L’itinéraire de Claude Thévenet, l’homme par qui le scandale de l’attentat de Karachi arrive, laisse un peu perplexe ceux qui ont touché au dossier. Et les barbouzes qui ont cotoyé l’ex de la DST.
Un scénario bien ficelé. Un méga contrat aéronautique qui porte sur des millions d’euros et une foultitude de commissions entre la France et un pays à l’atmosphère un brin barbue.
Un attentat qui dynamite 11 ingénieurs Français de l’aéronovale dans ledit pays. Un gros chapeau que l’on fait porter à une nébuleuse terroriste un peu fuyante. Pour au final découvrir que l’attaque était commanditée par une frange des service secrets du dit-pays à l’atmosphère un brin barbue, un poil fâché de ne pas avoir reçu toutes ses commissions de la part de l’Etat français. Et apprendre que la France éternelle, non, ne se laisse pas marcher sur les pieds. Mais réagit et envoie ses services secrets châtier les impétrants. Pas seulement leur « briser les genoux » mais bien les envoyer ad patres.
Du sang, de la sueur, des larmes et de l’adrénaline. La série Reporters de Canal + a fait un tabac. Et continue de faire couler un peu d’encre. Comme l’a fort bien relevé Arrêt sur images, l’histoire, produite et scénarisée par l’agence Capa, épouse avec délectation la nouvelle thèse sur l’attentat de Karachi contre 11 ingénieurs français de la DCN en 2002. Avec toutefois une nuance, la DGSE se serait limitée en représailles à « briser les genoux » de menus généraux pakistanais. Tout est dans la nuance.
Il existe au moins un homme qui adore le scénario de la série de Canal. Claude Thévenet. L’ex-flic de la DST, qui a abandonné le service de l’Etat il y a au moins 15 ans, n’a jamais manqué de conseiller à ses interlocuteurs de bien regarder la série Reporters. « Il en riait même avec son avocat », confirme un de ses amis, « du genre ah elle est bien faite cette série on y croirait ».
Mais depuis vendredi, l’ami Claude s’est fait plus discret. Thévenet n’est pas seulement un fan de télé, mais aussi l’homme par qui le scénario de l’attentat de Karachi est brutalement devenu une affaire d’Etat. En confiant à Mediapart qu’il était bien l’auteur du fameux rapport Nautilus, un document interne à la DCN qui analyse les raisons de l’attentat et l’oriente vers le non versement de commissions. Et en décrivant que la DGSE a sorti, en 2002, ses barbouzes du boulevard Mortier pour les envoyer briser les genoux d’étoilés pakistanais. Peut-être un peu avant, peut-être un peu après l’attentat !
Déjà mis en examen dans une vaste affaire de corruption pour son travail au sein de la Direction des chantiers navals, voilà Thévenet qui fait la une. Et par qui est lancé la nouvelle thèse de l’attentat de Karachi. « Pas franchement sa tasse de thé, il doit encore regretter d’avoir parlé », assure un des nombreux hommes d’affaires qu’il a pu croiser. Et qui l’apprécie.
Dans le petit monde du renseignement, le bon Thévenet ne fait guère l’unanimité. « Un brin mytho », pointent les plus cassants, « un bon homme d’affaires », les plus mesurés. Sa proximité avec l’ancien patron des renseignements généraux Yves Bertrand, le flic aux fameux carnets, ne plaide pas en sa faveur. Son contrat de quelques mois entre fin 2006 et début 2007 au Congo-Brazzaville pour former une partie de la garde présidentielle de Denis Sassou Nguesso, beau-père de feu Omar Bongo non plus. « C’est surtout un bon écrivain », pointent les plus mesquins. A son palmarès, deux bouquins chez Flammarion, Les Loups de Mindanao et Opération Dédale - du genre Gérard De Villiers- et un rôle de nègre. Auprès de l’ex-juge, feu Thierry Jeanpierre, pour son Taiwan connection sur les fameuses frégates vendues par la France au petit ilot qui résiste encore et toujours à l’envahisseur chinois…
De là à faire de l’histoire pakistanaise une de ses nouvelles il est un pas. Et des arguments que ses détracteurs, ou plus simplement quelques enquêteurs qui ont eu à toucher au dossier ne manquent pas d’avancer.
