Présidente de la chambre financière du tribunal de Nanterre, en charge d’une des 4 enquêtes de l’affaire Bettencourt, Isabelle Prévost-Desprez estime que l’Elysée ne considère plus les procureurs comme des magistrats.
Isabelle Prévost-Desprez ne pousse-t-elle pas le bouchon un peu trop loin en se présentant, dans son livre publié en mai dernier, comme Une juge à abattre [1] ? Cette grande femme blonde de 51 ans raconte que Philippe Courroye, le procureur de Nanterre, l’a carrément « placée sous surveillance ». Lors des audiences qu’elle préside, un membre du parquet vient presque systématiquement s’installer dans la salle « sans autre motif apparent que de venir m’écouter ».
Et la première fois que le dossier Bettencourt passe au tribunal, « nous avions été surpris de constater que, prenant prétexte de questions de sécurité, le parquet avait fait bloquer les portes de la 15e chambre par la police », raconte-t-elle. L’événement n’est pas anodin. En effet, la police de l’audience relève légalement d’Isabelle Prévost-Desprez, la présidente de cette chambre, pas de celle du procureur Philippe Courroye.
Apparemment, la magistrate n’exagère guère. À l’entrée du tribunal de grande instance de Nanterre, quand Bakchich a demandé aux hôtesses d’accueil le bureau d’Isabelle Prévost-Desprez, on nous a d’abord répondu qu’on ne la connaissait pas…
Puis, devant notre insistance, on nous a expédié vers les sommets du bâtiment. Il faut savoir que ce tribunal, non loin du RER et de la préfecture des Hauts-de-Seine, est un cauchemar d’urbanisme. L’étage n’était pas le bon. Retour à l’accueil, où une autre hôtesse nous oriente, une nouvelle fois, dans une mauvaise direction. Finalement, il a fallu que Bakchich appelle Isabelle Prévost-Desprez sur son portable pour que cette dernière puisse nous guider jusqu’à son petit bureau encombré des dossiers.
Le crime de cette dure à cuire qui a longtemps travaillé au pôle financier du tribunal de Paris ? Celui de mettre son nez dans les poubelles des Hauts-de-Seine, le duché présidentiel de Nicolas Sarkozy. Longtemps député-maire de Neuilly et président du conseil général de 2004 à 2007, succédant à Charles Pasqua. Or, Philippe Courroye, qui ne fait pas mystère de ses liens avec l’Elysée, a été nommé procureur à Nanterre en 2007 contre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature.
« Il a été perçu, notamment y compris par la presse, comme agissant en gardien des intérêts de l’Etat et de son sommet », lâche Isabelle Prévost-Desprez dans son livre Une juge à abattre. En clair, la mission de Philippe Courroye consiste à défendre bec et ongles les intérêts des proches de Nicolas Sarkozy. Comme Manuel Aeschlimann, ancien maire d’Asnières et toujours député UMP.
En mars 2009, il a été condamné par le tribunal de Nanterre à 18 mois de prison avec sursis pour favoritisme dans l’attribution d’un marché public, et une inéligibilité de quatre ans. Autre personne condamnée dans ce dossier, Fabienne Van Aal (trois mois avec sursis), la fille de l’ancien maire de Neuilly, Louis-Charles Bary, qui a succédé en 2007 à Nicolas Sarkozy.
Dans un autre dossier, toujours à Asnières, portant cette fois sur des faits de trafic d’influence et de recel d’abus de biens sociaux, Philippe Courroye a tenté de discréditer Isabelle Prévost-Desprez en prétendant qu’elle aurait « convaincu le conseil de la commune d’Asnières de citer M. Aeschlimann aux fins de poursuite ». Et qu’il s’agit d’« un écart grave à la déontologie d’un magistrat du siège ».
Une accusation aussitôt démentie par le vice-président chargé de l’instruction au tribunal de Nanterre, et par Sébastien Pietrasanta, le nouveau maire d’Asnières, qui a succédé à Manuel Aeschlimann. Autre dossier embarrassant : celui des irrégularités sur des marchés de chauffage dans les Hauts-de-Seine. Des détournements portant sur 15 millions d’euros pourraient peut-être conduire à Charles Ceccaldi-Raynaud, l’ancien maire de Puteaux, et à sa fille Joëlle, qui lui a succédé, et qui tient au chaud l’ancienne circonscription de Nicolas Sarkozy.
« Je crois malheureusement que les procureurs ne sont plus considérés comme des magistrats par le pouvoir actuel. L’Elysée ne les respecte guère. Il ne les traite même pas comme des préfets, plutôt comme des sous-préfets », ironise Isabelle Prévost-Desprez.
Dernier épisode dans la guerre qui oppose les deux magistrats : Isabelle Prévost-Desprez est chargée de juger le photographe François-Marie Banier, soupçonné d’abus de faiblesse au préjudice de Liliane Bettencourt. Elle a donc demandé à entrer en possession des enregistrements réalisés par l’ancien majordome de la femme la plus riche de France. Philippe Courroye, en charge des trois autres enquêtes de l’affaire Bettencourt, détient ces enregistrements : il refuse de les lui transmettre. Courroye cassé ?
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[1] Isabelle Prévost-Desprez, avec Jacques Follorou, Une juge à abattre, Fayard, 245 p.