Longtemps considéré comme le bras droit de Môssieur le Sénateur Charles Pasqua, Jean-Charles Marchiani n’a pas son pareil pour se « taper l’incruste » dans les histoires d’otage et s’attribuer le premier rôle. Petit récit illustré de ses deux plus retentissants exploits, les libérations des otages français au Liban et en Yougoslavie. De l’art et la manière de chaparder les couvertures…
C’est au début du mois de mai 1986 qu’Amad Hedari, sulfureux milliardaire iranien, trafiquant d’armes, prend contact avec la rédaction en chef de Paris-Match. Il affirme : « Être en mesure d’aider la France à récupérer ses otages du Liban ». Chargé du dossier, je rencontre longuement ce personnage, assez séduisant parlant un français impeccable, d’abord dans son bureau des Champs-Élysées puis dans sa villa de Cannes, aujourd’hui propriété d’un frère Ben Laden. Hedari m’affirme : « Connaître au Liban des personnalités en contact avec les organisations chiites responsables des prises d’otages ». Je lui demande logiquement de m’en fournir la preuve. Et m’étonne qu’il s’adresse à un journal, plutôt qu’à un ministère, pour faire valoir ses atouts ?
L’Iranien m’explique alors : « Par le biais de mon avocat, un gaulliste célèbre, je suis entré en relations avec le cabinet de Charles Pasqua, le nouveau ministre de l’Intérieur. J’ai proposé mes services. Mais un représentant du ministre m’a informé que ce dossier était « verrouillé » par une équipe qui ne voulait pas d’intrus dans sa démarche. Je me suis étonné de ce refus, puis j’ai compris que, navigant entre la France et le Moyen-orient, quelques hommes d’affaires occupaient ce terrain de la libération des otages, avec la jalousie de la poule qui couve. Attendant le moment venu une récompense… ».
Amad Hedari n’ayant guère le profil d’un philanthrope, je découvre assez vite que, lui aussi, « attend une récompense » : que le fisc efface une somme de 42 milliards de francs qu’il lui réclame comme taxe sur tous ses trafics d’armes, les réels et les supposés. Une dizaine de jours après ces rencontres, l’Iranien me confie une page d’un cahier d’écolier libanais, prévu pour une écriture de droite à gauche. Elle porte les signatures de trois otages. Celles-ci sont authentifiées par des collaborateurs de Robert Pandraud, « co-ministre de l’Intérieur », des fonctionnaires qui supportent assez mal le poids et l’exclusivité de « réseau Pasqua » dans cette affaire d’État, celle des otages. Quelques jours plus tard, « la filière Hedari » continuant son travail de fourmi, on me conseille d’aller à Chypre pour « un nouveau contact ». Contact peu clair qui me permet simplement de comprendre que l’un des portes paroles du mouvement chiite libanais Amal joue un rôle clé dans ce terrible jeu d’échecs. En rentrant à Paris je constate que, venu de l’Intérieur, Match a reçu le pressant conseil d’interrompre son enquête : « La vie des otages étant mise en cause ».
Face au risque, à la possible maladresse, nous ne pouvons qu’adopter la discrétion. Toutefois, ce refus de « la cellule otages » de l’Intérieur de fédérer toutes les « bonnes volontés », son désir d’exclusivité, fondé sur le rôle capital joué par un groupe d’hommes d’affaires, plutôt que de choisir les espions de la DGSE ou des diplomates, ce qui serait logique en République, masque une grosse arnaque. Le nom du vrai libérateur et honnête homme doit être tu. Et le butin de la rançon partagé entre quelques amis sûrs. C’est très bizarrement à Dakar que je découvre le véritable « libérateur » des otages français. Il est chiite, libanais. On l’appelle respectueusement « Cheik », et le Cheik Zein est la véritable autorité de la communauté chiite expatriée du Liban pour tenter sa chance, ou la fortune, en Afrique. Cette communauté, riche, qui se comporte parfois comme un État dans l’État, pose parfois des problèmes au président sénégalais Abou Diouf. Ce dernier convoque le Cheik Zein qui, au détour de la conversation lui lance : « Lors de mon dernier séjour à Beyrouth, j’ai croisé quelques-uns de mes anciens disciples qui m’ont confié être les responsables des enlèvements de Français… ».
Le président Diouf alerte le premier ministre Jacques Chirac. Ce dernier, en guise d’ambassade, lui expédie Charles Pasqua, responsable du dossier otages, une affaire extérieure qui se règle par l’Intérieur… À Dakar, Charles Pasqua (par discrétion ?), qui exige de dormir au Palais présidentiel, rencontre le Cheik Zein, qui reçoit mission de libérer nos compatriotes. Puis Pasqua et son jet quittent Dakar pour le Cameroun où le ministre rencontrera son ami, le président M’Biya.
Le 3 mai 1988, cinq jours avant le second tour des élections présidentielles qui vont voir une nouvelle victoire de François Mitterrand, le Cheik Zein est à Beyrouth. Il a mené sa mission à bien, et c’est lui qui conduit la voiture qui accompagne Fontaine, Carton et Kauffmann à l’hôtel Summerland les otages libérés. Quand un costaud stoppe la voiture, en éjecte le Cheik : un membre de l’équipe Marchiani.
