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Ventes d’armes de la DCN et de Thales (IIè partie), des grands contrats des années 90 aux petits arrangements entre amis

Enquête / jeudi 26 juin 2008 par Laurent Léger, Nicolas Beau
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« Bakchich » a pu se procurer des documents confidentiels sur le fonctionnement de la Direction des constructions navales (DCN), montrant notamment le rôle clé joué par l’intermédiaire Ziad Takiedine, à l’époque où Edouard Balladur était Premier ministre. Les deux juges du pôle financier, saisis fin février, n’enquêtent guère sur ces dossiers. Hier mercredi, ces magistrats ont mis en examen un ancien membre de la DST pour des faits secondaires d’intelligence économique. « Bakchich » va plus loin et décortique les filières de la Direction des Constructions Navales et de Thalès qui ont permis de distribuer de jolies commissions sur les grands marchés militaires français. Ventes de frégates, sous-marins, torpilleurs et autres bateaux : d’énormes marchés, dont nous racontons les coulisses depuis hier en six épisodes, ont donné lieu à une sacrée évaporation d’argent.

Frégates, Sawari, sous-marins : autant de pompes à fric

Le premier grand marché sur lequel intervient la Direction des Constructions Navales au début des années 90 est le fameux contrat des frégates vendues à Taiwan. Petit rappel des faits. En 1991, un consortium mené par Thales (alors Thomson-CSF), au nom de la Direction des constructions navales et d’autres industriels français, signe avec l’île nationaliste la construction de six frégates de combat. Un marché faramineux qui assure des millions d’heures de travail aux employés de Lorient, la ville marine dotée d’imposants chantiers depuis qu’en 1770 l’Arsenal royal y a été implanté. Pour les fameuses frégates, Thales opère au nom des Français pour une raison simple : la Direction des Constructions Navales (DCN), alors établissement public, ne peut pas négocier directement avec le gouvernement taiwanais que la communauté internationale ne reconnaît pas. Thales assure donc la façade et le groupe d’électronique de défense refacture ensuite à DCN à hauteur de 70%, via Sofrantem, une structure mise à disposition exclusive du Ministère de la Défense pour soutenir et gérer les exportations de ses arsenaux sur le plan financier. Une belle usine à gaz.

Foin des commissions, vive les « frais commerciaux »

Dès septembre 1991, les commissions prévues sur les frégates s’élèvent à 20,085% du total. Oh, l’horrible mot de « commissions » n’apparaît pas dans les documents et courriers relatifs à cet énorme contrat de 2,5 milliards d’euros. On évoque seulement de vagues « frais commerciaux », des sommes qui, encore à l’époque, étaient déclarées aux Douanes, comme le précise le document retrouvé par Bakchich (lire ci-dessous).

Les commissions sur les frégates, de vagues « frais commerciaux ».  - JPG - 48.1 ko
Les commissions sur les frégates, de vagues « frais commerciaux ».
Le montant du marché, avant l’avenant de 1993, s’élève à 2,23 milliards d’euros. Mais le document, signé de la main d’Alain Fribourg, alors directeur Asie de Thales, ne livre aucun détail. Sur les 1,83 premiers milliards, on a appliqué un taux de commission de 16,5%. Sur le reste, le taux a grimpé à 36,5%.

Certes, dans le contrat de vente des bateaux, un article 18 stipule, noir sur blanc, qu’aucune commission ne sera versée à l’occasion de la transaction. Précaution de jésuite quand on connaît les dessous des grands marchés internationaux… Un alinéa du contrat laisse d’ailleurs une porte ouverte à la distribution de ces commissions, expliquant que si d’éventuels intermédiaires devaient intervenir dans la négociation du marché, les parties devraient en être averties. Un arbitrage, toujours en cours, oppose sur ce point précis depuis des années Thales à Taiwan.

En 1993, le contrat est chamboulé. Au lieu que des morceaux de coques soient vendues à Taiwan et assemblées sur place par les chantiers chinois, il est décidé que les bateaux seront complètement montés en France. « La part industrielle qui revenait aux Chinois a été transférée aux Français, ce qui explique le coût supplémentaire pour Taipeh », relate un industriel. Pour Taiwan, la facture s’alourdit quand même de 180 millions d’euros.

