Retour à la case prison pour la prix Nobel birmane de la Paix, Aung San Suu Kyi : la junte militaire au pouvoir organise des élections l’année prochaine et prend les devants.
La junte militaire au pouvoir en Birmanie a encore franchi un pas dans sa tentative de faire taire Aung San Suu Kyi. Le 14 mai, la prix Nobel de la Paix a été transférée à Insein, la plus grande prison du pays où sont déjà embastillés bon nombre de prisonniers politiques.
Alors qu’elle est enfermée à son domicile et privée de tout contact avec l’extérieur depuis 2003, voilà maintenant qu’elle risque cinq années supplémentaires pour ne pas avoir respecté les règles de son assignation à résidence. Il y a quelques jours, un Américain, ancien du Vietnam et âgé de 53 ans, a traversé à la nage le lac avoisinant la maison d’Aung San Suu Kyi pour lui rendre visite et s’est fait attraper par la flicaille des généraux birmans. Inutile de préciser que l’acte de cet hurluberlu tombe à pic pour la junte qui prépare des élections pour 2010 et s’est empressée de médiatiser l’affaire du nageur : le mandat d’incarcération déjà illégal de la prisonnière arrivait à expiration fin mai…
L’acharnement contre cette femme de 63 ans à la santé fragile s’explique par la menace démocratique qu’elle représente pour la clique de généraux paranoïaques qui saignent la Birmanie depuis 1962. Ils n’auront rien épargné à leur captive, pas même la magie noire !
La Dame de Rangoon a gagné ses galons d’opposante à la junte en 1988, lorsqu’elle rentre au pays (elle n’en est plus sortie depuis) pour soigner sa mère. Aung San Suu Kyi se trouve alors plongée dans le soulèvement lancé par une population excédée par les privations et la répression.
Prenant presque par hasard la parole lors d’un meeting à Rangoon, le 26 août 1988, elle trouve instantanément les mots qui portent. En une journée, sans avoir rien prévu, elle acquiert une stature de leader. Elle incite le peuple à « se libérer de la peur », un conseil qu’elle dispense également aux généraux, considérant qu’ils s’enferment dans un pouvoir absolu par peur de la vengeance d’un peuple martyrisé.
En guise de réponse, la junte lance à son encontre une campagne de dénigrements, de calomnies et d’insultes avant les élections de 1990. En vain car la popularité d’Aung San Suu Kyi ne faiblit pas. Au contraire… Elle est alors arrêtée et c’est de sa prison qu’elle apprend le triomphe électoral de son parti : 82 % des sièges au Parlement. Un véritable raz-de-marée ! Hélas, les militaires avaient promis des élections libres, pas de respecter les résultats. Et les députés élus de la majorité sont pourchassés, arrêtés, exilés, tués parfois.
Les généraux refont une poussée d’urticaire contre celle qui est devenue leur ennemie numéro un, un an plus tard, lorsqu’elle se voit décerner le prix Nobel de la Paix. S’ensuit une alternance d’arrestations et d’humiliations auxquelles elle répond par des grèves de la faim.
Comble de la cruauté, son époux, le tibétologue Mikael Aris, condamné par un cancer, n’est même pas autorisé à rendre une dernière visite à la mère de leurs deux enfants. Puis, en 2003, Aung San Suu Kyi échappe de peu à une tentative d’assassinat alors qu’elle avait été exceptionnellement autorisée à se déplacer en province.
Les nouvelles de la captive recluse de force dans sa maison de Rangoon se font de plus en plus rares. Quatre ans plus tard, en 2007, de fugaces images d’Aung San Suu Kyi sont publiées. Ce que les médias appellent la « révolution safran » — d’après la couleur de la robe des moines bouddhistes qui se sont soulevés contre la dictature et la mal vie — est à son apogée. La magie opèrera pendant quelques minutes lorsqu’un groupe de religieux passe devant la maison de la recluse : elle est sur le seuil, en larmes.
La vie d’Aung San Suu Kyi est marquée par la tragédie. Elle est née à Rangoon, à l’époque capitale du plus prospère des pays d’Asie, d’une famille bamar, l’ethnie majoritaire qui a donné son nom au pays, et qui s’était illustrée pour son engagement anti-colonialiste contre les Britanniques.
Elle n’est âgée que de deux ans, en 1947, lorsque son père, le général Aung San est assassiné à la veille d’une indépendance qu’il avait personnellement négociée avec le gouvernement anglais. Ce héros légendaire, fondateur de l’armée birmane, était parvenu, juste avant sa mort, à trouver un terrain d’entente avec les minorités ethniques, clé de la stabilité jamais atteinte de la future Birmanie.
