Après l’assassinat des moines de Tibhirine, les médias français se sont déchirés sur la responsabilité des militaires ou des islamistes dans ces meurtres. De leur côté, les généraux algériens géraient comme ils pouvaient.
Soyons honnêtes. Hormis les services secrets algériens et très probablement une partie des services français, personne ne connaît la vérité sur l’assassinat des moines de Tibhirine. Ont-ils été tués par les GIA (Groupes islamiques armés) comme le veut la thèse officielle ? Ont-ils été victimes d’une bavure de l’armée algérienne comme le suppose le général français Butchwalter ? Ou au contraire d’un meurtre commandité par la sécurité militaire algérienne ? Impossible de trancher, treize ans après les faits.
Pourtant les médias français se sont allègrement écharpés sur le sujet ainsi que sur l’ensemble des atrocités commises pendant la guerre civile algérienne des années 90. Avec d’un côté ceux qui accusent les services secrets algériens et, de l’autre, ceux qui dénoncent la barbarie islamiste. Parmi les tenants de la thèse de la culpabilité des militaires figurent notamment les journalistes José Garçon (Libération), Jean-Baptiste Rivoire (Canal Plus et passé par Bakchich) et le patron des éditions La Découverte, François Gèze.
Pour étayer leur propos, ils se basent essentiellement sur des témoignages des déserteurs de l’armée et des services algériens. C’est notamment le cas de l’instructeur des forces spéciales Ahmed Chouchane qui, réfugié à Londres, affirme qu’en 1995 ses chefs lui ont ordonné de devenir l’adjoint de Djamel Zitouni, alors chef des GIA, du lieutenant-colonel Samraoui qui a quitté la sécurité militaire après qu’on lui ait demandé de superviser depuis l’Allemagne l’assassinat du porte-parole du FIS en Europe, Rabah Kebir, mais aussi de l’adjudant Tigha. Réfugié en Hollande, ce dernier mouille la sécurité militaire algérienne dans l’affaire des moines et affirme que ces derniers ont transité par une caserne après leur enlèvement, avant de disparaître dans le maquis.
Pour désigner ces journalistes français, les médias algériens, qui les accusent de constituer un lobby d’influence à la solde de la gauche socialiste, leur ont trouvé un sobriquet toujours en vigueur : les « Qui tue qui ? ». Depuis le début de la guerre civile en Algérie (qui s’est achevée à la fin des années 90), ces journalistes français n’ont, en tout cas, jamais changé de version dans l’affaire des moines et, on peut l’imaginer, se réjouissent même des déclarations du général Buchwalter qui attribue la mort des sept religieux à une bavure militaire algérienne. C’est en grande partie grâce à leurs travaux et à celui des Ong de défense des droits de l’homme, notamment Amnesty International et l’association algérienne SOS Disparus, qu’Alger, par l’intermédiaire du président Bouteflika, a reconnu que la disparition de milliers de personnes pendant la guerre civile sont le fait des forces de sécurité.
Dans le clan adverse, on voit la main noire des méchants barbus partout. L’hebdomadaire Marianne a longtemps été à la pointe du combat, accusant la partie adverse de blanchir les islamistes de leurs crimes. Et, comme son directeur de l’époque, Jean-François Kahn, assume le parti pris : « face au fascisme, on ne négocie pas, on résiste. » Fascisme islamiste, il va de soi.
A défaut de révélations sur l’affaire des moines ou les grands massacres en Algérie, Marianne s’est d’avantage occupé de casser du sucre sur l’ennemi “qui-tue-quiste”. Un seul exemple : après la sortie aux éditions La Découverte du témoignage d’un rescapé du massacre de Bentalha (septembre 1997 - 500 morts), Nesroulah Yous, qui désigne les militaires comme responsables, la journaliste Martine Gozlan consacre une « contre-enquête sur une manip ». Las ! Les témoignages — intéressants — infirmant celui de Yous sont évacués en fin d’article. Dame Gozlan préfère commencer sa « contre-enquête » par un long laïus anti-qui-tue-quiste : « Connaissez-vous la nouvelle ? La barbarie intégriste n’existe pas. Les islamistes algériens, les massacreurs du GIA, ceux qui ont égorgé et égorgent toujours hommes, femmes et nourrissons, sont innocents. Des Candide qu’accusent à tort des Machiavel ! (…) Certes, tout peut se dire et s’écrire, mais de là à faire passer pour vérité historique ce qui s’apparente à une manipulation idéologique ! ».