Jean-Marie Boivin, l’homme de la tuyauterie financière

L’un des hommes clé des négos commerciales de DCNI, Jean-Marie Boivin, entre en scène en 1994. C’est l’homme de la tuyauterie financière à l’étranger, qui gère de discrètes sociétés étrangères. Bakchich tirera demain le portrait de ce fort aimable personnage mais, pour contourner le terrible suspense susceptible de saisir le lecteur, raconte une scène inédite – ubuesque même. Un jour de la fin des années 1990 se réunit en Suisse une sympathique assemblée : Boivin et d’autres cadres de DCNI, quelques représentants de Thales, ainsi que des membres de la famille d’Andrew Wang, l’intermédiaire mystérieux et obligé entre la France et Taiwan dont, on l’a appris plus tard, les 46 comptes bancaires ont reçu la faramineuse somme de 920 millions de dollars, dont 520 provenant de Thales.

L’objet du rendez-vous est d’échanger un chèque de 12,6 millions d’euros contre des documents originaux détenus par l’intermédiaire, une sorte de solde de tout compte accordé à Wang en échange de sa discrétion. On remercie là des années de bons et loyaux services. Depuis, Boivin a conservé en lieu sûr, dans un coffre à Zurich, une poignée de documents authentiques fort utiles en cas de coup dur. Une sorte d’assurance-vie… L’intéressé, contacté au téléphone et par courrier, n’a pas souhaité répondre à la demande d’entretien formulée par Bakchich. Du côté de Thales, on assure ne pas garder de souvenir d’une telle rencontre au sommet. Vraiment ?

Après les frégates, les sous-marins. Les réseaux d’intermédiaires de DCNI vont se déployer à nouveau, cette fois-ci pour la vente de trois sous-marins d’attaque à propulsion classique Agosta 90 B, commandés par le Pakistan le 21 septembre 1994. Ce marché, d’un montant de 840 millions d’euros, a été conclu sous l’égide de François Léotard, le ministre de la Défense d’Edouard Balladur. Quelques mois avant l’élection présidentielle de 1995, qui voit Balladur se préparer à mener bataille contre Chirac et Jospin, le gouvernement tente d’accumuler la signature de grands marchés. Divers « consultants » ont été rémunérés par les Français pour amadouer les généraux pakistanais, mais la palme revient à un acteur de l’ombre des ventes d’armes : Ziad Takieddine, dont Bakchich a parfois évoqué la vie trépidante… ou pas. Associé à un Libanais qui fréquente le mari de Bénazir Bhutto et à un Saoudien proche du roi Fahd, Ali Bin Mussalam, il s’entremet dans l’opération pakistanaise.

Un contrat de consultant signé par DCNI

A l’été 1994, deux mois avant que Léotard paraphe en grande pompe la vente des sous-marins à Islamabad, DCNI, par la main de son vice-président Emmanuel Aris, signe donc un contrat de consultant à Takieddine, via sa société panaméenne Mercor Finance. Comme le révèle le document ci-dessous, l’heureux homme se voit promettre 4% de la valeur du contrat. Soit près de 33 millions d’euros.

Le contrat de consultant à Takieddine signé par DCNI pour les sous-marins vendus au Pakistan - JPG - 44.3 ko
Le contrat de consultant à Takieddine signé par DCNI pour les sous-marins vendus au Pakistan

On fait promettre à l’impétrant qu’il ne peut transférer tout ou partie de sa rémunération en France, à des Français ou à des sociétés françaises : c’est mieux quand c’est dit… Bin Mussalam, reçu à Matignon et à de multiples reprises par les conseillers de Léotard, œuvre main dans la main avec les équipes balladuriennes.

Ziad Takiedinne - JPG - 26.9 ko
Ziad Takiedinne
© Masioni

Mais rapidement, au Pakistan, des amiraux et officiers de marine pakistanais se voient accusés d’avoir touché des pots-de-vin. L’opposition à Benazir Bhutto monte au créneau contre le frère du premier ministre, Murtaza Bhutto, son son mari et l’état-major. Un haut gradé est démis de ses fonctions en 1997. « Dès sa signature, ce contrat pakistanais a été entouré de soupçon de corruption, écrit L’Express en mai 2002. Il a ensuite connu, selon un rapport de la Cour des comptes, daté d’octobre 2001, de “considérables difficultés” : manque de volontaires à l’expatriation, utilisation d’assistance technique illégale, problèmes financiers divers. La Cour estimait la perte à 20% du montant du contrat, voire à 40% “en cas d’échec du transfert de technologie prévu” ». L’associé de Takieddine voit ses comptes suisses bloqués. On le verra demain, dans l’épisode suivant de notre saga, les choses ne se sont pas non plus bien terminées pour Ziad…

