En mai 2007, les Américains s’interrogent sur la stratégie du nouveau président Nicolas Sarkozy dans la guerre en Afghanistan. Trois "câbles" diplomatiques instructifs révélés par Wikileaks.
Pas un jour sans qu’un officiel américain ne fustige l’irresponsabilité supposée des responsables de la fuite vers Wikileaks, et la divulgation par le site Internet, des 90 000 documents sur l’Afghanistan.
Jusqu’à présent au contraire, les alliés des USA dans –restons polis- "l’aventure afghane", se sont montrés très discrets sur la question.
Exception faite des Pakistanais pris par Wikileaks en flagrant délit de double jeu et qui protestent de leur innocence. Il est vrai que la moisson a été mince pour ce qui concerne la prose rendue publique émanant des chancelleries européennes ou les mettant en cause.
Raison de plus pour ne pas laisser passer les petits et grands secrets de l’histoire contemporaine lorsqu’ils nous tendent les bras…
Noyés dans la masse des documents mis en ligne, trois câbles émis par l’ambassade des États-Unis à Paris [1] en mai 2007 concernent explicitement la diplomatie française.
Ils sont particulièrement instructifs puisqu’ils résument des discussions tenues quelques jours après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. Une date à laquelle les Américains s’interrogeaient légitimement sur d’éventuels changements de la doctrine française vis-à-vis de l’Afghanistan.
Les deux premiers câbles évoquent donc la position française en Afghanistan, telle qu’elle est présentée aux Américains, représentés notamment par Kenneth Myers III, aujourd’hui directeur de la Defense Threat Reduction Agency (DTRA) qui emploie 2000 personnes rien que pour lutter contre les armes de destruction massives…
Le message est délivré aux yankees par Gérard Araud, alors Secrétaire général adjoint et Directeur général des affaires politiques et de sécurité au ministère des Affaires étrangères, et son collègue Nicolas Niemtchinow, alors sous-directeur des Affaires stratégiques.
En substance il s’agit de convaincre des Américains un brin sceptiques, que la France n’a pas l’intention de réduire son contingent militaire en Afghanistan et que l’engagement de Paris aux côtés des Américains et de leurs alliés reste d’actualité (« …France that is not planning to withdraw from Afghanistan and that it intends to maintain icts present troop commitment levels… »).
Une décision qui sera considérée à l’époque par les Américains comme particulièrement courageuse de la part du nouveau président français aux manettes depuis le 16 mai dans un contexte politique difficile.
Il faut en effet se souvenir que Céline, employée de l’ONG « Terre d’Enfance » kidnappée le 3 avril avec son collègue Eric et trois Afghans dans la région de Nimroz, a été libérée le 28 avril. Un mois plus tôt donc. Qari Youssef Ahmadi, porte-parole des talibans a profité de l’occasion pour déclarer que « le gouvernement français doit cesser son soutien militaire au gouvernement afghan et les forces françaises doivent quitter l’Afghanistan. Quand le gouvernement français retirera ses forces de notre pays, alors nous négocierons la libération de ce français et des trois Afghans détenus… ».
Le troisième document confirme les précédents. Avec nuance et un sens tactique sarkozien qui montre déjà le bout du nez au plan international : dès le 4 juin, Gérard Araud confirme donc aux Américains que la France ne quittera pas l’Afghanistan mais précise toutefois que le président Sarkozy souhaite que débute en petit comité (Allemagne, Royaume Unis, USA et France) des discussions relatives à l’élaboration d’une stratégie de retrait.
Peu lui importe donc, l’avis d’alliés ayant sur place un contingent supérieur à celui de la France tels le Canada ou l’Italie ; si retrait il doit y avoir, seuls les « grands » doivent en décider.
Pour faire passer la pilule à ses interlocuteurs, Araud va même jusqu’à indiquer que la France est décidée à augmenter ses effectifs. Une affirmation qui va les laisser perplexes et les amener à indiquer dans le compte-rendu, qu’ils ne sont pas sûrs d’avoir bien compris ! (« Araud said that Sarkozy intended to increase military training assistance by augmenting the number of embedded teams from 1 to 14 (we presume he was referring to Nato Operational Mentoring’s ans liaison teams ; or OMLTs…”)).
Trois ans plus tard, selon des commentateurs américains ayant passé au peigne fin les documents divulgués par Wikileaks, le contingent français en Afghanistan a triplé et nous sommes déterminés à rester sur place, « aussi longtemps que nécessaire… » (“For guidance, we can say that between 2007 and 2010, the number allocated by France to resolve the afghan problem have tripled and the current president recently said that the troops would remain as long as necessary »).
Gérard Araud et Nicolas Niemtchinow eux, sont passés à autre chose ; le premier sera nommé par décret en conseil des ministres du 15 juillet 2009, représentant permanent de la France au Conseil de Sécurité et chef de la mission permanente de la France auprès des Nations Unis ; le second est devenu conseiller diplomatique du ministre de la Défense Hervé Morin. C’est rassurant de savoir qu’il y parfois de vrais professionnels aux commandes…
[1] (AMEMBASSY 02208 PARIS du 29 mai 2007, AMEMBASSY PARIS 02257 du 31 Mai 2007, AMEMBASSY PARIS 02359 du 5 juin 2007)