Les auteurs de polars sont des gauchistes qui ont oublié d’être cons. "La nuit des chats bottés" est le 2e de Fajardie.
En 1977, dans La nuit des chats bottés, tous les chars sont noirs. Les AMX 30 prennent la couleur de la CNT.
Le roman est publié en 1977. En août, les manifestations contre l’extension du camp militaire du Larzac se durcissent. Les militaires se crispent. 50 000 personnes défilent derrière une centaine de tracteurs sur lesquels prennent place des appelés du contingent, cagoulés et en uniforme.
L’armée française avait déjà des relations difficiles avec la gauche, et encore plus avec son extrême. L’inverse est aussi vrai. Les évènements d’Algérie sont dans toutes les mémoires. Chaque camp tire tendu. Tortures et tentative de coup d’Etat d’un côté, porteurs de valises de l’autre. Dans chaque système de valeurs, un crime insupportable.
Cette situation est d’autant plus difficile à vivre que depuis 1940 l’armée française n’a pas rendez-vous avec l’histoire.
Après la défaite de 40, la guerre d’Indochine commence comme une transition heureuse. C’est le conflit romantique d’une armée héritière des traditions aristocratiques et chevaleresques. Le panache donne du sens à l’engagement, bien plus que la victoire. L’armée a fait sa guerre seule, loin des médias. Certains officiers l’ont même quasiment faite dans leur coin. Ils ont recruté des supplétifs. Se sont battus comme des petits hobereaux.
La défaite de Diên Biên Phû les a rattrapés. L’armée française quitte l’Indochine l’arme entre les jambes. Plus jamais ça ! L’histoire ne doit pas repasser les plats. C’est la promesse des officiers qui ont été internés dans les camps vietminh et de ceux qui ont abandonné leurs supplétifs. Ils vont s’exécuter.
Ce sera la torture, le putsch et l’OAS. Les murs de Paris se couvrent de graffitis : « OAS = SS ». Beau résumé mais un peu court.
Les slogans tuent les nuances. George Bidault, le successeur de Jean Moulin, excusez du peu, est un des fondateurs de l’OAS. Jacques Soustelle est un résistant de la première heure. Deux hommes, deux membres éminents de l’Algérie française, deux grands résistants. Tout sauf des SS.
En 1977, l’Algérie est indépendante depuis 15 ans. Fajardie en a 30. Il écrit son deuxième roman.
Fajardie a eu une enfance heureuse. Rien ne le destinait à être un des auteurs les plus violents du néo-polar.
Son père est un homme d’affaires failli qui s’est reconverti dans les bouquins, passant ainsi du XVIe arrondissement au XIIIe. De la bourgeoisie coincée au quartier populaire. Frédéric H. Fajardie a donc passé une partie de son enfance dans la boutique familiale fréquentée par de grands auteurs, comme Kessel, Boudard, mais aussi de petits jeunes qui allaient devenir célèbres comme Siné, Truffaut et d’autres.
Pour le reste, comme la grande majorité des écrivains du néo-polar, c’est un homme de gauche qui privilégiera toujours les faits sur le discours. Un homme qui à l’aube de sa vie pouvait dire « je ne crois plus à la révolution, en tout cas pas comme j’y croyais à 20 ans, avec drapeau rouge au dessus de l’Elysée et l’état de fête permanente décrété par les Conseils de quartier. Il ne m’a servi à rien d’avoir brûlé des milliers de cartouches, d’apprendre à tirer au bazooka, à lancer des grenades avec la précision d’un champion de pétanque, et à poser des pains de plastic. »
Sa connaissance des armes et des explosifs n’a pas servi la révolution on peut le regretter. En revanche, elle a permis à Fajardie d’écrire des romans documentés, on s’en réjouit encore.
Les deux personnages principaux de ce polar sont des militaires. Pas des anciens des commandos parachutistes comme le père de Machin (le héros d’ADG), mort capitaine dans les Aurès en 1961. L’armée française est toute à la guerre froide. Depuis 1966, elle se dote progressivement d’AMX 30. La conclusion de Fajardie ne se discute pas. Quand ces 30 tonnes d’acier visitent les magasins des Champs-Elysées, c’est pas la fête nationale.
Ces deux personnages sont en rien des soudards avinés. Le chef est lieutenant du et de génie. Son ami est sergent. Une très belle histoire d’amitié les unit. Comment peut-on être étranger à « la fraternité des combats et des espérances partagées » lorsque l’on a connu mai 1968 ?
La nuit des chats bottés, c’est aussi une histoire d’amour… La maman de Fajardie a travaillé dans les filatures du Nord… Son grand-père maternel est ouvrier. La suite se lit dans ce livre apocalyptique et rythmé.
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