Reportage de notre envoyé spécial en terre kinoise, ou les péripéties d’un Mundélé dans un aérogare où l’argent, ça va, ça vient..
Des ampoules en moins. Une lettre sur deux allumée. L’aéroport Kinshasa Ndjili peine à sortir de la nuit. Un peu à l’image de la République démocratique du Congo, l’ex-Zaïre, déchiré par deux guerres civiles en quinze ans. Toujours soumis aux soubresauts, au rythme des incursions (pillage) des États limitrophe, à l’est, Rwanda et Ouganda en tête. Un voisinage aussi étouffant que la chaleur qui accable le voyageur vacant dans l’aérogare. Une sorte d’air Afrique…
30 à 35 degrés, été comme hiver. Le taux d’humidité dans l’air, seul, distingue les saisons. Et les pluies, drues, violentes. Les orages tropicaux explosent sans rafraîchir l’ambiance de la salle d’arrivée. Pas de hall ici. Une grande pièce, peut-être 150 mètres carrés. Murs blancs un peu décrépits, lumière blafarde. Des tapis roulant inertes. Aucun affichage électronique. Des ventilateurs, rares, au plafond. Un douanier ouvre la voie. Et m’interdit de parler à l’homme qui contrôle les passeports. "Laisse, si tu parles ils vont te demander de l’argent pour un oui ou pour un non". Finalement, lui en prendra un peu au final. Chacun son rôle.
Première vision de nuit. Des ténèbres. Et des militaires, armés, qui taxent des cigarettes européennes. Un peu plus légère que les locales (14 mg de goudrons, 1,2 de nicotine). Même à 4 heures du matin, les badauds sont apprêtés. Le goût de la sape. T-Shirt, chemises, veste ou abacost (à bas le costard, un costume à manches courtes inventé par feu le président-maréchal Mobutu). Dans la voiture qui attend, un policier. "On a un Mundelé et un flic dans la voiture", rigole l’accueillante guide, "l’équipage coute cher. Pas trop dur, l’arrivée ? -Non, ça s’est passé simplement". Pour 100 dollars au final.
Entrer dans l’aéroport déleste d’un billet de 50. Décrocher les services d’un "ouvreur" pour éviter les désagréments des contrôles.
"Pas de soucis pour les bagages ?" Non. Le tapis de bagages s’est mis lentement en route. Un monceau de bagages, de victuailles. 30 kilos au bas mot par voyageur. A ajouter aux dix kilos en soute. Les Congolais ne voyagent pas légers. L’enregistrement à Paris avait donné lieu à des empoignades salées. Et retardé le départ. Avec un seul sac, pour 15 kilos, les regards se sont braqués, amusés, vers moi. Pas même besoin de voir ma couleur de peau ou ma nationalité, la légèreté de mes affaires fait office de passeport. "Mundélé (blanc)". Même les agents m’ont fait passer en priorité pour l’enregistrement à Charles de Gaulle. "Oui, tu as dû les faire rire", s’amusent mes "réceptionneurs", tout en me prévenant, "l’embarquement du retour sera une autre affaire".
Cassandre noir ! Dix jours plus tard, retour à l’aéroport de Kinshasa. 50 dollars pour entrer dans l’aéroport sont déjà passés. Plus une douzaine de dollars évaporés au moment de pénétrer dans le parking, manne réduite à 8000 francs congolais. "Pas de monnaie passez !". Le salon VIP, à température polaire, a été évité, d’autant que ses tarifs sont aussi fluctuants que le temps. Salle d’enregistrement. Une pièce ronde de 100 m2, sans affichage. Lumière blafarde. Quatre guichets qui semblent dater de l’indépendance. Deux pour les contrôles de police, deux pour les enregistrements. C’est parti pour trois heures d’attente, de jeu de coude, de cri. En lingala, en swahili, ou en kikongo. Au choix.
Une longue, suintante, queue. Ou plutôt foule. Et un empilement de valises, bassines, ballots dégorgeant de nourriture ou de fringues. Là une odeur de poisson séché. Ici de manioc. Un peu plus loin du pondu. Une jungle, bientôt parcourue d’un vent de panique.
Après un premier contrôle des flics, à la main, des sacs, vient un second. Toujours manuel. Les ballots dégueulent sur la mini table d’inspection. Le temps d’ouvrir, les sacs, de les refermer aussi. L’avion aura deux heures de retard. Pour encore deux contrôles. Dont l’un au pied de l’aéroport sur le tarmac. Sous une pluie fine, des chats poursuivent des rats sans se soucier de la longue file qui monte dans le zinc. Et s’échappe des Ndjili. Des ténèbres que n’aura pu goûter Conrad…
Du rab’ de reportage à Kinshasa à lire dans Bakchich Hebdo n°53 !