Régis Debray, 70 ans, a été élu à l’Académie Goncourt. Son ultime acte révolutionnaire fera le bonheur des marchands.
Régis Debray a d’abord fréquenté de très grands bourgeois, des capitalistes comme Jacques Vergès, Fidel Castro, Che Guevara et Salvator Allende. C’est après une rencontre avec François Mitterrand, qu’il est devenu révolutionnaire. Jusqu’à travailler à l’écriture d’un ouvrage majeur, « La résolution dans l’irrésolution », hélas jamais achevé.
Toujours en rupture, en escalade avec sa rigueur mise à changer le monde, il a fini par partager le marxiste caviar des Badinter puis faire marche commune avec Dominique de Villepin qui est Saint Just. Ce n’était pas encore assez.
Le point G de la révolte Régis vient de l’atteindre en accédant à la salle de déjeuner de Drouant où siègent les Goncourt : le voilà juré d’un prix qui n’a pas de prix, le bonheur des marchands qui facilite la tâche des dames de province quand elles veulent faire cadeau d’un livre.
En se présentant au suffrage de cette machine à tresser le laurier, qui est à la littérature ce qu’Elisabeth Tessier est à la sociologie, l’éternel inconscient Debray n’a pas senti passer le frisson du suicide. Pourtant, cette fois, notre homme est mort. Même s’il bouge encore, pareil au canard courant alors qu’il a perdu la tête.
Suicidé ? C’est un peu fort ! Non, quand on sait qu’après De Gaulle et Elie Barnavi, le vrai maître de Régis était Julien Gracq, l’exemple de normalien qu’il a rêvé d’être. Et que ce dernier, auteur immense et homme exemplaire, a refusé le prix Goncourt en 1951 pour son « Rivage des Syrtes », et qu’il a écrit un pamphlet, « La littérature à l’estomac ». Ainsi il restera dans l’histoire qu’à force de faire des révolutions, tel une capsule spatiale, Régis a été fusillé de six ronds de serviette tirés par un peloton d’écrivains couchés dans leur mangeoire. On ne fait pas d’omelette sans casser l’œuf de la fidélité.