Le Pakistan est loin, compliqué, et il a depuis longtemps mauvaise réputation. Mais les conséquences socio-économiques des inondations sont déjà plus inquiétantes que d’éventuelles conséquences politiques.
Un cinquième du territoire pakistanais est sous les eaux. Après le Nord-Ouest, l’inondation a atteint le sud du Penjab et le Sind où le fleuve Indus habituellement large d’un kilomètre pendant la mousson atteint en certains endroits jusqu’à 25 kilomètres. Au moins 20 millions de personnes sont affectées et la mousson n’est pas terminée.
Pourtant les journalistes occidentaux persistent à ne voir la crise humanitaire que sous l’angle politique et ne nous parlent que de terrorisme. Ils vont à la recherche d’organisations charitables islamistes – n’importe quel barbu, et ils sont nombreux au Pakistan, fait l’affaire – et veulent nous convaincre que si les sinistrés reçoivent l’aide de ces organisations ils soutiendront les taliban. De même l’armée, efficace comme elle l’est traditionnellement dans les situations d’urgence, est soupçonnée de vouloir profiter de la situation pour reprendre le pouvoir.
Il est facile de critiquer le gouvernement pakistanais, mais quel gouvernement aurait été prêt à affronter une telle catastrophe ? Aurait-on déjà oublié Katrina ?
Les émissions de radio et télévision et les articles consacrés aux inondations suscitent des réactions haineuses, comment s’en étonner alors que depuis des années les médias ne nous ont montré du Pakistan que des hordes vociférantes de barbus enturbannés ou des femmes brûlées et que le Pakistan n’est vu qu’au prisme du lien avec le conflit afghan au point que beaucoup confondent les deux pays et que certains disent que les Pakistanais ont mérité ce qui leur arrive puisqu’ils ont collaboré avec les taliban contre les forces de l’OTAN…
Les 175 millions de Pakistanais ne sont pas des terroristes et ils ne soutiennent pas les talibans qui leur font payer un prix très lourd : plus de 3500 civils et autant de militaires ont été tués dans des attentats-suicides depuis juillet 2007, l’année 2009 ayant été la plus sanglante, mais qui s’en soucie ici ? Le Pakistan est loin, compliqué, il a depuis longtemps mauvaise réputation – le « déficit d’image » -, et surtout les Pakistanais sont musulmans et dans le monde de l’après 11 septembre ils sont de mauvaises victimes.
Les images des Pakistanais fuyant la montée des eaux évoquent celles des colonnes de réfugiés de la partition de l’empire des Indes en août 1947, coïncidence étrange, c’était aussi pendant le mois de Ramadan. Ce sont les paysans qui sont sur les routes, les Pakistanais oubliés, ceux que les télévisions ne nous montrent jamais, beaucoup d’entre eux n’avaient jamais quitté leur village où ils vivaient certes dans la pauvreté, mais dans la dignité. Ils ne s’intéressent pas à la politique et encore moins au jihad, et ils ne se préoccupent pas de savoir si ceux qui leur apportent de la nourriture et de l’eau potable sont des modérés ou des extrémistes, ils ne pensent qu’à leur survie et à nourrir leurs enfants qui ont faim.
Les conséquences socioéconomiques des inondations sont trop souvent ignorées et pourtant elles sont beaucoup plus inquiétantes que d’éventuelles conséquences politiques. Les infrastructures, ponts, routes, systèmes d’irrigation, sont détruites et les centrales électriques sont hors d’état de fonctionner. Plus de 700 000 hectares de terres agricoles sont inondées. Les récoltes sont perdues et le prix des denrées alimentaires monte en flèche. Dans ce pays où l’on fait deux récoltes par an, on se demande si le blé d’hiver pourra être planté à la mi-septembre : il faudra six à sept mois avant que la terre ne soit plus détrempée et les stocks de semences et d’engrais sont détruits. La pénurie alimentaire qui menace affectera surtout les plus pauvres.