Mais la présidentielle approche, et les contrats se signent de plus belle à la pelle. Après le Pakistan, l’Arabie envoûte le gouvernement Balladur. Les Saoudiens ont acheté une première série de frégates en 1980 (c’est le programme Sawari I estimé à 2,3 milliards d’euros), ils resignent en 1994 pour de nouvelles frégates, deux fois plus grosses cette fois-ci. C’est le fameux contrat Sawari II, pour 2,9 milliards d’euros. Comme traditionnellement avec le royaume d’Arabie, les contrats d’armement sont signés d’État à État. Les industriels, eux, n’interviennent pas. Une société réunissant l’Etat et les fabricants, la Sofresa, gère le contrat et les à-côtés. Un contrat de consultant par la Sofresa est ainsi signé avec Ali Bin Mussalam.

Ce dernier, qui se dit Sheikh, doit percevoir 340 millions d’euros sur 10 ans. Léotard conclut l’opération Sawari II avec son homologue saoudien, le prince Sultan en novembre 1994. Quant à Bin Mussalam, il n’a pas, lui non plus, touché l’intégralité de la manne promise, en dépit du « balourd » appliqué au contrat. Le « balourd » ? Juste un terme financier, rien d’autre signifiant qu’on décide un versement anticipé - et non-progressif - du solde d’une somme déterminée, un peu comme le baluchon que dès le départ du navire les marins envoient par dessus la guimbarde du bateau sur lequel ils embarquent. En l’espèce, un « balourd » avait été décidé pour le versement des commissions.

Les contrats « mammouths » et les « conventions gommes-crayons »

A côté de ces « contrats mammouth » dont une partie des sommes a tendance à s’évaporer par dizaines de millions d’euros, il y a les petits marchés qui, eux aussi, donnent lieu à arrangements. Si DCNI n’a pas été utilisée pour le marché Sawari II, elle intervient pour le contrat « Mouette », la révision de bateaux Sawari I et de deux pétroliers-ravitailleurs (470 millions d’euros, signé en 1994). En janvier 1996, DCN et DCNI acceptent de participer, selon un document de 1996 retrouvé par Bakchich, « par une contribution volontaire, au financement des dépenses de fonctionnement de toute nature » des marins saoudiens installés à Toulon pendant la durée du contrat. Ce que les technos de DCNI ont surnommé la « convention gomme-crayons », comme le montre la note interne publiée ci-dessous. Soit 10 300 euros tous les trimestres, jusqu’en 2000…

Note interne à DCNI : la « convention gomme-crayon » - JPG - 87.4 ko
Note interne à DCNI : la « convention gomme-crayon »
A DCNI, on a pitié des marins saoudiens affectés à Toulon au programme de réparation des frégates Sawari I. Alors pour les aider à passer du bon temps comme on sait faire dans la Marine, DCNI s’est engagé à régler 10 300 euros tous les trimestres, jusqu’en 2000… De quoi acheter beaucoup de gommes et de crayons, bien entendu.

L’Inspection générale des finances, qui s’est penchée en 1998 sur « Mouette », a calculé que l’affaire avait déjà généré, deux ans avant sa fin, une perte de 180 millions d’euros. Si elle avait connu en plus l’existence d’une convention gomme-crayons…

Demain, la suite de la saga de Bakchich avec le portrait de l’homme clé de DCNI, Jean-Marie Boivin.

Pour lire ou relire le premier épisode de nos révélations, cliquer ici.

Pour apprendre, ce jeudi 26 juin, que les premières mises en examen sont tombées dans l’enquête sur des faits liés à des sociétés d’intelligence économique, et non pas sur la distribution de commissions, comme Bakchich l’a raconté, cliquer ici.

