« Bakchich » clôt aujourd’hui sa saga sur les grandes et petites coulisses des derniers grands contrats d’armement, notamment ceux liés à la Direction des constructions navales. Pour finir, une note confidentielle de l’ambassade de France en Australie analyse les raisons de l’échec français à vendre à Canberra des bateaux de transport de troupes et d’hélicos. Saisissant !
Pour vendre des armes, le lobbying commun de DCN et Thales a-t-il déjà touché ses limites ? Un attaché d’armement de l’ambassade de France en Australie le reconnaît lui-même dans une note estampillée « diffusion restreinte » que Bakchich a consultée, rédigée le 28 juin 2007, après l’échec de la vente à Canberra de bateaux militaires « de projection et de commandement » (BPC), dit-on dans le jargon. C’est-à-dire des navires capables de transporter troupes et hélicoptères. Ce sont les Espagnols de Navantia qui ont remporté le marché.
Un beau contrat de 750 millions d’euros qui a échappé en juin 2007 à la France pour de multiples causes que le responsable se fait une joie de détailler. L’« incapacité française à influencer le besoin australien » dans un sens conforme au bateau français est patente. « Des témoignages concourent à montrer que les représentants de Navantia, profitant de leur présence en Australie, ont eu des contacts avec l’équipe en charge de la rédaction des spécifications (…) et ont influencé celles-ci », assure le document.
Les Français ont tâtonné avant de trouver le meilleur partenaire local, et bien entendu ont misé sur le mauvais cheval. Mieux encore, la partie adverse, composée d’une alliance Navantia (les Espagnols) et Tenix (australien), a produit un « lobbying exceptionnel ». « L’objectivité oblige à tirer un coup de chapeau à Navantia et Tenix pour l’efficacité de leur lobbying », avoue le rédacteur de la note. Escales des bateaux espagnols en Australie synchronisées avec les visites de ministres et de hauts gradés sur place, médiatisation à outrance… Et dans le même temps, « il n’a pas été possible d’organiser une visite du ministre de la Défense français (trois annulations successives), ni du chef d’État-major de la Marine », regrette l’attaché d’armement, dont la tutelle directe se situe à la Délégation générale pour l’armement. C’est surtout Michèle Alliot-Marie qui a du entendre ses oreilles siffler.
Petites perles du document : l’ancien Premier ministre Jose-Maria Aznar, membre du conseil d’administration de la société News Corp de Rupert Murdoch, « a utilisé ses réseaux pour soutenir Navantia ». Dominique de Villepin, qui vient de créer sa société de consultant international, pourra suivre son exemple… Et l’on apprend « de source sûre », assure le signataire de la note, que la famille propriétaire de Tenix, qui a décroché le contrat, « a hautement financé tant la coalition gouvernementale que l’opposition ». Ils savent faire les choses en Australie.
Le chef de la Marine australienne a pu voir le bâtiment lors d’une visite en France mais « les rencontres d’États-majors marines organisées en France en juin 2007 (au niveau des n°2) ont été trop tardives ». Selon l’attaché d’armement, si les industriels s’étaient plus mobilisés, le soutien étatique français aurait été plus poussé. Encore faut-il que l’affaire soit financièrement juteuse, ce qui visiblement n’était pas le cas : 6% de marge, pas plus, selon les calculs des uns et des autres.
Tout a fonctionné de travers dans cette affaire. Quelques jours avant que les Australiens rejettent l’offre française, Thales Australia annonçait encore que les décisionnaires « sont soit acquis à notre cause, soit neutres ». Cocorico ! Les Français ont-ils cru que leurs succès précédents (torpilles, hélicoptères, avions ravitailleurs) leur assuraient la réussite sur le bateau de projection ?
« L’incapacité à influencer suffisamment en amont le besoin opérationnel a été le facteur déclenchant de tous les problèmes ultérieurs », conclut le document qui évoque aussi la mauvaise prise en compte des réalités industrielles australiennes comme du secteur local de la construction navale.
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