Dans son édition du 27 décembre 2003, Le Figaro Magazine publie un long reportage de Didier Contant qui s’est tragiquement suicidé en 2004. [1] Hélas, son enquête ne suffit pas à démasquer les assassins des moines. Seul un passage retient l’attention : la « certitude » du jardinier du monastère de Tibhirine, Mohamed, que les ravisseurs sont les GIA.
Si le jardinier est un témoin direct de l’enlèvement des religieux — il a ouvert la porte du monastère aux ravisseurs sous la contrainte —, il se repose uniquement sur l’accoutrement de ces hommes pour expliquer sa position : « C’étaient des terroristes. J’ai vu leurs mains. Des mains d’hommes qui vivent au maquis, des mains sales, marquées par les griffures. J’ai vu aussi leurs vêtements. Des habits dépareillés, de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Certains avaient des cagoules, d’autres des bonnets. La plupart portaient la barbe des islamistes. » Que pèserait ce témoignage qui ne constitue pas une preuve irréfutable quant à l’identité des ravisseurs devant un tribunal ?
Pourtant, dans l’édition de Marianne du 8 mars 2004, Jean-François Kahn n’hésitera pas à écrire au sujet de l’enquête de Contant : « Les faits qu’il rapporte établissent la culpabilité des extrémistes islamistes » ! Et qu’importe, après tout, que dans son propre article, Didier Contant s’interroge noir sur blanc : « Les assassins sont-ils des militaires ou de vrais terroristes du GIA ? » !
Toujours est-il que suite aux déclarations du général français Buchwalter, qui fait état d’une bavure de l’armée algérienne, ces deux hebdomadaires ont mis de l’eau dans leur vin. Beaucoup d’eau. Ainsi, dans un éditorial paru dans Marianne le 11 juillet dernier, le directeur de la publication, Maurice Szafran, écrit : « La vérité ? Nous n’en savons rien. (…) Chacun juge en accord avec son intime conviction. La nôtre n’a pas fondamentalement changé : jusqu’à preuve du contraire, le GIA est vraisemblablement coupable de cette boucherie qu’il a reconnue, applaudie, signée. Et qui lui ressemble trop. Mais nous ne préjugeons pas des documents qui pourraient demain transpirer et, peut-être, établir une vérité différente. Nous l’admettrons volontiers, cela va de soi ».
De son côté, Le Figaro Magazine préfère ne pas revenir sur le reportage de Didier Contant qu’il a publié six ans plus tôt. Dans son numéro du 11 juillet 2009, il consacre quatre pages pleines à une interview du père Armand Veilleux, responsable de l’ordre des Cisterciens et qui, doutant de la version officielle mettant en cause les GIA, se bat depuis 1996 pour que la lumière soit faite sur l’assassinat des moines. Le religieux déclare sans l’ombre d’un doute que, selon lui, « oui » les services algériens peuvent être derrière l’enlèvement des moines.
Il va même plus loin et mouille le juge Bruguière, (trop) longtemps en charge de cette affaire : « Jean-Louis Bruguière travaillait depuis des années, et ça se comprend, main dans la main avec les services secrets algériens, pour arrêter les extrémistes algériens en France. Il était donc très difficile pour lui de croire que la violence ait pu venir du côté des services ».
Et Alger dans tout ça ? Comment le régime des généraux de l’époque vivait-il cette bagarre idéologique qui faisait rage dans les médias français ? Ce n’est qu’aujourd’hui que les langues commencent à se délier…
Ainsi, ce proche du président Abdelaziz Bouteflika estime que des partisans du “Qui tue qui ?” étaient téléguidés par la gauche française qui a cédé le pouvoir à la droite en 1995, avec l’élection de Jacques Chirac : « sous Mitterrand, la relation politique entre la France et l’Algérie était mauvaise à cause de l’interruption du processus électoral en 1992, en Algérie. Mitterrand et l’Internationale socialiste (sic !) étaient contre car ils préparaient la relève avec l’homme qu’ils voulaient voir diriger l’Algérie, en l’occurrence Mouloud Hamrouche. » Ce dernier a été le chef du gouvernement des réformateurs algériens de 1989 à 1991.