A commencer par un ancien ponte de la DGSE qui,, a confié à un journaliste de Bakchich que c’était un « bordel purement pakistano-pakistanais ». Sans compter qu’une opération de représailles des barbouzes du boulevard Mortier, siège de la Dgse, était hautement improbable. A l’époque, les services étaient décapités, soupçonnés par le président Chirac d’avoir enquêté sur son compte japonais.
Un magistrat qui se rappelle du doux brouhaha de Karachi se veut quant à lui plus formel au moment d’évoquer les commanditaires de l’attentat. « Le modus operandi de l’attaque est clairement islamiste. Et les tensions entre la marine, bastion anti-islamiste et les services secrets étaient tels que les Français ont été pris entre le marteau et l’enclume. Mais rien à voir avec un contrat DCN ou des commissions manquantes ». Une analyse que partageait même Alain Chouet, ancien patron du renseignement à la DGSE, qui livra sa pensée dans la revue de l’Ifri à l’été 2003 (voir extrait en encadré).
D’autant que comme l’a décrit Bakchich, 88% des commissions avaient déjà été réglées au moment où Jacques Chirac a tenté de les récupérer auprès d’intermédiaires balladuriens. En 1996. Rancuniers les intermédiaires. Six ans après, faire sauter 11 Français pour 12% et quelques millions, sept ans après.
Abracadabrantesque aurait dit l’autre.
Voilà l’analyse que faisait en 2003 Alain Chouet, ex-patron du renseignement à la DGSE sur l’état du régime pakistanais du président Musharraf et l’attentat dont ont été victimes les Français.
« Violence islamiste et réseaux du terrorisme international », Politique Etrangère, Ifri, n°3-4, été 2003
« L’état de tension intérieure et extérieure, notamment avec l’Inde, ne permet cependant pas de changer de cap rapidement et Musharraf ne peut qu’entreprendre avec la plus extrême prudence les réformes nécessaires à recentrer ses dispositifs sécuritaires et à effacer les traces des « incidents de parcours ». Les séquelles du 11 septembre et les pressions américaines lui permettront d’accélérer le mouvement mais non sans « dommages collatéraux ». Sa tactique a essentiellement consisté à faire monter en puissance l’influence de l’I.B. (sécurité intérieure) où la composante militaire et pachtoune est moins prégnante, et, au sein de l’ISI, à abaisser l’importance relative des cadres pachtouns de l’armée de terre au profit de cadres de la marine et de l’aviation, originaires du centre et du sud du pays, plus ouverts sur le monde et peu enclins à l’extrémisme identitaire religieux. Ce faisant, il déclenche cependant une guerre des services et des clans au sein de l’armée qui s’analyse en une série de signaux violents et indirects dont le journaliste Daniel Pearl - parce qu’il approchait du terme de son enquête mettant en cause le soutien de l’ISI aux groupes terroristes -, les techniciens de la DCN française - parce qu’ils constituaient une cible facile, spectaculaire et significative liée à la marine ‑ , des diplomates et fonctionnaires américains sur site - parce que l’on espère ainsi faire baisser le niveau des pressions américaines - , font les frais. »
A lire ou relire sur Bakchich.info
Mediapart vient de publier une nouvelle interview de Claude Thevenet avec de nouvelles revelations…Mytho ou vérité ? À vous de vous faire une idée
http://www.mediapart.fr/journal/france/060709/affaire-karachi-je-suis-pris-dans-une-affaire-d-etat-nous-declare-claude-theve
Ce serait certainement un avantage indéniable pour nos forces armées.
"11 ingénieurs Français de l’aéronovale".
L’auteur s’est-il un jour intéressé à la défense ou est-il un expert en histoire de l’art ?
Le contrat portait sur des sous-marins à propulsion classique.
Il semble que le contrefeu juridico-politique soit actionné.