Dix jours avant le débat sur le transport à l’Assemblée de Corse, la chambre régionale des comptes allume une mèche courte. Un rapport, jusqu’ici confidentiel, qui dézingue la gestion de l’Office des transports de la Corse.
L’office des transports de la Corse (OTC), est un établissement public industriel et commercial, présidé par un conseiller exécutif de la Collectivité territoriale (CTC), et dont le conseil d’administration est majoritairement composé d’élus de cette dernière. L’OTC est chargé d’une mission stratégique : la mise en œuvre de la continuité territoriale. Quand on sait que la Corse est la seule île européenne à gérer directement l’enveloppe de continuité territoriale, une dotation d’État de quelques 180 millions d’euros par an, on comprend aisément l’importance de cette institution : L’OTC assure, ni plus ni moins, la gestion d’un budget équivalent à la moitié du budget total de la collectivité territoriale corse !
Pourtant, si on se fie au rapport confidentiel qui vient d’être rédigé par la chambre régionale des comptes sur les exercices allant de 2001 à 2009 l’aptitude à une gestion saine de la manne publique par cette prestigieuse institution, n’est pas véritablement établie..bien loin de là !
« L’ensemble des dépenses de fonctionnement de l’OTC évolue fortement passant de 0,8 M€ en 2002 à 1,5 M€ en 2008, soit plus 74,3 %. Parmi les charges d’exploitation, le poste des achats et des charges externes est l’un de ceux qui connaissent les plus grands accroissements : 102,3 % au cours de la période sous revue. Le montant des dépenses cumulées d’études et d’honoraires atteint, pour les exercices considérés, 1,6 M€ (soit 0,5 M€ pour les études et 1,1 M€ pour les honoraires) alors que certaines de ces dépenses n’ont parfois que peu de rapport avec la continuité territoriale, comme celle réalisée à propos des problèmes d’atterrissage de nuit sur l’aéroport de Calvi », écrivent très précisément les magistrats de la chambre régionale de comptes.
« Quant aux salaires et aux traitements, ils passent de 0,3 M€ en 2002 à 0,5 M€ en 2008 (soit 65 % de hausse). Les rémunérations du personnel progressent de manière excessive au regard du faible nombre d’agents. »
L’office dispose d’un conseil d’administration présidé par un conseiller exécutif, mais également d’un directeur qui, juridiquement « assure la gestion de l’office ». Il « est l’ordonnateur des dépenses et des recettes », « le directeur gère et dirige l’office, il assure le fonctionnement de l’ensemble des services ».
Un fonctionnement qui parfois peut paraître bien surréaliste. Un exemple ? Les procès-verbaux de conseil d’administration ne précisent jamais l’ordre du jour de la réunion.
Trouvez-vous ce procédé extravagant ?
Interrogé sur ce point par la chambre, le directeur de l’OTC a estimé que le rappel de l’ordre du jour en début de séance avec transcription au procès-verbal n’était pas nécessaire dans la mesure où « l’ordre du jour de chaque réunion est joint à la convocation ».
Cette réponse n’est pas véritablement satisfaisante, car la lecture des procès-verbaux des séances de conseil d’administration montre que des points non prévus à l’ordre du jour sont parfois rajoutés et ceci sans que ce soit explicitement précisé dans le procès-verbal.
La chambre a en effet constaté qu’au cours des 26 séances qui se sont tenues sur la période 2001-2009, le conseil d’administration de l’OTC avait examiné et pris des décisions sur 20 points qui ne figuraient pas à l’ordre du jour des séances concernées. Ce chiffre serait encore plus élevé si l’on prenait en compte les points listés en « questions diverses » (16 cas), souligne le rédacteur du rapport.