Rentré à Dakar, le Cheik est surpris par les visites de plus en plus pressentes d’émissaires venus de Beyrouth : « Cheik, nous n’avons pas reçu l’argent que l’on nous avait promis. C’est vous le garant… ». Le Cheik a peur et s’en ouvre au président Diouf : « Les promesses faites aux ravisseurs n’ont pas été tenues, ma vie est menacée ». Lors d’un sommet africain, Diouf prend François Mitterrand à part pour lui faire part des doléances de Zein. Impérial, comme à l’accoutumé, Mitterrand promet « que la continuité de l’État étant la règle, les promesses anciennes seront honorées. Gilles Ménage prendra contact… ». Mais Ménage, si jamais l’ordre lui a été donné, ne contactera jamais le Cheik Zein. Homme important laissé dans la peur et dans l’ombre. Des fonds secrets débloqués, mais invérifiables, ceux aussi investis par des hommes d’affaires « amis de la France », pas un centime ne serait donc arrivé jusqu’à Imad Mugnieh, le chef des preneurs des ravisseurs du Hezbollah. À titre de « blessé de guerre », celle qui oppose Israël et la Palestine, j’ai eu récemment le « privilège » de rencontrer l’un de ces preneurs d’otages. Son nom figure une liste publiée par les services américains, celle des terroristes les plus recherchés au monde. Ce personnage, forcément discret, m’a fait part de la colère qui l’habite encore, celle de ne pas avoir reçu « son dû » de la France pour la libération des otages.
En septembre 1999, alors que ces sinistres avatars libanais étaient périmés, c’est à Belgrade, au cours d’un entretien, que le nom de Marchiani « le libérateur d’otages » ressurgit. En face de moi, le général Perisic, ancien chef d’état-major de l’armée Yougoslave me raconte comment il a démissionné des troupes de Milosevic, comment il va fonder un parti politique « démocratique ». Lors de l’entretien Perisic me dit : « En 1995, j’ai obtenu de Mladic la libération de vos deux pilotes abattus en Bosnie. Ce geste a permis d’engager, après Dayton, les pourparlers de paix à Paris. Posez la question au général Jean Douin, alors patron de vos armées ! C’est lui qui est venu chercher les deux pilotes. En remerciement, en dépit de l’embargo, il nous a envoyé une équipe d’as français pour participer à notre meeting aérien. » Ce général austère, qui a le privilège de n’être pas recherché par la Tribunal de La Haye me révèle que, dans cette libération, il n’a jamais entendu parler de Jean-Charles Marchiani, ou de Arcadi Gaydamak, présenté par l’ancien préfet du Var, comme « l’ homme clé » de cette nouvelle affaire d’otages… Un Gaydamak mis en examen à Paris dans l’affaire de vente d’armes entre la Russie et l’Angola. Actuellement en fuite en Israël, après avoir été décoré de l’Ordre national du mérite, à Toulon, par le préfet Marchiani.
Puisqu’il est possible que l’importance du rôle de Marchiani ait échappé à la sagacité du général Perisic, j’ai interrogé le général Pierre Gallois, lui aussi mis à contribution par l’État, pour obtenir la libération de nos deux pilotes (voir encadré ci-dessous).
Paris-Match : Qui vous a mandaté pour aller en Yougoslavie ?
Pierre Gallois : Raymond Nart, le sous-directeur de la DST. Là-bas, j’ai rencontré le général Mladic. Je l’avais eu comme élève à l’école de guerre de Belgrade. J’ai été étonné qu’il m’appelle « Pierre ». Je lui ai tout de suite demandé de nous rendre nos deux pilotes. Il m’a répondu « C’est possible. Mais il faudra que je serre la main d’un grand officier français. Qu’il y ai une cérémonie ’des honneurs’ ». Je lui ai répondu « quelle cérémonie ? Devant deux cercueils ? » Mladic m’a questionné : « quels cercueils ? » Ils sont vivants. C’était une information capitale, puisqu’on les disait morts. Puis Mladic m’a emmené dans son village. M’a montré le résultat des bombardements en me disant : « Janvier (le général patron de la force française en Bosnie), veut ma peau. Ici, il y a eu 80 morts. » Pour regagner Belgrade, il m’a proposé son hélicoptère. Moi qui suis cardiaque, j’économisais sept heures de voiture. Il m’a prévenu « Il faut voler bas. N’oubliez pas que Janvier veut ma peau ». De Belgrade j’ai foncé à Paris, pour rendre compte : « Mladic veut bien rendre les pilotes contre une poignée de main à un officier d’état-major. C’est tout. » J’ai suggéré de confier cette mission au général Schmitt.
P.M. : Vous ignorez tout du rôle joué par Marchiani ou Gaydamak dans cette affaire ?
