La menace terroriste est de retour ! Al-Qaida ? Mais dans le cas des salariés d’Areva, la rébellion touarègue complique encore un peu plus le tableau.
L’alerte maximale en matière de sécurité a été déclenchée par le gouvernement à la suite d’une interview du patron des renseignements français, Bernard Squarcini le 11 septembre, au Journal du dimanche. Quelques jours plus tard, à la tour Eiffel, une alerte à la bombe déclenchait un intense vacarme médiatique. Beaucoup de bruit pour rien. « L’appel émanait d’un fou », indique à Bakchich une source bien informée.
Nettement plus sérieuse est la menace venant du Sahel. Cette zone subsaharienne est devenue ces dernières années une marmite bouillante : d’immenses territoires incontrôlés, des structures étatiques – au Mali ou au Niger – gangrenées ; une tradition chez les Touaregs de contrebande de cigarettes, d’armes et, récemment, de drogue. Lorsque le Sahel est devenu la base arrière des groupes maghrébins djihadistes, qui fuient la féroce répression de leurs pays respectifs, le risque terroriste est apparu.
Sous le nom d’Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique) s’agrègent des groupes armés extrêmement jeunes, auto-organisés, qui négocient des otages contre des rançons élevées. Les barbouzes français s’indignent des sommes versées par les Espagnols pour leurs otages au printemps : « Il faut voir ces petits caïds d’Aqmi au volant de leurs 4x4 flambant neufs ! »
La prise en otage, le 16 septembre au Niger, de cinq salariés d’Areva témoigne du sérieux de la menace. Alerté par les services français en décembre 2009, le Quai d’Orsay pondait une note alarmiste sur les risques courus par les équipes du géant nucléaire hexagonal au Sahel. Hélas, Anne Lauvergeon, à la tête d’Areva, était surtout occupée, ces derniers mois, à militer pour des articles contre Henri Proglio, le patron d’EDF, que Nicolas Sarkozy veut faire grand chef de la tambouille nucléaire française.
En revanche, la patronne d’Areva a été bien négligente sur la sécurité de ses troupes. Chacun des cinq otages français n’était protégé que par un seul garde, et encore non armé. L’amiral Thierry d’Arbonneau, le chef de la sécurité d’Areva, s’est perdu dans le « triangle des Bermudes » constitué par les trois pays riches en minerais – Centrafrique, Congo et Niger –, où le groupe a de solides intérêts.
À la décharge de l’amiral, il n’est pas le seul à s’être planté. Lors des deux précédentes prises d’otages français, nos services n’ont guère brillé. En février d’abord, la libération du premier, Pierre Camatte, honorable correspondant des services secrets, s’était faite en échange de l’élargissement de quatre islamistes détenus au Mali, suspectés d’assassinat – ce qui a suscité la grogne d’Alger, le bras armé des Occidentaux dans cette zone à risques.
Lorsque Michel Germaneau a été capturé cet été, les Français ont joué de déveine en intervenant militairement aux côtés des Mauritaniens, les plus sûrs alliés de Paris sur la région. Les pertes ont été importantes chez les terroristes, mais l’otage a été exécuté. Dans le cas d’Areva, la rébellion touarègue complique encore un peu plus le tableau (voir encadré ci-dessous). Ce sont les hommes bleus qui ont fait le coup et les groupes d’Aqmi ont ensuite récupéré les otages. Ces derniers se contenteront- ils d’argent ? Ou céderont-ils à la tentation de demander la libération d’intégristes condamnés en France ?
Dans le vaste désert sahélien, la mode est à Al-Qaida – Al- Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Aussi nébuleux que la maison mère, le nid à djihadistes africains empiète sur le terrain des hommes bleus, les Touaregs. À cheval sur l’Algérie, la Libye, le Mali et le Niger, les nomades oscillent depuis les années 90 entre rébellion et paix armée avec les pouvoirs centraux et les entreprises occidentales. Au Niger, il s’agit d’Areva. Aussi un léger rictus s’est-il dessiné quand l’enlèvement des sept salariés – dont cinq Français – de l’irradiante entreprise a été attribué aux barbus. « Ils ont été enlevés à Arlit. Jamais l’Aqmi n’est descendu si bas. Le terrain est tenu par les Touaregs, très remontés depuis des mois contre Areva », précise un ancien tampon entre la société d’Anne Lauvergeon et les rebelles bleus.
Au Niger, le géant nucléaire français est pris en étau entre le pouvoir central de Niamey, qu’il est obligé de ménager, et les chefs touaregs qu’il doit régulièrement « arroser ». Un numéro d’équilibriste qui s’est souvent soldé par d’épisodiques prises d’otages… Et le coup d’État de février 2010, qui a vu une junte militaire succéder au président Tandja, n’a pas simplifié la donne. L’allégeance de Lauvergeon aux nouveaux patrons n’a guère plu aux fiers Touaregs. D’autant que l’un de leurs chefs historiques, Rhissa Ag Boula, condamné pour meurtre en 2008, a passé tout le printemps en prison. Pas de quoi rendre joyeux un homme qui avait trouvé porte close à Paris, en 2008, et en était reparti agacé. « Areva est une cible », avait-il menacé. « Les Touaregs ont fort bien pu capturer les otages avant de les refiler à l’Aqmi », explique notre expert. Une stratégie risquée pour les Touaregs. Si un lien est établi entre eux et l’Aqmi, le pouvoir central aura tout loisir de les écraser au nom de la guerre contre le terrorisme. Areva sera tranquille pour un moment. Atomique horizon.