La moitié des agriculteurs pakistanais possèdent moins d’un demi-hectare de terre et leur principale source de revenus est leur bétail. C’est pour cette raison que certains ne voulaient pas quitter leur village sans être sûrs que leurs buffles et leurs chèvres seraient évacués, c’est souvent leur seule richesse. Des centaines de milliers d’animaux ont disparu dans les flots.
La récolte de coton est en partie détruite. Les conséquences seront lourdes pour l’industrie du textile qui fournit la plus grande partie des exportations et emploie des millions de personnes dont beaucoup avaient déjà perdu leur emploi à cause des coupures d’électricité jusqu’à 10 heures par jour. Les patrons d’ateliers textiles n’ont pas les moyens de payer le fuel alimentant les générateurs.
Quatre millions de paysans sindhis ont quitté leur village. Dans cette région la terre appartient à de grands propriétaires, ceux que l’on appelle des féodaux. Les paysans presque toujours endettés envers eux cultivent leurs terres, souvent comme journaliers. D’autres s’étaient installés sur le kaccha (les terres crues), les terres riches en alluvions sur les rives de l’Indus ; au fil des ans des villages s’étaient construits, tout a été dévasté.
Ces paysans qui ne pourront plus retourner dans leur village se dirigent vers les villes, et particulièrement vers Karachi, où ils deviendront des déplacés économiques, vivant à la périphérie de la ville et de la société et sombrant dans la pauvreté chronique.
Karachi où vit déjà un Pakistanais sur dix et qui est en proie à de sanglants conflits ethniques et religieux qui recouvrent le plus souvent des luttes pour le pouvoir et pour l’accès à des ressources rares : la terre et l’eau. Ils rejoindront les dizaines de milliers de Pashtounes déplacés par les exactions des taliban et les destructions occasionnées par les opérations militaires dans les zones tribales et la vallée de Swat. Cette urbanisation forcée et non planifiée qui entraîne un bouleversement des équilibres démographiques est beaucoup plus déstabilisatrice que les taliban.
Les habitants de la vallée de Swat qui avaient subi les exactions des taliban avaient été déplacés durant l’été 2009 par les opérations militaires. Beaucoup avaient tout perdu, les récoltes de fruits avaient pourri sur les arbres et les maisons avaient été détruites par les bombardements de l’armée. Certains se sont réfugiés à Karachi où ils ne se sentent pas en sécurité et ont du mal à trouver du travail, tout Pashtoune y étant considéré comme un terroriste potentiel, mais où aller quand on a tout perdu ? Ceux qui sont rentrés chez eux avaient reconstruit pour tout perdre quelques mois plus tard. Beaucoup d’hommes de Swat travaillent dans le Golfe pour nourrir leur famille, les maisons et les commerces construits avec l’argent durement gagné pendant des années passées loin des leurs ont été détruits. La résilience des Pakistanais est surprenante mais comment ne pas être désespéré ? Combien de stress une personne peut-elle subir dans une vie ?
Un sondage auprès de 7545 personnes sur le site du Monde révèle que 56% ne sont pas prêtes à faire un don à une ONG pour les inondations au Pakistan. Changeraient-ils d’avis s’ils savaient qui sont les sinistrés et si on leur expliquait les conséquences socioéconomiques de cette catastrophe ? Ou pour eux la vie d’un Pakistanais vaut-elle moins que celle d’un Haïtien ?
Lire ou relire sur Bakchich.info :
Article très juste. Pardonnez mon cynisme mais je crains que les cerveaux soient déjà trop lavés pour que l’opinion change, en France, pays de ploucs.
La majorité des français ne doit même pas savoir situer le Pakistan, par contre ils savent que les pakistanais sont forcément tous des intégristes… C’est Lolo Ferrari qui l’a dit.
J’espère que les médias français opèreront un virage à 180° sur cette catastrophe, mais je ne me fais pas d’illusion. Le mal est déjà fait depuis le 11/9, depuis l’attentat de Karachi, chaque jour la propagande continue avec son fait divers ou son histoire sordide.
Et encore une fois, une population paye pour les conneries de certaines de ses classes dirigeantes.
Cdlmt