Quand Omar Bongo, le doyen des chefs d’Etat africains, s’éteint, c’est un « ami » de la France qui disparaît. Retour sur plus de 40 ans de relations amoureuses franco-gabonaises.
En général, les histoires d’amour finissent mal, dit la chanson. D’autant plus quand elles ont été si passionnées, comme entre la France et son petit Omar, décédé le 8 juin dernier en Espagne, à 73 ans officiels, bien plus selon ses artères. Des noces scellées par le Général lui-même et consolidées par chacun des présidents ou chefs de gouvernement français successifs.
« Une anomalie ». Voilà comment De Gaulle accueillit l’accession au pouvoir en 1967 de l’ex-sous-lieutenant de l’Afrique-Equatoriale française, Albert Bernard Bongo, âgé de 32 ans, qui ne devint Omar qu’un peu plus tard. Le jeune chef d’Etat prêtera serment à l’ambassade du Gabon à Paris, c’est dire sa marge de manœuvre à l’époque, qu’il s’ingénia à élargir au fur des années. Au point d’inverser le rapport de forces.
Pourtant peu enclin aux mystères africains, Sarkozy s’est perdu comme les autres dans les filets du Gabonais. Défenestration du secrétaire d’Etat à la Coopération de Sarkozy, Jean-Marie Bockel, pour crime de lèse-Bongo, rendez-vous arrangé pour Carla auprès de Mandela par le bon mollah Omar (qui finança la famille du président sud-africain pendant sa longue détention), blocage express des plaintes contre le président gabonais en France, etc…
Les récents épisodes tragi-comiques de la vie politique franco-africaine s’avèrent autant d’exemples du chemin parcouru par le petit soldat Albert pour devenir Papa Bongo.
Inconnu, pratiquement illettré, membre d’un clan ultra minoritaire, le chef de l’Etat gabonais fut installé au pouvoir par papa Foccart, grand manitou alors de la politique africaine, avec la protection du Sdece (aujourd’hui DGSE). Le pays dispose de richesses exceptionnelles : uranium, bois, manganèse et surtout pétrole. Véritable cagnotte de Bongo, la rente pétrolière met bien de l’huile dans les rouages. A coups d’avances sur les recettes pétrolières, avances largement accordées par le groupe Elf à la veille de chaque élection, quitte à plomber l’avenir du pays.
Le Gabon est d’abord une vraie épicerie familiale. Le bon Omar privilégie d’abord les membres de son ethnie Téké, d’où vient la plupart de la centaine de généraux que compte ce petit pays d’un million d’habitants. En bon papa gâteau, Bongo gâte aussi évidemment ses proches. Pour peu qu’Omar et sa petite famille se rendent à New York pour le cinquantième anniversaire de l’ONU, une somme de 1,6 million de dollars est virée sur leur compte. Le Sénat américain enquête de près sur les avoirs de Bongo à la Citibank, dont il est devenu client dès 1970. Pour un montant égal à 900 millions de francs pour les seules années de 1985 à 1997. « Zeus », un de ses surnoms à Libreville, a également des comptes ouverts à Bahreïn, au Luxembourg et à Jersey, à Londres, aux Bahamas. La mondialisation n’est pas un vain mot.
Les nombreux amis français d’Omar seraient bien les derniers à se plaindre de son bon cœur. Des cargaisons pétrolières entières ont financé la vie politique et médiatique française. Même Le Pen a fait souvent le voyage gabonais. Comme le résume joliment Bongo lui-même, « l’Afrique sans la France, c’est une voiture sans chauffeur, la France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant ».
Les préférences d’Omar vont naturellement à Jacques Chirac : « je ne connais pas quelqu’un qui soit aussi charmant, aussi gentil. Il a le cœur sur la main. Pour moi, c’est un vrai parent. Jacques Chirac est toujours présent quand vous avez besoin de lui. Il a le culte de l’amitié. » Chanceux également, Charles Pasqua n’est rien de moins que « son frère », le « Grand Batéké des Hauts-de-Seine ». Mais la gauche, de Catherine Tasca à Michel Rocard et Roland Dumas, n’a jamais été mal reçue à Libreville. Tout comme Bernard Kouchner, qui sitôt le décès de son ancien employeur annoncé, a tonné que la France perdait un « ami ».
En revanche, Lionel Jospin, qui lui rendait visite peu après son arrivée à Matignon dans la suite que loue Bongo à l’hôtel Crillon (avec vue sur la Concorde), ne l’a pas séduit au premier abord : « Votre Premier ministre, déclarait-il alors au Nouvel Observateur en janvier 2000, semble loin des questions africaines, il faudrait qu’il s’y plonge. »
Cette gestion patrimoniale élargie des ressources pétrolières est la vraie originalité du régime gabonais. Pour le reste, le Gabon possède tous les ingrédients d’une vraie dictature. A peine parvenu au pouvoir, Bongo cumule la direction de l’Etat, du gouvernement, de la Défense, de l’Information et de l’Aménagement du territoire, dissout les partis existants, embastille les opposants, crée le PDG (Parti démocratique gabonais), au sigle si éloquent. Connu pour ses colères aussi foudroyantes que brèves, Omar ne supporte guère la moindre résistance. Longtemps, le président centrafricain Bokassa fut son modèle et la monarchie une forte envie. L’ami Chirac eut alors le mérite de le dissuader de telles extrémités et Omar s’est un peu calmé. Réélu à l’issu de scrutins largement arrangés en 1993, 1998 et 2005, Omar s’offre même, histoire de ne pas faire peur aux occidentaux, quelques signes extérieurs de vie démocratique en laissant vivre quelques partis et quelques journaux plus ou moins contestataires.
Lors de ces grandes messes, le clan Bongo dépense sans compter. En 1999, le Trésor français évaluait à 500 milliards de francs CFA (soit 5 milliards de francs français) le déficit de l’Etat gabonais et dénonçait la « prédation » du pouvoir en place. Avec en prime la fâcheuse manie de la juge Eva Joly, qu’il nommait délicatement « la truie norvégienne », à farfouiller dans ses comptes dans le cadre de l’affaire Elf, le chef de l’Etat gabonais a des fins de mois presque difficiles. Mais le fameux jus d’Okoumé, le champagne local, n’a jamais vraiment cessé de couler.
Total a mangé Elf, les banques ont continué à couvrir des montages osés, les enquêtes ont été discrètement étouffées. Et les présidents sont passés sans jamais renier les noces scellées. Pas même le candidat de la rupture Nicolas Sarkozy. Premier chef d’Etat africain à être reçu et à obtenir une ristourne sur sa dette, Bongo a été choyé comme jamais. Une drague qui avait commencé sitôt Sarko installé place Beauvau, comme l’avait narré Bakchich. Sans discontinuer jusqu’aux derniers temps ; et en enfilant les épaisses pantoufles africaines de Chirac, via un homme, Robert Bourgi. Passé du chiraquisme vieillissant au sarkozysme triomphant, l’avocat-conseil a su retourner le nouveau squatter de l’Elysée. Et le réorienter dans le village franco-africain, dont l’épicentre restait Omar Bongo. Sans son guide, la France risque de se perdre dans ses méandres. C’est sans doute pour cela que l’Elysée suit avec tant d’attention qui succédera à feu son amant.
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