trace de celui qui a failli faire imploser le football belge et qui, un temps, a fait peser une sérieuse menace sur les championnats européens (des soupçons pèsent encore sur l’issue du Lyon-Metz du 04/03/2006…) sont donc demeurées vaines. Peut être n’ont-elles pas été menées dans la bonne direction.
Car YE Zheyun, né le 13 mars 1965 à Zhejiang, était à Paris comme un poisson dans l’eau depuis juillet 1996.
Avant de sévir balle au pied au Nord de l’Europe, il avait d’ailleurs obtenu sans grande peine un titre de séjour n°930308698 d’une validité de 10 ans, expirant le 10 juillet 2006, délivrée le plus naturellement du monde par la Préfecture de Police de Paris. A l’époque, il avait déclaré résider chez un couple d’amis, les Song Fang, au 29 rue de Belleville dans le 19ème arrondissement.
Le 29 doit être son chiffre porte bonheur. C’est en effet au 29, rue des Pyramides que sera domiciliée l’inénarrable société Sarl Cécilia Bilanci (SIREN 478 565 765) dont il sera un temps salarié.
On le retrouvera un peu plus tard au cœur de la ville lumière, en possession d’un passeport chinois n° P CHN 151130955 qui lui avait été délivré le 9 septembre 2003 par l’ambassade de Chine à Paris.
Recherché par les polices d’une bonne trentaine de pays, il ne renoncera pas à une nouvelle escapade parisienne un brin nostalgique en novembre 2007, pour se ressourcer dans la luxueuse quiétude de l’hôtel Plaza Athénée. Il est vrai sous le nom de Lam Yiu Kui né le 14/10/1974 à Hong Kong, et porteur du passeport de sa Gracieuse Majesté britannique n° 704085073 ; courageux d’accord, mais pas téméraire tout de même.
Les autorités belges qui ont lancé plusieurs commissions rogatoires internationales jusqu’à Anshan, aux confins de la province de Liaoling, ne paraissent pas avoir totalement compris la passion qu’entretient « Le Chinois » pour Lutèce. Et pourtant : lors de son interpellation à la sortie de son hôtel le 31 octobre 2005, il était en possession d’une autre carte de séjour française de dix ans valable jusqu’en 2006, avec cette fois un domicile déclaré au 28, rue de Surmelin dans le 20ème arrondissement.
D’évidence, mieux traité que les romanichels par la Pref’, « le Chinois »…
L’autre document n’a, semble-t-il pas plus aiguisé la curiosité des pandores belges : un document du 24 septembre 2004, établi à son nom et son adresse de Belleville par la douane française, et faisant état de la restitution à l’entreprenant Monsieur YE, d’une somme de 74 000 euros, sans doute confisquée par erreur…
Avec l’humour qu’on leur connaît, les bookmakers londoniens sont bien capables de prendre des paris sur la présence de YE dans le box des accusés à l’ouverture du procès début 2011. Une bonne blague belge en somme…