Après sa mort, son épouse, Khin Kyi, une infirmière qui avait toujours épaulé son mari dans son combat nationaliste, joue un rôle important dans la Birmanie démocratique du Premier ministre U Nu, un compagnon de feu son époux. Loin de n’être que la gardienne de la mémoire du héros assassiné, elle sait se faire entendre pour que les valeurs qu’il défendait soient respectées par la jeune Union Birmane.
Elle veille aussi de très près à l’éducation de ses deux fils et de la petite dernière, Suu Kyi. La famille habite la villa coloniale au bord du lac Inya, où le général Aung San a vécu ses dernières années, et que le gouvernement lui a attribué, pour marquer sa reconnaissance. C’est là, au 54 University avenue, qu’est aujourd’hui séquestrée Aung San Suu Kyi par des galonnés qui ne cessent de se proclamer les héritiers de son père…
Ecole catholique, camarades de classes de plusieurs nationalités, bouddhisme théravada dans la famille de son père, un grand-père maternel converti au protestantisme, dès son plus jeune âge, la jeune Suu kyi est ouverte à une grande diversité socio-culturelle dans une société passablement monocolore. Cette tendance aux horizons variés va encore s’accentuer lorsque Khin Kyi est nommée, en 1960, ambassadeur de Birmanie en Inde.
Aung San Suu Kyi accompagne alors sa mère à New Delhi et poursuit une scolarité brillante dans les meilleures institutions. Mère et fille sont des intimes de la famille du Premier ministre Nehru, où la future prix Nobel de la paix s’imprègne des valeurs de non-violence prônées par Gandhi, parfaitement compatibles avec le bouddhisme familial.
En 1964, Aung San Suu Kyi est admise à Oxford, pour y poursuivre des études de philosophie, sciences politiques et économie. Elle y fait la connaissance de son futur mari, Michael Aris, qu’elle épouse en 1972 après avoir effectué un long stage à New York, auprès du secrétaire général de l’ONU, à l’époque un ami de la famille, le Birman U Thant.
Pendant ses longues années passées à l’étranger, jamais Aung San Suu Kyi n’a coupé le cordon ombilical qui la relie à la Birmanie. Elle a tenu à ce que ses fils y vivent l’expérience monacale et revêtent la robe safran. S’abstenant de toute intervention publique, elle ne faisait pas mystère de la répulsion que lui inspirait la dictature autarcique mise en place en 1962 par le général Ne Win, un des camarades de son père.
Quarante-sept ans plus tard, la Dame de Rangoon reste pour tous ses compatriotes la lumière qui refuse de s’éteindre dans la longue nuit birmane.
Les interventions d’Aung San Suu Kyi au sujet de la France sont rares. Mais ciblées et bien senties. Son interview dans Le Monde d’août 1996 où elle qualifie à juste titre le pétrolier Total de « premier soutien économique de la junte » reste dans les mémoires. Dans le même journal, en octobre 2007, Christophe de Margerie, le vibrionnant PDG de Total, s’évertue à la contredire. Sans convaincre, car pour qui connaît les circonstances des deux rencontres entre Margerie et Aung San Suu Kyi, il est pour le moins cavalier de faire parler une recluse condamnée au silence…
A la Noël 2002, la prix Nobel a eu le privilège, pendant l’un de ses rares moments de liberté très surveillés, de rencontrer le couple Ockrent-Kouchner. Une interview pour l’hebdomadaire Elle qui ne laissa pas de trace indélébile dans les annales, les sujets qui fâchent ayant été soigneusement évités.
Quelques mois plus tard, Bernard Kouchner revient en Birmanie. Invité par Total, il passe deux jours sur le site du gazoduc, puis rédige un mémorable rapport, louant la présence du pétrolier en Birmanie. Déjà à l’époque, la voix de notre sémillant ministre des Affaires étrangères qui réclame aujourd’hui la « libération urgente » d’Aung San Suu Kyi, ne se faisait guère entendre sur l’épineux dossier birman. Il est décidément loin le temps où la dame de Rangoon prenait des leçons de français avec l’épouse de l’ambassadeur de France…
A lire et relire sur Bakchich.info :
Plus la peine prononcée contre Aung San Suu Kyi sera sévère, plus les généraux montreront à quel point ils se sentent toujours faibles.
Et ils le sont effectivement, notamment d’esprit. Qui peut croire qu’un simple nageur (même pas de combat) allait pouvoir, en sortant de chez Aung San Suu Kyi, "menacer la stabilité" du pays ?
Si un seul Mormon suffit à leur faire peur, ils faut très vite qu’ils confient à d’autres les clés du pouvoir.
l’intrusion de l’Américain semble un coup monté de la Junte birmane. En effet Aung San Suu Kyi devait voir sa résidence surveillée prochainement se terminer… !
Comme par hasard, l’Américain a pu rentrer facilement et c’est en repartant qu’il s’est fait arrêter… !!