Chaque semaine, Jacques Gaillard plonge dans son dico perso et rhabille les mots à la mode.
MÉMOIRES, m. pl. : récit autobiographique
Lorsqu’on écrit ses mémoires, ils sont au masculin pluriel. Il est donc scandaleux d’affirmer que « les mémoire de Chirac sont sensationnelles », même dans toutes les rédactions où l’on confond « être près de » et « être prêt à ». C’est moins grave, me direz-vous, que de confondre Viagra et mort-aux-rats : chacun son job – heureusement ! Veillons à bien choisir l’épithète : par exemple, les mémoires de Jacques Chirac peuvent être « utiles », mais ne sauraient être « édifiantes ».
Il est bon que les hommes importants prennent le temps, une fois retirés des affaires, de récapituler ce qu’ils ont fait et la manière dont ils pensent l’avoir fait. C’est comme La Guerre des Gaules, de César : sans ce mémorandum lourd de falsifications, on ne saurait presque rien sur les Gaulois, qui n’écrivaient pas de livres. Par bonheur, nous avons, pour pénétrer la vie et l’œuvre de Chirac, trois tonnes de commentaires bien informés et d’analyses pénétrantes. D’où il ressortirait, finalement, que le pépère était crypto-rad’soc, toucheur de boeufs, amateur de bière mexicaine, chatelain boulimique et spécialiste des arts bancaires japonais. Donc on l’imagine mal se peignant en fidèle serviteur de la droite conservatrice au nom des valeurs quasi monarchistes sur lesquelles De Gaulle avait assis une république antiparlementaire. Le « c’était mieux avant », ça ne marche que pour la qualité des poulets.
Après deux mandats présidentiels, Mitterrand s’est laissé mourir sur le conseil des pharaons, Chirac surfe sur une étonnante popularité, qui lui vaudra sûrement d’énormes droits d’auteur. Finira-t-il best-seller, lui qui, de son vivant politique, a été jeune loup, démagogue des étables, assassin de Giscard, chef de la meute RPR, ami de Pasqua, ennemi de Balladur, admirateur de Mitterrand, vendeur de pommes, réducteur de fractures, désodorant d’immigrés, liquidateur de majorité, résistant au bushisme, fondateur de musée et pythie silencieuse ? Bref, il y a matière à raconter, ce qui n’est pas évident pour tout le monde : voir les mémoires de Jospin, honnêtement intitulés L’impasse. Ah bon, ce n’était pas ses mémoires ?
Politiquement, Chirac a changé huit fois de style, littérairement, on l’attend au tournant. Mais tout en faisant fait briller son style époustouflant, Chateaubriand révéla sa futile fatuité et sa phénoménale nullité politique. Les mémoires, c’est dangereux. On y trouve aussi, sous l’ombre de la gloire, tout ce qu’il vaudrait mieux oublier.