Or, les statuts de l’OTC imposent une transmission préalable de l’ordre du jour des conseils d’administration à la CTC afin que cette dernière ait la possibilité de réagir avant la tenue du conseil d’administration et, le cas échéant, de s’opposer à l’examen de tel ou tel point. En cas de rajout d’un sujet à l’ordre du jour en cours de séance, cette disposition préventive est en effet vidée de son sens et perd donc tout intérêt pratique.
Par ailleurs, plusieurs anomalies ont été relevées notamment le décompte parfois incohérent des membres présents ou représentés mais également la participation, lors d’une réunion du conseil d’administration, d’une personne pour laquelle l’office n’a pas été en mesure de démontrer à quel titre elle avait siégé en qualité de membre de l’instance.
Dans de telles conditions peut-on vraiment s’étonner d’apprendre que " Le conseil d’administration de l’OTC n’ait pas été correctement informé de décisions importantes prises par l’équipe dirigeante de l’office " ?
L’OTC a en effet versé en pure perte plusieurs centaines de milliers d’euros à Air Littoral au moment de la disparition de cette compagnie en 2004, sur des bases d’une rare complexité et « sans recueillir un accord suffisamment éclairé du conseil d’administration de l’OTC. »
Ces sommes firent l’objet de mandats pour des montants approchants, soit 341 000 € pour la première, et 251 000 € pour la seconde, sur l’exercice 2003. Ces mandats étaient cependant accompagnés, non pas de factures, mais uniquement de certificats administratifs signés du directeur de l’office.
L’OTC a versé en outre à Air Littoral, par un mandat également daté du 25 mars 2004, la somme de 116 995,20 € au titre de l’acompte de février 2004 pour le bord à bord.
« Le président de l’office ne souhaitant pas se lancer dans un contentieux", justifie le rédacteur du rapport… "les différents versements ont été effectués mais en pure perte puisqu’au moment où ils sont intervenus, la compagnie aérienne avait définitivement cessé de fonctionner depuis plus d’un mois. De surcroît, le conseil d’administration de l’OTC n’a pas été appelé à voter sur ce point alors qu’au cours de la séance où ce dossier a été examiné au moins deux oppositions s’étaient manifestées. Enfin, au vu du procès-verbal de cette séance, il n’apparaît pas que le conseil ait été informé du montant total du versement qui dépassait 700 000 €. »
L’organisation du personnel de l’OTC se caractérise par le nombre important des postes occupés par des agents de catégorie A dont les attributions respectives gagneraient parfois à être clarifiées. De même, le régime juridique des délégations de signature apparaît flou et imprécis.
Le directeur de l’OTC est assisté, sur le plan administratif, par une équipe de 9 personnes.
Cette équipe comprend , en dehors du directeur, pas moins de 5 cadres de catégorie A, dont trois affectés à la gestion administrative générale et deux autres au suivi du secteur aérien pour l’un, et du secteur maritime pour l’autre.
« Les rémunérations des agents de l’OTC sont fixées dans des conditions et sur des bases propres à l’office, qui se caractérisent donc par un mélange permanent entre, d’une part, la logique de rémunération des entreprises privées et, d’autre part, celle qui inspire le secteur public ».
Au cours de la période récente, les promotions ont été accordées de plus en plus fréquemment, sans motivation explicite ou convaincante, et sur des bases qui dérogent à tous les principes applicables à la fonction publique. La chambre a limité l’analyse des cas individuels à la situation des seuls agents de catégorie A, compte tenu de l’enjeu financier de ces rémunérations. En dehors de l’un d’eux, tous les agents de cette catégorie ont bénéficié de progressions de carrières particulièrement rapides.
La chambre constate par ailleurs que le directeur de l’office a également bénéficié de revalorisations de son salaire qui lui ont été accordées directement par les présidents successifs de l’OTC, au travers de l’octroi forfaitaire de points d’indices en sus de l’actualisation automatique de son salaire prévue à son contrat.
