Deux mois avant les régionales, le bon président s’en va visiter une île de Beauté dans laquelle il a beaucoup investi. Mais qui trop embrasse mal étreint, surtout avec les natios.
Les élections territoriales de mars prochain sont un rendez-vous important. A mi mandat Sarko est hanté par l’annonce de Martine Aubry qui veut réaliser le grand chelem en faisant tomber toutes les régions à gauche. Lors de dernières élections régionales uniquement deux bastions avaient résisté à la vague rose. L’Alsace et la Corse. Et pour Chirac , qui occupait encore la place de président de la République, et pas encore celle d’un simple citoyen mis en examen, la claque fut assez rude. Mais aujourd’hui ? Pour Sarko Ier ,si le pays du Gevurtztraminer et celui du Figateddu devaient capituler, alors ça serait un vrai uppercut.
L’île de Beauté est scrutée avec une attention particulière, par l’actuel président la République, qui a commencé sa carrière politique sous le parrainage de Achille de Peretti, l’inamovible maire de Neuilly, la capitale des Hauts-de-Seine et des Corses de Paris.
Sarko et la Corse… une histoire d’amour. Sa première femme, s’appelait Marie-Dominique Culioli était fille d’un pharmacien de Vico et également la propre nièce d’Achille de Peretti… Sarko et la Corse , une histoire d’amour… de pouvoir et de réseaux hérités de Monsieur Charles Pasqua, qui fut jadis le patron des Hauts-de-Seine, ainsi que le témoin de mariage de Nicolas et Marie Dominique.
Sarko et la Corse, enfin, une histoire d’amour, de clan et d’amitié… Avec Camille de Rocca-Serra, député UMP et président de l’Assemblée territoriale de Corse. Sa puissante famille règne, depuis Porto Vecchio, sur l’extrême sud de l’île…
C’est bien lui, Camillou, qui a présenté Nicolas Sarkozy à sa première femme, : « j’étais venu à Neuilly à un dîner débat. Nicolas a pris la parole. Je me trouvais avec une de mes cousines et l’une de ses amies, Marie-Dominique Culioli. Après, elles voulaient absolument que je les présente, vous connaissez la suite », raconta fièrement au Monde l’héritier du clan de la « terre des seigneurs », une terre aujourd’hui promise aux pelletteuses des promoteurs immobiliers.
Lors des dernières élections territoriales d’avril 2004, le clan UMP n’était pas en bonne posture. Sur le papier, en effet, la gauche corse était, théoriquement, majoritaire …
Mais pouvait-on considérer Paul Giacobbi député et le président PRG du conseil général de Haute Corse, comme un homme de gauche, quand pendant toute sa campagne électorale il s’était employé à marteler que le véritable clivage existant en Corse était désormais celui qui séparait les « progressistes », favorables à une large autonomie de l’île, et les « immobilistes » opposés à toute avancée institutionnelle ?
En effet, sans la bienveillance des « corsistes » de Paul Giacobbi, et sans l’apport des voix de la coalition nationaliste,comprenant aussi bien la faction « modérée », autonomiste, que celle « frontiste », independantiste, la vitrine de façade du FLNC, jamais le clan UMP n’aurait pu installer Camille de Rocca Serra à la présidence de l’assemblée territoriale.
6 ans plus tard, la gestion UMP s’est illustrée par une incompétence rare. Aucun projet n’a été réalisé. En 6 ans de pouvoir les gestionnaires de la collectivité territoriale n’ont même pas su porter à bon port le nouveau plan d’aménagement et de développent durable de la Corse (PADDUC). Ils ont été obligés à le retirer, à la va vite, à la suite d’un scandale, déclenché par une enquête journalistique, dont le rédacteur de ses lignes en est l’auteur. Quant au mouvement nationaliste, il semble aujourd’hui bien éclaté. Et, pour cause…
La Corse et Sarko, c’est aussi une histoire de manœuvres discrètes, très discrètes.
C’est ainsi que le nouveau président de la République a placé Bernard Squarcini dans un fauteuil, ô combien stratégique. Surnommé le « Squale », ce brillant fonctionnaire originaire du sud de la Corse, est désormais à la tête de la DCRI, le tout nouveau et super-puissant service de renseignement français , qui a fusionné les RG et la DST.
Fidèle de l’actuel président de la République, le Squale a fait ses preuves quand il était le numéro 2 des RG en courcircuitant bien des coups tordus, ourdis contre Sarko, par son patron de l’époque, le très chiraquien Yves Bertrand.
En 2003, le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, subit un revers politique de taille. La Corse vote non au projet de collectivité territoriale unique. Un projet porté à bras-le-corps par la place Beauvau, qui pensait s’être assuré la victoire avec l’appui des chefs de l’aile radicale des natios.
Ces derniers se targuaient en effet à mettre de plus en plus en plus d’eau dans leur vin et à faire les yeux doux au premier flic de France. Charles Pieri, à l’époque considéré comme l’homme fort du FLNC avait clairement écrit dans U Ribombu, l’organe de presse de la vitrine légale des clandestins. « Contrairement à ce que prétendent des esprits chagrins, il n’est nullement de notre volonté d’inscrire la France et ses gouvernants dans une quelconque dérive indépendantiste » (U Ribombu n° 52, 9 janvier 2003).
