Quand Alain Chouet, ancien manitou de la DGSE, dévoile les petits secrets du fonctionnement de cette intouchable officine, c’est du chouette !
Alain Chouet a appris à se taire. Espion professionnel, cet expert en langues orientales a longtemps écumé les pays arabes, avant de devenir un spécialiste réputé du terrorisme islamiste, puis d’accéder au poste convoité de chef du service de renseignement de sécurité à la DGSE, de 2000 à 2002. Des jobs surexposés où l’on doit être muet comme une carpe. Aujourd’hui libre de ses mouvements, le brave Chouet ne se prive pas de balancer quelques-unes de ses vérités, sur son site perso ou lors de conférences. Le 26 mars 2007, l’ex-super-agent français était convié à participer à un débat sur « le renseignement en France et aux États-Unis : quelles solutions pour améliorer la lutte anti-terroriste ? » à la French-American Foundation, honorable association de VIP transatlantiques.
Ses propos, très instructifs, ne font pas dans la langue de bois. S’étonne-t-on que les services secrets, comme la CIA, s’activent aux frontières de la légalité dans leur lutte contre le terrorisme ? Après avoir distingué l’action judiciaire de celle des services spéciaux, Chouet explique : « C’est ne rien comprendre que d’accuser les services secrets de faire dans l’illégalité. Bien sûr qu’ils font dans l’illégalité. Ils ne font même que cela. C’est leur vocation et leur raison d’être ». L’important est « de ne pas se faire prendre la main dans le sac, ce qui nécessite une certaine technicité ».
L’ex-patron du renseignement à la DGSE démolit également les idées reçues selon lesquelles la coopération franco-américaine fonctionnerait mal, ou que la CIA ferait preuve « d’arrogance », utilisant les services européens comme des « harkis », sans renvoyer l’ascenseur. « C’est une légende sans fondement autre que la frustration de quelques crétins. Car il y a bien sûr des crétins dans les services secrets, comme d’ailleurs dans toutes les autres entreprises publiques ou privées ». Chouet affirme qu’il n’y a proportionnellement pas plus de « crétins » à la CIA qu’à la DGSE. Doit-on être rassurés ?
Mais cela ne signifie pas que Chouet bénisse tout ce qui vient d’Amérique. Au contraire. Selon lui, les services américains n’ont cessé, depuis les années Reagan, de jouer « du Maghreb aux Philippines, de façon directe ou indirecte, la carte des mouvements islamistes fondamentalistes sunnites » pour contrer les influences soviétiques ou iraniennes et pour protéger l’Arabie saoudite. « Nous étions en profond désaccord avec cette stratégie », confesse l’ex-cadre de la DGSE, selon lequel la présence en France de 5 millions de musulmans justifierait en partie la circonspection française. La Maison-Blanche n’aurait pas vraiment changé sa stratégie en dépit des attentats du 11 septembre 2001 revendiqués par des extrêmistes sunnites. Chouet s’étonne ainsi de l’absence de pression américaine sur les donateurs privés saoudiens qui financent la mouvance islamiste. Il se dit aussi effaré que certains Américains prônent aujourd’hui un dialogue avec les Frères Musulmans, pour que ces derniers encadrent les communautés musulmanes. « Cela revient très exactement à faire garder son poulailler par des renards. Et les renards adorent cela… » Il est chouette, ce Chouet, non ?