P.G. : Ça, c’est de la poudre aux yeux, de la foutaise. Ces gens-là ont parlé de « filière russe » pour libérer les pilotes ! Mais pas un Russe ne savait où étaient nos gars. En plus, Mladic était fou de rage contre Moscou qui ne soutenait pas, à son avis, la lutte des Serbes. J’ai confié au juge Courroye ce que je pense de cette apparition de Marchiani et Gaydamak : du bidon.
P.M. : Finalement, qui a libéré les pilotes ?
P.G. : Tout simplement, on a fait comme Mladic l’avait demandé. Ce n’est pas Schmitt, mais le général Douin, le patron de nos armées, qui s’est rendu en Yougoslavie. Il a rencontré Perisic, puis, tous les deux, Mladic. Ça s’est passé tout simplement. Et je ne vois pas pourquoi un type comme Gaydamak a été décoré. C’est une honte. Depuis qu’on décore des types comme ceux-là, je refuse de porter mes médailles. Et je m’étonne que l’on s’étonne. Si tardivement. Sur cette affaire, j’ai publié une plaquette éditée par l’Age d’Homme. C’est du domaine public !
Pour un homme politique, forcément cynique, Jacques Chirac a un défaut : celui de se soucier avec force et sincérité du sort de tout citoyen français mis en danger dans un coin du monde. Et cela, même si l’objet de son souci n’a pas sa carte du RPR. Si je parle de ce travers aussi sûrement, c’est par expérience, pour avoir été, un jour de drame, l’objet de son intérêt. Bien sûr que, Premier ministre sous Mitterrand ou président de la République plus tard, Chirac s’est lourdement investi pour faire libérer les otages du Liban puis nos pilotes de Bosnie. Un témoin de ces affaires secrètes, blessantes parfois, existe. Entre 1986 et 1988 il a été « l’interface » unique entre « l’équipe Pasqua » et Jacques Chirac.
Aujourd’hui, éloigné de la politique par les aléas du temps, il est plein de colère : « Pendant la crise des otages, Jacques Chirac n’a jamais été tenu au courant de la mécanique, des affaires d’arrière-boutique, mais seulement du dossier géopolitique, humain. Puisque la DGSE avait été mise hors circuit, c’est moi qui informait, principalement, le Premier ministre. Nos notes, nos conversations ne portaient jamais sur des histoires d’argent. Affirmer le contraire est insultant pour la France. Si dans le système parallèle mis alors en place, et qui nous semblait être le plus efficace pour obtenir la liberté des nôtres, il y a eu des défaillances, c’est à la justice de l’apprécier. Tout le reste est une calomnie d’État. Comme on dit, un crime d’État ».
Parler de Marchiani sans évoquer Arkadi Gaydamak, c’est un peu séparer Laurel de Hardy. Le désormais fort respectable homme politique israélien, candidat déclaré - et crédible - à la mairie de Jérusalem, a beaucoup appris aux côtés du préfet Boum-Boum. L’affaire des pilotes français en Serbie lui a rapporté une médaille et donné un brevet d’honorabilité. En 1997, la gauche revient au pouvoir et le milliardaire aux multiples passeports se trouve en butte à de sournoises attaques. Le garçon a besoin de redorer son blason. Une chance, en août 1997, 4 membres de l’association Equilibre sont pris en otage en Tchetchénie. Fort de ses liens avec d’ex agents du KGB, toujours attentifs aux soubresauts de l’Asie centrale, Arkadi propose ses services.
Et de Jérusalem Gaydamak n’hésite jamais, à narrer comment « il a servi d’intermédiaire entre la DST et le général Zorine de l’ex KGB pour libérer les quatre otages ». Au passage, cet ami déçu de la France ne manque pas d’égratigner la DGSE, comme il l’a fait dans une interview au Parisien le 28 juin 2001 : « les otages étaient des espions français, ils étaient en mission au Daghestan pour une opération de repérage ». Et lourd de sous-entendu, de détailler : « Matignon a payé 25 millions pour libérer les espions ». Message limpide, le cabinet du Premier ministre Jospin avait confiance en lui…
Rebelote en janvier 1998, avec l’enlèvement dans le Caucase d’un français du haut commissariat pour les réfugiés. Gaydamak, là encore, prétend s’être entremis entre les Russes et l’Elysée, et avoir joué efficacement les Zorro. Pourquoi en douter ?
Marchiani et Arkadi, Laurel et Hardy de la libération d’otages…
Lire ou relire dans Bakchich :
Pierre Péan a consacré une enquête sérieuse et écrit un livre sur l’attentat du DC10 d’UTA en 1989. D’après lui les commanditaires de cet attentat ne seraient pas les libyens et Kadhafi mais le Hezbollah iranien. Celui-ci se serait vengé de la France pour n’avoir pas reçu la rançon promise pour la libération des otages par Marchiani et Pasqua.
Vous semblez donc confirmer une partie de cette théorie, à savoir que la rançon n’a pas été payée mais détournée. L’enquête du juge Bruguière aurait "oublié" des témoins. Le mystère demeure cependant sur la raison qui a poussé la Lybie a payer les indemnisations aux famille des victimes.