Quant à Jean-Guy Talamoni, l’autre ténor de l’aile dure des natios, il avait personnellement rassuré le ministre de l’Intérieur que l’indépendance de l’île n’était plus à l’ordre du jour et que désormais son mouvement était disponible pour réussir un « compromis historique ». Un compromis, mais avec qui, si non avec le clan UMP et les « corsistes » de Paul Giacobbi, qui voguaient, ensemble, pour faire passer le projet ministériel…
La consultation populaire fut pourtant un échec, et Sarko comprit qu’il ne pouvait plus faire confiance aux représentants du « Front ».
Charles Pieri fut embastillé, coincé sur des dossiers financiers par le juge Courrroye, devenu depuis procureur sarkozyste de Nanterre. Au même temps le patron de la place Beauvau savait qu’il avait besoin de poursuivre ses discussions avec les nationalistes, - faute de quoi aucune majorité de droite n’aurait pu se dégager à l’Assemblée territoriale.
Le ministre de l’Intérieur décida alors de sélectionner lui-même ses interlocuteurs. Ses « services » furent chargés de préparer le terrain afin qu’une tendance « modéré », plus « respectable » et réputée plus loyale, puisse émerger et prendre les rênes du mouvement.
En janvier 2004, Eric Battesti, pilier des RG, fut dépêché sur l’île. Nommé directeur régional des renseignements généraux de la Corse, avec une tâche délicate : contacter des responsables nationalistes, en délicatesse avec, le clan « frontiste », le clan Pieri-Talamoni, en leur suggérant la création d’un pôle « modéré » pour isoler l’aile « dure » du mouvement qui avait été jusque-là l’interlocuteur privilégié du pouvoir. La mission d’Éric Battesti était donc celle de créer les bases, juste avant les élections territoriales de mars 2004, afin de garantir le pouvoir régional à la droite. En favorisant l’émergence des « patriotes modérés », destinés à prendre le leadership du mouvement nationaliste piloté jusque-là par la direction clandestine du « Front », Sarko recherche un nouvel interlocuteur politique.
Décidément Battesti fit du bon travail. Aux territoriales de 2004 les natios présentèrent une seule liste. Elle était bicéphale : le vieux leader autonomiste Edmond Simeoni, le héros d’Aleria de jadis, fut miraculeusement ressuscité.
Il partagea la tête d’affiche avec le « dur » Jean-Guy Talamoni affaibli par l’arrestation de Charles Pieri, porte drapeau du Front.
Le troisième poids lourd de la coalition nouvelle était Jean-Christophe Angelini, un jeune loup aux dents très longues. Il représente un nationalisme autant « modéré » qu’ultralibéral et avait été mis en orbite par « les Ajacciens », liés à Antoine Nivaggioni, homme lige d’Alain Orsoni, autrefois le leader du Mouvement pour l’Autodétermination (Mpa) et de son FLNC canal habituel, le clan rival du FLNC canal historique de Charles Pieri lors de la guerre entre factions nationalistes qui avait ensanglanté l’île dans les années quatre-vingt-dix. De nos jours les anciens du Mpa ont quitté leurs cagoules pour s’investir dans les affaires et contrôlent la très puissante chambre de commerce de la Corse du sud ainsi que bon nombre d’affaires dans la région Ajaccienne.
L’aile radicale du mouvement a ainsi été prise en sandwich, entre les autonomistes, à tendance populiste, d’Edmond Simeoni et les « modérés », reconvertis dans les affaires, dont le jeune Jean-Christophe Angelini représente la façade visible et… respectable.
Quant au puissant président du conseil Général de Haute Corse, le député Prg, apparenté socialiste, Paul Giacobbi il s’est chargé , lui, de casser toute dynamique alternative à gauche en présentant alors sa propre liste transversale a connotation « corsiste ».
Une philosophie qui se bat pour « mettre l’intérêt de la Corse avant celui des partis politiques nationaux ». Ici, on retrouvait côte à côte des radicaux de gauche en dissidence avec les instances nationales, bras-dessus, bras-dessous, avec des anciens RPR, comme Jean-Claude Guazzelli, ancien patron du Crédit Agricole de l’île, jadis mis en examen pour sa gestion ô combien rigoureuse, et qui exerça ensuite ses talents comme vice-président de l’exécutif territorial sous la présidence du gaulliste Jean Baggioni. Face à un tel dispositif, difficile de déboulonner le clan UMP.
« Donnez une chance à l’espérance collective. Nous sommes ici pour tendre la main, alors ne nous tournez pas le dos », s’était exclamé le vieil Edmond en offrant les voix nationalistes à l’héritier de la dynastie des Rocca Serra. Le geste avait mérité les applaudissements des élus du groupe UMP.
« Camille de Rocca Serra est à la hauteur de ce court moment d’émotion, même si les mots spontanés sortent de la bouche d’un militant nationaliste endurci. Il a senti, comme d’autres, que c’était là les paroles d’un Corse, à d’autres Corses, qui partagent les mêmes valeurs, le même espoir pour les générations à venir ». Le 2 avril 2004 ces lignes fleurissaient, sous la plume clairement enthousiaste, de Jean-Marc Raffaelli, l’éditorialiste attitré de Corse-Matin.
« Il y a beaucoup de choses sur lesquelles nous pouvons nous retrouver », précisa enfin Camillou aux nationalistes, avant de s’asseoir, grâce à leur soutien, sur le fauteuil du pouvoir territorial.
6 ans plus tard, Sarko, a cru pouvoir peaufiner encore plus son système : diviser pour mieux régner. Avec quelques ratés…
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