Pour vendre des sous-marins au Chili en 1997, Jacques Chirac et Lionel Jospin ont laissé la Direction des constructions navales faire appel aux services d’un des conseillers les plus proches du général Pinochet. Et ce contrat juteux court encore !
À la fin de l’année 2006, le sous marin chilien « le Carrera » quittait le chantier espagnol de Carthagène en direction de Talcahuano au Chili. La construction du navire avait été le résultat d’une coopération fort réussie entre les Français de la Direction des Constructions Navales (DCN) et les Espagnols du groupe Navantia. Le sous-marin arrivait enfin à bon port après un périple de 8500 miles C’était le deuxième du genre livré aux Chiliens.
C’était au printemps 1997 qu’avait été signé ce contrat entre Français, Espagnols et Chiliens. En France, la fâcheuse dissolution de l’Assemblée Nationale par Chirac avait donné les rênes du gouvernement à Lionel Jospin et aux socialistes. Au Chili, le sympathique général Pinochet, qui avait organisé le coup d’état militaire sanglant contre Allende, n’était plus au pouvoir, mais était resté le chef d’Etat-major de l’Armée. Son influence était, comme on va le découvrir, encore considérable.
Les deux sous-marins livrés au Chili n’avaient jamais été expérimentés ailleurs. Dans ces conditions, le contrat fut particulièrement dur à arracher pour les Français et les Espagnols. Lesquels firent appel à deux consultants efficaces, du nom de Pedro Felix de Aguirre et de Francesco Muzard. Tous deux, pour leur efficacité présumée, touchèrent quelques gâteries, dont témoignent les deux contrats que Bakchich s’est procurés (voir ci dessous)
Bakchich a voulu en savoir plus sur ces deux entremetteurs. Le premier, Francisco Muzard , est le fils d’un gaulliste historique et reste encore aujourd’hui l’un des patrons de l’Ump en Amérique Latine. Plus intéressant est le parcours de Pedro Felix de Aguirre, un homme de l’ombre qui fut, jusqu’à l’arrestation de Pinochet à Londres, le fidèle d’entre les fidèles. Le pauvre Aguirre est aujourd’hui disparu, son fils, avocat, a repris la plupart de ses affaires.
Le visage de Pedro Felix de Aguirre Lamas est inconnu de la plupart des chiliens. Et il n’apparaît pas dans les fichiers de Google ou autres banques de données. Dès les années 80, l’ami Pedro Felix apparaît dans plusieurs sociétés dont la famille de Pinochet est partie prenante ; on y trouve aussi des officiers importants de la « Fuerza Aerea » (Forces aériennes chiliennes). Pendant la dictature, De Aguirre s’enrichit dans la vigne et les armes, comme le décrit le journaliste d’El Pais, Ernesto Ekaiser, dans son livre Moi Augusto. Pedro Felix de Aguirre était particulièrement proche de Lucia Pinochet, la fille aînée d’Augusto, ainsi que de l’épouse, l’avenante « Dona Lucia ». Rien de nature à troubler, apparemment, nos officiers de la DCN qui prirent langue avec lui.
C’est lui qui fit quelques enquêtes discrètes pour le compte de Pinochet sur le degré d’avancement des enquêtes des juges espagnols sur le compte du bon général. Il tenta de convaincre Pinochet qu’il devait s’entretenir avec le magistrat espagnol Garcia Castellon, un conservateur qui était prêt à classer le dossier Ce que l’ancien dictateur ne fit pas.
Les secrets que cet entrepreneur et ami de la famille connaissait sur la fortune des Pinochet ont intéressé un moment les deux juges chiliens Sergio Munoz et Juan Guzman. Ces deux là auraient du s’intéresser de plus près aux secrets de la DCN Internationale (DCNI).
Pedro Felix de Aguirre laissa de mauvais souvenirs à ses partenaires français. On le vit piquer une colère contre les cadres de la Canadian imperial bank of commerce (CIBC), qui travaillait pour la DCNI, appeler le siège à Toronto, tempêter et dénoncer les retards de paiements. « Un mal élevé », explique un gradé du ministère de la Défense.
Depuis ce contrat chilien, d’autres sous marins du même type ont été vendus par les Français et les Espagnols : six à la Malaisie et deux à l’Inde. Or les intermédiaires Chiliens qui ont favorisé la vente des premiers sous marins sont intéressé à la vente des suivants, comme l’atteste un document confidentiel à en tète de la DCNI daté du 17 décembre 1997 et adressé au capitaine chilien Alejandro Herrmann Hartung. Il y est indiqué que pour chaque navire vendu à un autre pays, les Chiliens toucheront six millions de francs.
De quoi arrondir leur fin de mois, rien de plus. Comme on le verra demain mardi, l’époque bénie des gros contrats et des commissions rondelettes appartient bien au passé.
En matière d’armement, la France a parfois fait appel à des intermédiaires très peu recommandables : le général Paul Aussaresses l’a constaté, comme il le raconte dans son dernier livre, Je n’ai pas tout dit (éditions du Rocher), dont les bonnes feuilles avaient été publiées par L’Express en avril dernier.
Le général au bandeau noir racontait comment, chargé par des firmes d’armement françaises de prospecter en Bolivie à la fin des années 1970 pour de nouveaux contrats, il était tombé à La Paz sur Klaus Barbie, l’ancien officier de la Gestapo, recherché par la justice. Ce dernier travaille avec les groupes de défense et fait son beurre comme intermédiaire. Révélations d’Aussaresses : « la France a livré une bonne quantité de canons à la Bolivie grâce aux bons offices de Klaus Barbie. Et Barbie a palpé une commission de la part de la France ». Et de conclure : « Je n’ai pas envie de me mettre mal avec le Giat (le constructeur de chars), mais ça, ce n’est pas bien ».
Si Aussaresses le dit !
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