Où notre vaillant reporter, après avoir quitté par le fleuve Kinshasa pour Brazzaville, a failli faire tintin au Congo, faute de connaître l’article 22.
Kinshasa-Brazzaville. D’un Congo l’autre. Qui se disputent le nombre de guerres civiles. Au moins deux partout depuis les années 1990. Mais le match n’est pas fini. La RDC continue de subir les intempestifs assauts de ses voisins avides de ses ressources à l’est. Et sitôt que le Kivu s’enflamme, les Kinois s’inquiètent. "Laurent Désiré Kabila est parti du Kivu pour marcher sur Kinshasa", se souvient une graphiste de 29 ans, qui en avait à peine la moitié quand le régime de Mobutu est tombé sous les avancées de "Mzé". Brazzaville, elle, est en paix depuis 2002. Depuis que le général président Denis Sassou Nguesso n’est plus contestée à aucune de ses élections fantoches.
Les deux capitales ne sont séparées que par le fleuve. Violent, sombre, envoutant. Et large. Une furie de mètres cubes où se trimballent, entre les arbres, les pêcheurs à longue embarcation. Jamais au cœur du géant, les Congolais lui caressent les berges. Si loin, si proche.
Pour dompter le monstre, trois minutes suffisent. Traversée express, poussée à 25 minutes si les grands bateaux sont préférés aux navettes. Des antiquités des mers, sorties du Coeur des Ténèbres de Conrad, et arrimées les unes aux autres. Façon invincible armada rouillée dont le destin semble devoir s’achever comme sa devancière espagnole. Par le fond. Surchargées, rustiques, les bicoques s’avancent dans le tonnerre, prêtes à vomir leurs passagers par dessus bord.
Serrés sans être compressés, les embarqués de vedettes n’en mènent pas plus large sous leur gilet de sauvetage, bien dérisoire face à la puissance du courant.
De trois à 25 minutes de traversée, mais de trois à quatre heures pour changer de Congo. Une lente acclimatation, sous les bons auspices des douanes des deux Beach (Port). Sur les quais de Kin’, une noria sans nom. Dans un étroit couloir de grillages. Des dockers qui courent, s’agglutinent, trient, renversent. Les flics préviennent les passants. "Dépêche-toi tu vas te faire taper". Plus dangereux de traverser cette voie que les artères de Kinshasa. Petit étape bakchich. Carnet de santé tout propre oublié, il faut une attestation de vaccin contre la fièvre jaune. 10 dollars, sans la piqûre avec le papier. Embarquement sans taxes supplémentaire, document diplomatique de la guide oblige.
Un laisser-passer sans grand importance sur l’autre rive. Sitôt arrivé… presqu’aussitot refoulé. Le policier ne jette même pas un oeil vers moi. Malgré les questions devant l’intitulé de la feuille où il gratte numéro du passeport, nom, prénom, et fonction Tout juste un "journaliste", est-il grommelé. Abacost marron, lunettes noires, chaîne en or. Pas un regard loin de sa feuille. Les interrogations sont répétées encore, et encore. Jusqu’à ce qu’un collègue daigne parler à sa place. "Il est trop concentré à parler pour écrire". Vingt minutes plus tard, un embryon d’explication. "- Vous n’avez pas de certificat d’hébergement ! On vous refoule, vous prenez le premier bateau !
Mon visa est en règle pourquoi ne m’ont ils rien demandé à votre ambassade ?
Ce sont des incompétents ! C’est dans l’article 22 de la loi je vais vous la montrer".
Bien du temps de gagné. Le douanier fouille son bureau, celui du voisin. Là une paire de chaussette, ici une chemise. Plus loin des cigares. Texte introuvable. Direction la capitainerie pour une nouvelle explication.
"C’est l’article 22, je vais vous le montrer". La loi fantôme n’apparait pas plus dans les casiers du patrons. Nous jouons la montre en attendant un hypothétique sauveur, baptisé Beethoven.
"- Maintenant vous venez avec moi la police nous attend !
Je peux finir ma clope ?
Non je suis stressé ne me stresse pas plus !
Pourquoi vous stressez, c’est moi qu’on expulse".
Prise par le bras. "Attendez j’attends qu’on me montre l’article 22". Le flic congolais apprécie aussi peu l’humour que le français, quand bien même certains policiers congolais arborent une tenue tricolore, siglée police nationale. De la saine coopération. "Non, tu viens maintenant". Passeport en main, menaçant, son regard se trouble à la vue d’un pick up qui fend le contrôle et s’arrête devant le baraquement. Et quand mon "article 22" s’extrait avec un sourire de la voiture, mon passeport vole. Lâché. Plus personne ne veut le toucher. "C’est pas moi", souffle le policier qui s’apprêtait à m’embarquer.
"Mais tu es qui toi ? Et toi que fais tu là ? Et toi je pourrais être ton père !". Pas même une once de négociation de la part de Beethoven Yombo, influent mécène de la musique congolaise (et producteur de musique de campagne de Sassou en 2009). Tout juste des sourires. Retour de mon passeport. J’ai laissé une adresse. Un peu héberlué de sortir de ce Beach de sinistre mémoire.
En 1999, après trois guerres civiles, le Congo-Brazzaville entre dans une période de paix relative. Trois cents cinquante réfugiés, en provenance de Kinshasa, accostent sur le Beach, principal port de Brazzaville. Et s’évanouissent malencontreusement dans la nature sitôt après le passage des milices de Denis Sassou Nguesso, le président congolais. Justice françaises et congolaises s’assiéront gentiment sur le dossier, rangé dans les caves des guerres civiles.
Dès les premiers pas hors le port, pourtant, les vestiges sont là. Un immense bâtiment dévasté par les tirs de mortiers, les rafales. A deux cents mètres, un immeuble squatté présente encore des impacts de balles. Le plus bel hôtel de la ville avant les affrontements souffre encore de blessures à l’armes lourdes. Des trous béants, vestiges des affrontement entre milice Zoulou (proche de l’ex président Lissouba), Cobra (proche de Sassou) et Ninja (proche du Premier ministre Kolélas). Et leurs marques laissent planer le fantôme des massacres, pourtant achevées en 2002. Quand Kinshasa, encore victime de tirs à l’arme lourde en 2007, a été ripolinée par les entreprises chinoises. "Peut-être une volonté de Sassou de rappeler aux habitants qu’il ne faut pas contester ces élections", sourit un habitué de la traversée.
D’un bord à l’autre du fleuve, la rumba congolaise. Et ses si variées mélodies.