Pour lire la traduction en anglais de cet article sur Bakchich :

“Bakchich” was able to get their hands on confidential documents on the DCN upon which the justice didn’t really decide to investigate (but just charged people on secondary intelligence), and dissected the networks that allowed big commissions in (…)

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10 MESSAGES
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Forum

  • Ventes d’armes de la DCN et de Thales (deuxième partie), des grands contrats des années 90 aux petits arrangements entre amis
    le vendredi 27 juin 2008 à 14:15
    La france n’a pas commandé de frégates entre 1995 et 2005. Entre temps grâce à ce commerce export, le bassin d’emplois de Lorient a été maintenu… Le bien est-il l’ennemi du mal ?
  • LA RÉTENTION D’INFORMATION !!!
    le jeudi 26 juin 2008 à 18:40, CASUS BELLI a dit :

    Cher Bakchich,

    A travers la publication hachée du document " consultancy agreement", en occultant les autres aliénas, vous faites de la rétention d’information. Est-ce que les autres aliénas comportent d’autres secrets tels que : l’intelligence économique.

  • Ventes d’armes de la DCN et de Thalès (deuxième partie), des grands contrats des années 90 aux petits arrangements entre amis
    le jeudi 26 juin 2008 à 18:32, Phil2922 a dit :

    Bon boulot, Bakchich, pour ce travail d’investigation… !

    http://phil195829.overblog.com

  • Ventes d’armes à ses amis…
    le jeudi 26 juin 2008 à 12:55, Fil Vert a dit :
    Je rergette déjà de le dire et j’espère ne pas être "censuré":tout cela n’a qu’une seule signification celle d’aider ses "amis de la finance" comme ses camarades du CAC 40…(TF1,BOUYGUES,AREVA,ALSTOM ) et tant d’autres… La politique internationale de ce nouveau Prince n’est dictée que par la réussite c’est à dire par l’argent… Plaise au ciel,que ceux qui sont de religiosité juive (groupe DASSAULT) commencent par comprendre que chacun est libre mais pas au détriment de notre liberté !
  • Ventes d’armes (2), des contrats « mammouths » aux petits arrangements de gommes et de crayons
    le jeudi 26 juin 2008 à 11:27, RemiZ a dit :

    Apres un premier chapitre qui promettait beaucoup, on rentre ici dans le vif du sujet. C’est tres interessant mais assez vertigineux de voir autant de noms se croiser en si peu de lignes.

    J’espere que vous nous preparez un tableau recapitulatif pour la fin, avec qui est lie a qui et combien d’argent a circule (et s’est perdu) de ou a ou…

    • Ventes d’armes (2), des contrats « mammouths » aux petits arrangements de gommes et de crayons
      le jeudi 26 juin 2008 à 12:47, nico a dit :
      yééééé ! Un tableau récapitulatif par affaire nauséabonde ! Ainsi que des listes des gens les plus pourris de la planète ainsi que ceux les plus généreux….en fait je rêverais d’un guide michelin (sans les magouilles) des personnalités se voulant influantes ! Certes il nous faudrait alors des auteurs bien intégres, heureusement il en existe…..faudrait donc commencer par nous faire une liste d’auteurs reconnus indépendants, intégres et s’intéressant réellement à la question sociale….Damned quel boulot ! Quoi une question d’éthique viendrait allourdir le problème ????? La france du sous sol a droit à ses listes elle aussi ! Et qu’ils ne s’inquiètent pas, nous n’avons ni l’énergie ni l’argent pour construire des centres ou de leur payer des billets d’avion pour leurs paradis fiscaux…….Il nous reste quand même quelques tondeuses ! Mais cet idiot de barthes a rendu nos stocks de munitions complétement inoffensive….
      • Ventes d’armes (2), des contrats « mammouths » aux petits arrangements de gommes et de crayons
        le jeudi 26 juin 2008 à 15:21

        Ah, Christian Barthes…

        Expliquez-nous pour quelles raisons il s’est fait virer de la fonction publique en 1999.

      • Ventes d’armes (2), des contrats « mammouths » aux petits arrangements de gommes et de crayons
        le jeudi 26 juin 2008 à 16:57
        Qu’est-ce qu’il a fait pour désamorcer vos bombinettes, cet idiot de Barthes ?
        • Ventes d’armes (2), des contrats « mammouths » aux petits arrangements de gommes et de crayons
          le vendredi 27 juin 2008 à 08:56, nico a dit :
          oups, je parlais du fouteux qui se rasant la tête fit une mode de la boule à zéro ! Et non une humiliation comme nos justiciers de l’an 45 qui s’en servaient comme humiliation pour celles considérées comme traitresses !! juste de l’humour vraiment potache qui ne fait point avancer le débat…..pardon ! C’est mon antidépresseur
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