Le juge Charles Duchaine, en charge de la vaste enquête qui fait trembler tout Marseille, doit se démener pour éviter les obstacles mis en travers de sa route. C’est que le dossier implique des personnalités et des entreprises, bien au-delà du clan Guérini.
Depuis février 2009 et leur saisine sur la vaste enquête des marchés publics des Bouches-du-Rhône, poétiquement baptisée par leurs soins « dossier Guernica », les gendarmes avaient su (pu) travailler dans la discrétion. Sous l’autorité du juge Charles Duchaine, les investigations de la « Cellule déchets 13 » ont même conduit, le 1er décembre 2010, Alexandre Guérini en prison. Le croque-mitaine de la politique et des ordures marseillaises, frère de Jean-Noël Guérini (le président du conseil général des Bouches-du-Rhône et baron du PS local), a passé les fêtes dans la maison d’arrêt de Luynes.
Un véritable séisme qui n’a pas fini de faire trembler la ville. Et un tour de force. Cette fois, les enquêteurs ont su se préserver de tout soupçon de collusion dans une ville où, pour qualifier la proximité entre enquêteurs et truands, le procureur Jacques Dallest emploie le terme quasi administratif de « porosité » des services de police et de gendarmerie.
Las. À défaut de bonnes résolutions, 2011 débute sous pression pour le juge Duchaine et ses limiers bleus. Un peu trop finauds au goût de leur hiérarchie, les gendarmes ont ouvert la boîte de Pandore. Attributions intéressées de subventions à des associations fantômes, octrois fantaisistes de logements sociaux, marchés publics biaisés… Le tout saupoudré d’accointances avec le grand banditisme. Une liste qui s’allonge au fil des investigations. Du dossier Guernica émerge la promesse d’une déflagration qui n’épargnera personne : politiques, entreprises et syndicats. Les dérives paraissent régenter la ville. Le ramdam est tel qu’il commence à inquiéter ceux-là même qui avaient souhaité la chute des Guérini, gauche et droite comprises.
Aussi les états-majors commencent-ils à couiner. De la mairie, Jean-Claude Gaudin appelle au calme. Un mot d’ordre qu’il tente d’intimer à Renaud Muselier, son éternel dauphin. En vain. Lou Ravi de la politique marseillaise a fait de Guernica son cheval de bataille. Et les Guérini, ses futurs adversaires sur la route des municipales de 2014, sont sa cible. Muselier mène aujourd’hui une croisade en solitaire.
Au palais de justice, le procureur Dallest s’est plongé dans un mutisme qui ne lui ressemble guère. Pourtant jamais loin d’une caméra, le magistrat s’évapore dès lors que « l’affaire Guérini » est évoquée.
Même les pontes de la gendarmerie en viennent à traîner des pieds. Et le général Marc Mondoulet, commandant de la maison bleue en Paca, pris d’une envie de retirer des enquêteurs mobilisés par la juridiction interrégionale spécialisée, de se faire tirer l’oreille par le juge Duchaine. Qui lui tint à peu près ce langage : « Soit vous me donnez les effectifs que je souhaite pour enquêter, soit je dessaisis la gendarmerie avant de renommer moi-même les gendarmes avec qui je souhaite bosser. » L’ambiance vire à la défiance. D’autant que les interpellations de novembre ont jeté le trouble sur les liens entre haute hiérarchie de la gendarmerie et mis en examen.
Jusque-là véhément contre la gendarmerie, jusqu’à pester aux oreilles de Bakchich contre elle, Alex Guérini, dit « M. Frère », a rendu un vibrant hommage aux gendarmes lors de son audition, le 1er décembre. Voici ce qu’il a dit à l’issue de son interrogatoire : « Je déclarerai prochainement dans la presse ceci : “J’ai été adroitement manipulé sur l’origine des fuites dans la presse pour mettre en cause les services de la gendarmerie et en particulier M. Rey [le lieutenant en charge de l’enquête, NDLR]. Tout au long de cet interrogatoire qui a duré quarante-huit heures, je n’ai eu qu’à louer la qualité des agents de cette enquête qui avaient pour seul but de rechercher la vérité. Si j’ai pu blesser à la fois M. Rey et ses collègues, je m’en excuse ici et je m’en excuserai publiquement.” » Une si étonnante et soudaine affection pour la maréchaussée est-elle le fruit de quarante-huit heures de garde à vue ?
Prise dans le même coup de filet, Jeannie Peretti, l’ancienne compagne d’Alex, fait montre, dans un premier temps, d’une profonde morgue. « Alexandre Guérini et moi-même avons les preuves qu’un gendarme a communiqué toute l’enquête à Me Cachard, avocat de M. Muselier [l’ennemi des Guérini souffle sur les braises depuis le début de l’enquête, NDLR] et ce par l’intermédiaire de M. Garosi, expert. » Un rien bravache, la bonne dame révèle même que, parmi ces preuves, il y a trace de « 47 appels téléphoniques entre M. Garosi et Me Cachard et ce sur leurs portables ». Et l’ex d’Alex de ne pas se démonter à la question suivante des enquêteurs. « Savez-vous que l’obtention de telles informations concernant les appels téléphoniques est encadrée par des textes de loi ? – Ben oui. À moins que ce soit des écoutes sauvages. » Un complot, des écoutes sauvages ! Madame se lâche en audition et « refuse de dévoiler ses sources ».
Dans un second temps, Jeannie Peretti se montre plus doucereuse : de toute façon, la hiérarchie gendarmesque est déjà au courant de la cabale anti-Guérini. « Le général de la gendarmerie Provence-Alpes-Côte d’Azur en a été informé par M. Jean-Noël Guérini lors de l’inauguration d’une gendarmerie la semaine dernière. » En l’occurrence, la gendarmerie du Rousset, baptisée le 20 novembre. « De simples échanges professionnels et conviviaux », assure-t-on du côté des militaires. Il n’empêche que la rencontre tombe mal… Neuf jours plus tard, les pandores se rendent dès potron-minet au domicile d’Alexandre Guérini, aux abords du cossu boulevard du Prado. Et font chou blanc. Mais Alex, grand seigneur, se livrera de lui-même à la gendarmerie de l’avenue de Toulon. Un scénario qui, à l’époque, avait pour le moins surpris.
À la lecture des auditions, un sérieux doute plane désormais. Que le juge Duchaine ne puisse mettre la dernière touche à son dossier faute de pinceau et de chevalet. Et ne laisse au Guernica marseillais un goût d’inachevé.
Contacté par Bakchich, le conseil général n’a pas souhaité répondre à nos questions.
L’affaire Guérini sur Bakchich.info :