Le patron de Total, Christophe de Margerie, ne ménage pas ses efforts de communication sur le rôle de Total en Birmanie. Pour masquer de peu glorieuses réalités ?
Le 10 septembre, alors que l’audiovisuel répercute la Une de Libération sur les effets pervers causés par la présence de Total en Birmanie, Christophe de Margerie répond à Saint-Ouen dans ses locaux, aux questions d’un panel de lecteurs du Parisien. L’homme qui pèse 14 milliards d’euros de bénéfices nets, prend tout le temps nécessaire pour se mettre au niveau de la France d’en bas… Bonne occasion pour lui de marteler le même message qu’il sert indifféremment, sans le moindre contradicteur, aux députés de la commission des Affaires étrangères, aux ministres et à l’Elysée.
Sur la Birmanie, Christophe de Margerie se garde bien de contester les chiffres que Libération a sorti du rapport de Earth Right International (ERI) – 5 milliards de dollars versés aux généraux à Singapour entre 2000 et 2008 –. Il se contente de répéter : « si ça n’était pas Total, ce serait pire ».
Interrogé sur le compte séquestre, cher à Jane Birkin, le patron de Total innove résolument : « l’idée n’est pas idiote », immédiatement suivi du classique : « Simplement, elle reviendrait à nous obliger à quitter le pays, puisqu’il y aurait rupture de contrat ». Il s’agit là d’une bien étrange interprétation des lois internationales. En effet, la mise en place d’un compte séquestre nécessite un vote au Conseil de Sécurité de l’ONU. Il s’impose alors à tous, Etats et sociétés privées. Il n’y aurait là aucune rupture de contrat, car tout éventuel remplaçant de Total serait soumis aux mêmes obligations. Simplement, les généraux ne toucheraient plus les milliards du gaz sur leurs comptes off shore à Singapour. Des comptes alimentés directement par Total, sans passer par aucune case birmane.
Vient ensuite l’habituel couplet sur la prix Nobel de la paix, incarcérée à Rangoon, Aung San Suu Kyi, « avec laquelle il aimerait tellement travailler », alors que tous les analystes de la situation birmane, ainsi que le confirme le rapport d’ERI, considèrent que Total est LA perfusion financière qui a maintenu en vie ses geôliers, ce régime aussi cruel qu’ubuesque.
C’est sur le thème des paradis fiscaux que le talent de De Margerie pour asséner de grossières contre-vérités prend toute son ampleur. Alors que plus des 3/4 de son chiffre d’affaires transite par des paradis fiscaux, que 95 % des royalties qu’il verse aux dirigeants des Etats producteurs y sont placés, il a le front de prétendre : « qu’il n’a pas vraiment besoin des paradis fiscaux, (…) mais que tout le monde fait pareil, (…) Nous n’avons pas de compte caché, tout est connu de Bercy ». Cette dernière allégation contredit très précisément ce qu’un porte-parole du ministère du budget avait déclaré à Bakchich en mai dernier : « Dans le cas de Total, les données de taxation à l’étranger sont fournies par le pétrolier. Il n’appartient pas au ministère d’en évaluer la sincérité. Il n’en a d’ailleurs pas les moyens et n’a donc pas à s’interroger sur la crédibilité de données fiscales émanant de pays situés tout en bas du classement sur la corruption de Transparency International ». Au hasard, le Congo-Brazzaville, le Gabon ou encore la délicieuse Birmanie.
Christophe de Margerie est une sorte de démocrate, avec lui pas de double langage. Il sert le même discours du haut en bas de la pyramide sociale. Mais qu’on ne s’avise pas de le contredire… Ni l’Elysée, ni le Quai d’Orsay ne s’y sont risqués. Ils sont traités avec les mêmes égards que les lecteurs du Parisien, le même respect scrupuleux de la réalité observé du sommet de la tour Total.
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