Le 23 septembre, notre journaliste Enrico Porsia a gagné le procès qu’il a intenté pour diffamation au directeur du mensuel Corsica. Avec en toile de fond, le nouveau projet d’aménagement de la Corse (Padduc). Décryptage.
4 septembre 2008. J’ai démontré comment les plus hauts responsables de la Collectivité territoriale de Corse bénéficiaient d’avantages extravagants dans le nouveau projet du Plan d’aménagement de l’île (PADDUC). Des terrains inconstructibles appartenant au président du Conseil exécutif, au président de l’Office de l’Environnement et au président de l’Assemblée de l’île s’apprêtaient à changer de statut… et par là de valeur !
Sur l’île de Beauté, la nouvelle provoque un petit tsunami. Monsieur Ange Santini, le président de l’Exécutif, occupe une page de Corse Matin me menaçant de foudres judiciaires. « Si vous faites ce sujet, cela aura des répercussions, sachez-le. Des répercussions… » avait même lancé le président Santini, exaspéré, à une équipe de France 3 Corse, qui tournait un sujet en vérifiant mes informations.
Le 15 septembre 2008, lors de l’émission « le club de la presse » sur l’antenne locale de Radio France, Monsieur Joseph Guy Poletti, le patron du mensuel Corsica, intervient dans le débat. Cet illustre journaliste, qui dirige un organe d’information dont le principal actionnaire est une boîte de communication, affirme haut et fort que mes informations n’étaient rien d’autre que des actes de "délation". Infâme.
J’ai dénoncé un scandale, j’ai brisé l’omertà, suis-je un délateur ?
Journaliste, j’assigne Poletti en diffamation.
Lors de l’audience devant la cour d’appel de Bastia, Monsieur Poletti, l’homme qui porte une bague féodale au doigt, n’a même pas daigné se présenter. À Maître Seatelli, souvent engagé à plaider pour bien de « beaux mecs », le soin de le représenter.
L’avocat général. M. Pierre-Yves Radiguet, a été quelque peu surpris de l’absence à la barre de cette star du journalisme insulaire. Il faut tout de même admettre que Monsieur Poletti est un professionnel très occupé. Il se prodigue à multiplier les partenariats avec des émissions de la chaîne publique France 3 Corse tout comme de l’antenne locale de Radio France. Ici, cet immense professionnel se complaît de sa verve au ton hautain. Il inflige, avec nonchalance, bien de sentences lapidaires, sur bien d’arguments. Eh oui, car Monsieur Poletti a une opinion sur tout…
« Monsieur Poletti se pose bien souvent en donneur de leçons », l’a ainsi décrit l’avocat général, « Ce petit-maître qui n’a pourtant même pas eu le courage de se présenter devant la cour, peut-être parce qu’il avait peur de recevoir une correction… » Mais ce n’est pas tout, l’avocat général a bien souligné que Monsieur Poletti, en s’attaquant au journaliste qui avait déclenché « une vraie bombe » en révélant le scandale lié au PADDUC, venait en soutien « à ses amis de la collectivité territoriale » mis en cause dans mon enquête. « Mais on ne défend pas ses amis en attaquant ses ennemis avec pareilles méthodes », a souligné enfin, avec gravité, M. Radiguet.
Le 23 septembre la cour a jugé. Le mot « délation » ne passe pas.
« Attendu que constitue une délation toute dénonciation secrète en vue d’une récompense… force est de constater le caractère très péjoratif de cette expression qui rappelle les moments les plus noirs de l’histoire récente… » écrivent les juges. « Attendu que l’attente à l’honneur et à la considération de M. Porsia en sa qualité de professionnel est démontrée car l’imputation concerne le comportement d’un journaliste d’investigation », précisent encore les magistrats, « qui s’est autorisé à faire une enquête sur un projet public et de dénoncer les comportements de certains élus qu’il estimait critiquables, les articles versés au débat mettant en évidence que l’enquête dont le résultât peut être bien sûr objet de discussion est sérieuse », souligne très précisément l’arrêt de la cour. Poletti est condamné. Diffamateur !(Il vient de déposer un pourvoi en Cassation)
Quant aux honorables hauts dirigeants de la Collectivité territoriale, Monsieur Camille de Rocca Serra, députe UMP et président de l’assemblée de Corse et Monsieur Ange Santini, le bouillonnant président de l’Exécutif, ils n’ont pas apprécié mon travail et ils ont porté plainte.
En attendant l’audience avec sérénité, je me permets de vous délivrer ici une confidence du dossier d’instruction :
Pas un passage de la plainte de Monsieur Santini ne vise le cœur de mon enquête. Pas un mot sur son camping dans la pinède de Calvi. Il faut donc croire que mes informations concernant le déclassement d’un hectare et demi du même camping étaient exactes.
Quant à Monsieur de Rocca Serra, lui non plus ne semble intéressé par mes révélations sur ses terrains personnels promis à un avenir « en béton »… Non. Monsieur de Rocca Serra est surtout préoccupé par le témoignage du préfet qui lui avait délivré le permis de lotir sur le désormais fameux domaine de Punta d’Oru : une soixantaine de villas dont la célèbre bâtisse de Christian Clavier . Un permis de lotir obtenu, en toute transparence… contrairement à d’autres, qui ont employé « des moyens bien plus musclés que les miens » comme l’avait tranquillement précisé, à Bakchich, le président de l’assemblée de Corse en personne…
Camille de Rocca Serra députe UMP et président de l’assemblée de Corse nous certifie : autres ont employé « des moyens bien plus musclés que les miens ». Oui, oui vous avez bien entendu « des moyens bien plus musclés que les miens ».
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