Une semaine après l’attentat dont il a été victime en Corse, notre journaliste, Enrico Porsia, revient sur les faits. Toute la rédaction de Bakchich lui apporte son soutien plein et entier dans son travail d’enquêtes et d’informations.
J’ai mis en lumière, il y a tout juste un an, le scandale du Plan d’aménagement de la Corse (PADDUC). Ce plan prévoyait la migration des terrains, situés sur des espaces remarquables, non constructibles, vers des zones qui n’auraient plus été protégées. J’ai attiré particulièrement l’attention sur le fait que les porteurs de ce plan, notamment le président de l’exécutif de la Corse, Monsieur Ange Santini et le président de l’assemblée de la collectivité territoriale, Monsieur Camille de Rocca Serra, possédaient des terrains que le PADDUC aurait « désanctuarisés ». Des terrains inconstructibles qui seraient passés de 20 euros le m2 (le terrain nu) à 200, voir 300 euros le m2 si ce plan avait été adopté en l’état.
Le scandale soulevé par mon enquête a obligé les promoteurs du PADDUC à retirer leur projet …. pour l’instant ! L’année prochaine, si le clan UMP devait gagner les élections territoriales, il se sentirait légitimé à remettre ce plan sur le tapis au grand bonheur des spéculateurs immobiliers de tout bord. Car, faut-il le préciser, la spéculation foncière n’est pas uniquement le fait du clan UMP. Certaines franges du mouvement nationaliste, même si elles dénoncent, formellement, le bétonnage de l’île, ne sont pas toujours insensibles à l’odeur de l’argent et… aux bruits des pelleteuses !
Dans mes enquêtes, j’ai donc mis en évidence le fait qu’il existe, en Corse, de véritables « patriotes du béton ». Des fractions nationalistes qui passent leur temps à chercher à s’accaparer des affaires liées à l’industrie touristique. Certaines dénoncent, indignées, les spéculateurs du clan traditionnel, d’autres plastiquent des résidences secondaires appartenant à « des étrangers » pour, soi-disant, lutter contre la spéculation immobilière. En réalité, les uns comme les autres cherchent à s’imposer comme des acteurs économiques de la spéculation foncière. Ils se disent contre l’économie du tout tourisme proposée par le clan UMP, en réalité ils souhaitent imposer, eux aussi, le bétonnage de l’île. Pourvu que ce soit un bétonnage « ethnique », bien entendu… Un bétonnage ethnique imposé par des méthodes mafieuses.
Le 26 août dernier, une charge a été placée sous ma voiture. Elle était garée devant la maison de ma belle-mère dans le village de Conca. Qui a fait le coup ? Qui a perpétré un attentant dont le but évident était de m’impressionner afin que je me taise ?
Le clan traditionnel, exaspéré par mes enquêtes sur le PADDUC ?
Les gérants d’un hôtel situé sur la commune de Conca, un hôtel complètement hors normes, dont les exploitants se vantent d’avoir des solides relations avec le milieu ?
Ou bien des milices identitaires qui cherchent à contrôler de plus en plus d’affaires dans l’extrême sud de la Corse ? Des miliciens qui se disent « politiques » et « frontistes », mais qui passent la plupart de leur temps à offrir une « protection » à des propriétaires de lotissements en bord de mer, tout comme à des restaurants de plages, situés sur le domaine public maritime…
Il est vrai que d’autres franges nationalistes, aussi, pourraient avoir profité de la situation pour me viser… des franges plus « modérées » du mouvement. En effet, un de leurs leaders avait lancé une mise en garde envers un responsable d’une association de défense du littoral, qu’il croyait être une des mes sources, à la suite d’une enquête que j’avais menée sur l’édification, illégale, d’un restaurant de plage à Porto Vecchio.
Ceci étant dit, je souhaite bien souligner que si cet attentat a été possible, c’est qu’un véritable climat de lynchage et de haine a été orchestré à mon encontre. Un véritable lynchage en « clan organisé ». Une session entière de l’assemblée de Corse a été dédiée à ma modeste personne. Le clan UMP a proposé une motion afin de dénoncer « mes agissements », mon travail de journaliste, en demandant le soutien des élus territoriaux aux hauts responsables politiques que j’avais mis en cause. Mais ce n’est pas tout.
L’attentat dont j’ai été victime a aussi été rendu possible par la lâcheté de bien des confrères insulaires. Comment interpréter le fait qu’au club de la presse de France Bleu Frequenza Mora, le directeur du mensuel Corsica, Joseph Guy Poletti, a pu me traiter de « délateur » et ceci dans l’indifférence générale ? Sans qu’un seul confrère présent sur le plateau ne s’en indigne ? Et que dire du silence lorsque j’ai été agressé et frappé dans le dos, à la manifestation nationaliste du 4 avril à Bastia ? Que dire quand on sait qu’aucun syndicat de journalistes implanté sur l’île n’a trouvé opportun de rédiger un simple communiqué ? Lâcheté ? Indifférence ? Ou bien compromission ?
Quant aux organisations politiques, je dois reconnaître que seul le Parti communiste s’est exprimé, avec vigueur, en condamnant l’attentat à l’explosif qui m’a visé. Ici, en Corse, un seul parti politique a donc eu le courage d’afficher clairement son attachement à la liberté de la presse en cassant la loi du silence : l’Omertà ! Je tiens à remercier les centaines de personnes, résidents sur l’île, qui m’ont apporté leur soutien individuel. Aux vaillants plastiqueurs, je demande qu’ils aient au moins le courage de revendiquer ce lâche attentat. Quant aux autres, qu’ils aient la décence de le condamner fermement.
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Félicitations pour votre courage et votre ténacité dans cette Corse où certains-même les plus inattendus- n’hésitent pas à vendre le littoral au plus offrant.
Le manque de soutien, à part celui du PCF et du SNJ CGT en dit long sur l’état de décrépitude de la classe politique de cette île, qui fait vraiment honte.