La chambre estime que ces revalorisations forfaitaires par l’octroi de points d’indices n’auraient pas dû pouvoir être accordées par le seul président de l’OTC et qu’elles auraient dû, au minimum, être validées préalablement par le conseil d’administration de l’office et surtout par le conseil exécutif de la CTC.
Les frais de déplacement de l’OTC ont été examinés de 2003 à 2007. Ils ne concernent pratiquement que le directeur de l’office. Au cours de cette période de cinq ans, le directeur de l’OTC a réalisé 144 déplacements qui ont généré une dépense totale de 50 000 €. Tous ces déplacements ont eu lieu à Paris, à l’exception de deux d’entre eux, qui ont eu pour destination finale Bruxelles.
L’examen des mandats concernés et des pièces jointes à ces mandats a mis à jour un certain nombre de problèmes de forme, mais aussi de fond.
L’examen des 144 déplacements du directeur au cours de la période 2003 – 2007, montre que seulement 18 ordres de mission portent une date de signature antérieure au début de la mission elle-même. En revanche :
75 ordres de missions ne sont pas datés,
45 portent une date postérieure à la mission, parfois établis près d’un an après la mission
pour 6 missions, il n’existe apparemment aucun ordre de mission.
Les 138 ordres de mission émis au cours de la période examinée et relatifs à des déplacements du directeur de l’OTC ont été, pour une majorité d’entre eux, signés par le directeur lui-même (74), les autres l’étant essentiellement par le directeur financier seul (58).
Les mandats de paiement relatifs à des remboursements de frais de déplacements du directeur, ont été signés par l’intéressé lui-même dans la quasi-totalité des cas (116 sur 138).
Les déplacements sur Paris du directeur de l’office ont lieu généralement sur deux jours (seulement 30 cas d’allers-retours dans la journée sur 144 déplacements).
Dans ce cas, l’état de frais du directeur inclut une demande de remboursement de frais d’hébergement à hauteur du forfait de la fonction publique. Le directeur ne joint cependant jamais de justificatifs à l’appui de ses demandes de remboursement de frais d’hébergement qui sont effectués sur la base d’une « indemnité nuit Paris ». Interrogé par la chambre sur les raisons de cette absence de justificatifs de frais d’hébergement, le directeur a admis qu’il disposait d’une résidence sur Paris et qu’il logeait donc chez lui lorsqu’il se déplaçait à Paris. Le remboursement au directeur de l’OTC d’une « indemnité de nuit à Paris » alors qu’il ne séjourne pas à l’hôtel et qu’il ne supporte donc aucun frais d’hébergement lié à ses déplacements est en conséquence irrégulier.
Plusieurs observations provisoires sur l’objet des déplacements à Paris du directeur de l’office ont été formulées par la chambre à l’issue du présent contrôle. Il y était constaté que :
un peu plus de la moitié d’entre eux étaient concentrés sur le mercredi,
près d’une soixantaine de déplacements étaient motivés par des réunions à la Direction générale de l’aviation civile et à Air France, ce qui apparaissait peu crédible ;
dans de nombreux cas, il apparaissait difficilement concevable que de manière aussi fréquente et répétée le directeur de l’OTC ait réellement pu participer aux réunions qui justifient son déplacement, compte tenu des dates et heures auxquelles il partait et revenait, qui laissaient peu de place pour assister, dans ces créneaux, à une réunion à une heure « normale », surtout au regard des pratiques communément admises en région parisienne pour fixer l’heure d’une réunion le matin.
La chambre mettait ainsi en doute la participation effective du directeur de l’OTC à une partie au moins des réunions qui ont justifié, entre 2003 et 2007, la prise en charge et le remboursement par l’OTC de ses frais de déplacements, d’autant qu’il exerçait parallèlement une activité d’enseignant à l’Ecole Polytechnique, certaines dates d’interventions dans cette école correspondant de manière certaine à des déplacements financés par l’office.
