C’est la fin d’une époque, celle des rescapés des réseaux Foccart et autres Bourgi. Mais la France n’abandonne pas son pré carré africain et d’autres ont pris le relais. Avec comme toujours avec des proches du chef de l’Etat.
« L’Afrique à la papa c’est fini ». La divine secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme Ramatoulaye Yade l’a dit devant l’assemblée Nationale. Et tout ce que dit Rama, Bakchich y croit. Seul petit souci, les intermédiaires, conseils et autres agents d’influence qui pullulent entre la France et l’Afrique n’ont pas entendu le message. Et entre France officielle, vieux crocodiles et jeunes ambitieux se livrent à une guerre farouche, qui commence à faire des victimes.
Et comme souvent, ce sont les vieux de la vieille qui trinquent en premier. Notamment Maître Robert Bourgi, avocat de profession, cire-pompes de chefs d’Etat africain par passion. Héritier auto-proclamé des réseaux Foccart, l’homme qui, sous De Gaulle créa un système de contrôle du pré-carré africain la Françafrique, Robert a réussi une bascule délicate. Passer du chiraquisme forcené, doublé il va de soi d’un anti-sarkozysme viscéral, à l’adulation de Sarko Ier. Du bel ouvrage, facilité par son verbiage. Bien en cour chez le président gabonais Omar Bongo, Bourgi n’a de cesse d’expliquer que c’est grâce à son intermède que les deux grands hommes se sont rencontrés et ont sympathisé. Prié de le croire sur parole. Mais des signes ne trompent pas. Homme de l’ombre, l’ami Robert est depuis mai dernier entré dans la lumière. Et surtout dans la presse.
Lors de la cérémonie d’investiture de Sarko, sa présence est passée tout sauf inaperçue. Et a plus qu’agacé les services de l’Elysée, qui se sont sentis blousés : « Bourgi leur a fait croire qu’il représentait Bongo », s’amuse un habitué. Pire, l’animal se met en scène. D’abord quand Nicolas Sarkozy lui remet la légion d’honneur et insiste sur sa filiation avec Foccart. Ensuite, très récemment, en se livrant à une interview fleuve sur la chaîne ivoirienne Télé3A. L’avocat franco-libanais s’y présentait comme le grand ordonnateur d’une rencontre entre Laurent Gbagbo et Nicolas Sarkozy… qui s’est en fait limité à une simple poignée de main lors de l’Assemblée générale des Nations-Unies, le 24 septembre dernier à New York. Bref Bourgi s’agite, se multiplie, sort de l’ombre. Et use de manœuvres de moins en moins discrètes pour exister. Autant de signes de gênes, pour ne pas dire d’acculement qui ne sont pas pour déplaire à la cellule Afrique de l’Elysée et à son patron Bruno Joubert.
Un vieux contentieux oppose les deux hommes. Du temps où Joubert officiait à la tête de la direction stratégie de la DGSE (cf. Les aventures de Bourgi à la DGSE in Bakchich n°55) et où, moins malléable que son prédécesseur, il éconduisait tous les messieurs bons offices. Etonnamment Bourgi depuis, ne manque jamais de dauber sur ce « pied-nickelé de Joubert ». Et s’est installé une froideur réciproque…doublé d’un constat : Bourgi et ses ersatz font partie d’un monde finissant. Et n’ont guère plus d’influence que chez les « vieux chefs d’Etat, rescapés de la période Foccart, les Bongo Sassou ou Obiang », confie une vieille concierge des palais africains. « Leur présence les rassure, mais chez les nouveaux, en Afrique de l’Est, en Angola et même à présent au Sénégal, les choses changent. Pour Bourgi notamment ». Le vieux Robert, au plus mal avec la cellule Afrique, voit même des jeunots lui manger la laine sur le dos. Et s’en méfie. « Je sais très bien que Bourgi et Paul Barril cherche des renseignements sur moi », s’amuse Philippe Solomon. Copain de l’ancien Pédégé d’Elf, Loïk Le Floch-Prigent, de Bernard Tapie ou de Arkadi Gaydamak, le bonhomme a de l’entregent qui voyage sur le continent. Et de belles entrées en Centrafrique, pays charnière, dont il se dit consul honoraire en Israël (voir son portrait en p.16).
Manque de chance pour la cellule Afrique, ce petit réseau a trouvé son héros, en la personne de l’ancien « bébé Pasqua » et surtout ami intime du président Sarkozy, Patrick Balkany. Tout nouvel amoureux transi de l’Afrique, le député-maire de Levallois a été charmé par la gouaille de Solomon, lors de son dernier séjour africain (cf. La Balkanysation de l’Afrique). Si bien qu’il l’a ramené de Bangui à Paris dans le jet qui lui avait préféré, pour l’occasion, Georges Forrest, consul honoraire de France à Lumumbashi (République démocratique du Congo). Mieux, Balkany, Solomon et le président centrafricain François Bozizé, en visite à Paris, ont cassé la croûte ensemble lundi 19 novembre. Et de plus en plus de margouillats qui traînent en Afrique cherchent à discuter avec Balkany.
Si flinguer Bourgi ne pose guère d’ennuis, difficile pour les services officiels de dézinguer une équipe dont la tête de pont est si proche du grand patron. Un réseau s’éteint, un autre s’éveille…