Et notre homme de préciser que « sous Chirac les relations entre les deux pays se sont améliorées ». Il cite en exemple ce coup de fil du président français à son homologue algérien, Abdelaziz Bouteflika — c’était en 2003 — pour le prévenir qu’un mauvais coup se préparait au Parlement européen. « Suite à des attaques contre le Premier ministre et le président Bouteflika dans la presse, le pouvoir a fermé des journaux et le journaliste Mohamed Benchicou a été arrêté. Jacques Chirac a alors averti Abdelaziz Bouteflika que les députés européens, emmenés par Daniel Cohn-Bendit, s’apprêtaient à agir et protester et que lui, président français, ne pouvait plus rien faire. En clair, Alger devait rapidement résoudre ce problème ».
Pour cet autre homme politique qui a exercé des responsabilités gouvernementales dans les années 90, ce n’est qu’à partir de 1998 qu’Alger aurait réussi, selon ses dirigeants, à « retourner la gauche intellectuelle qui alimentait le “Qui tue qui ?” ». Comment ? En orchestrant, selon notre témoin, une vaste opération de séduction des intellectuels de gauche et en particulier de messieurs Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann.
En 1998, BHL et Glucksmann s’étaient rendus en Algérie et BHL avait publié dans Le Monde deux récits de voyage traitant de la guerre civile et pointant de la plume la barbarie des terroristes islamistes et leur responsabilité dans les grands massacres. Des tribunes qui avaient à l’époque enflammé les partisans du “Qui tue qui ?”…
« Si Glucksman a beaucoup pleuré pendant son séjour, BHL a, lui, demandé à réaliser un film sur les massacres, comme celui qu’il avait fait sur la Bosnie. A l’époque, à Alger, ces décisions se prenaient de façon collégiale entre les militaires, les diplomates, la présidence… Mais, cette fois, nous ne sommes pas tombés d’accord. Il n’y a pas eu de consensus entre nous car les militaires avaient peur qu’un tel film ne se retourne contre eux », poursuit cet ancien responsable politique avant de livrer quelques détails croustillants sur la préparation du voyage de BHL. « Nous ne l’avons bien sûr pas payé pour qu’il écrive ce que nous voulions ! Par contre, nous l’avons séduit en lui faisant rencontrer sur place des gens qui critiquaient habilement le système sur certains points. Une première pour nous. Cérébral comme il l’est, nous ne pouvions pas nous permettre de le mettre devant des militaires… » Voilà qui a le mérite d’être clair. Par contre, au sujet de l’identité des assassins des moines de Tibhirine, aucun officiel algérien ne souhaite s’exprimer. Pas encore.
A lire ou relire sur Bakchich.info
[1] Son ancienne compagne, l’ethnologue Rina Sherman, attribue sa mort aux pressions qu’il aurait subi de la part des partisans du “Qui tue qui ?”. Elle a écrit un livre, Le Huitième mort de Tibhirine, où elle développe sa thèse. Comme l’a révélé Bakchich le 15 juillet, Rina Sherman vient d’être condamnée pour « diffamation » et « injures publiques » par la 17è chambre correctionnelle du Tribunal de Paris pour les propos qu’elle tient dans son ouvrage contre deux journalistes (Paul Moreira et Jean-Baptiste Rivoire) qu’elle accuse d’avoir harcelé Didier Contant. De son côté, Rina Sherman a porté plainte contre le journaliste Jean-Baptiste Rivoire qui a été renvoyé en correctionnelle du chef de « violences volontaires préméditées ». Le procès devrait se tenir à Paris, en octobre prochain.
Pour en savoir plus sur la politique algérienne : www.algeriatimes.net
ou www.rachad.org
ou alors : www.agirourlalgerie.com
Les divers opposants algérien au régime des militaires et du FLN s’en donnent à coeur joie .
Méme chose pour la Tunisie et ses opposants à l’étranger . seul le Maroc est épargné … Pas d’opposants à l’étranger …