Du reste, en cours d’instruction, le directeur de l’OTC a indiqué qu’il avait pris en charge personnellement la plupart des déplacements liés à ses activités d’enseignant, ce qui signifie donc, à contrario, qu’une partie de ses déplacements à Paris pour donner des cours à l’Ecole Polytechnique a été prise en charge financièrement par l’OTC.
Face à cette situation, la chambre l’invitait à régulariser sa situation en tant qu’enseignant et au niveau de la prise en charge de ses frais de déplacements. Elle soulignait également que l’activité d’enseignant devait être autorisée.
Une telle autorisation était effectivement nécessaire dans le cadre du régime juridique du cumul défini par le décret-loi du 29 octobre 1936. Elle reste nécessaire dans le cadre du nouveau régime juridique mis en place par la loi n° 2007-148 du 2 février 2007 qui a abrogé les dispositions issues du décret-loi de 1936. Si une autorisation avait été délivrée en 1999 par le président de l’OTC, elle n’a cependant pas été renouvelée en 2004, à l’occasion du changement de présidence. Les observations provisoires que la chambre a formulées sur la partie consacrée aux déplacements n’ont reçu aucune contradiction.
De quoi rester de marbre quand on sait que ces critiques ont été formuleés à l’encontre de Monsieur Yves Carsalade, docteur ès sciences économiques, dont les « travaux de recherche sont axés sur le calcul économique et les méthodes de décision appliquées aux politiques économiques et aux interventions publiques. » Comme est dûment spécifié dans le très prestigieux site des éditions de l’école polytechnique.
Il faut bien admettre que Monsieur Carsalade est un personnage bien atypique. Il y a trois ans, au moment de l’attribution de la délégation de service public pour la liaison Marseille-Corse nous l’avions questionné à propos de la candidature de la compagnie maritime italo-suisse communément appelée Corsica Ferries.
Le règlement d’appel d’offres, rédigé par l’Office des transports de la Corse, précise. Page 6 paragraphe 3. « Les bilans et les comptes de résultat et les rapports des commissaires aux comptes de l’entreprise sur les trois derniers exercices sociaux, ainsi que les comptes consolidés si l’entreprise appartient à un groupe ou si elle est elle-même chef de file d’un groupe » devront être joints au dossier de candidature.
Cela impliquait donc que Corsica Ferries France SA, aurait dû produire les comptes du holding de tête qui la contrôle. Ce holding s’appelle Lozali SA, est basé en Suisse et n’avait jamais publié une seule ligne concernant son bilan. Cette règle avait-elle été appliquée ?
Pour en avoir le cœur net, nous avions donc appelé Monsieur Yves Carsalade, le directeur de l’Office des transports de l’île ,en lui posant la question suivante : "- Monsieur Carsalade, Corsica Ferries SA, s’est-elle soumise à la clause numéro trois du règlement particulier d’appel d’offres ? Les comptes de son holding de tête Lozali SA ont-ils été joints au dossier conformément aux règles votées par l’assemblée de l’île ? Est-ce que la clause numéro trois du règlement a été respectée ?"
- "Euh, elle a été à peu près respectée…"
"Monsieur Carsalade, qu’est-ce que ça veut dire, ’à peu près’ ?"
"Monsieur, vous m’emmerdez, au revoir…"
À l’époque, le directeur de l’Office des transports de la Corse, avait au moins le mérite de la franchise, quitte à s’affranchir de la politesse.
Nous croyons, naïvement sans doute, qu’une clause importante contenue dans un appel d’offres pour une délégation de service public, une clause concernant directement la crédibilité des candidats à qui on confie, nous nous permettons de bien le souligner, la responsabilité de transporter des passagers, nous pensions donc que : soit cette clause, elle était respectée, soit elle ne l’était pas. Nous apprenions par contre qu’à l’Office des transports de la Corse, gouverné à l’époque par le clan UMP, il existait un troisième cas de figure : une clause pouvait être respectée… "à peu près". Quelle curieuse institution !
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