Edmond Simeoni, figure tutélaire du nationalisme corse, se rêve en leader de la défense du littoral. Heureusement, ses amis se gardent d’évoquer ses villas et son goût du tourisme et du golf…
Papier publié le 7 avril
En septembre 2008, Amnistia.net, immédiatement relayé par Bakchich, publiait une longue enquête concernant les terrains personnels de trois hauts responsables de la Collectivité territoriale de Corse. Des terrains proches du rivage, situés sur des espaces remarquables, bref des terrains inconstructibles qui étaient pourtant promis à la « désanctuarisation » dans le nouveau plan d’aménagement de l’île, le fameux PADDUC. Un plan arrêté en juillet 2008 par Ange Santini, le président de l’Exécutif de l’île en personne. Toute la Corse a pu ainsi découvrir que les porteurs du projet du PADDUC, n’avaient pas négligé de surveiller, de très près, leurs propres intérêts familiaux. Le conflit d’intérêt était d’une évidence manifeste. Le scandale aussi.
Immédiatement, le Collectif pour la loi Littoral [1], qui regroupe plusieurs associations, mais aussi des partis politiques, s’empare du dossier. Et, avec la rapidité de l’éclair, un front anti-PADDUC voit le jour. Cette nouvelle coalition se voudrait la représentation de la société civile insulaire… Il est pourtant difficile de le croire, quand on sait que dans cette coalition hétéroclite, regroupant quelques 80 sigles, cohabitent des associations, des organisations syndicales… tout comme des partis politiques et pas n’importe lesquels. C’est en effet la tendance nationaliste « modérée », représentée par A Chjama Naziunale d’Edmond Simeoni et le Parti de la Nation Corse (PNC) de Jean-Christophe Angelini et François Alfonsi qui s’avère très active dans le « Front uni contre ce Padduc ». Enfin à l’intérieur de ce « Front » on remarque aussi une sur représentation des « frères » du Grand Orient…
Difficile donc de pouvoir définir cette coalition de circonstance comme l’expression de la société civile. Et, d’ailleurs, existe-t-il une société civile en Corse ? Ou bien, les associations « citoyennes », ou plus précisément certains de leurs responsables, sont-ils aliénés à des partis politiques, qui les utilisent comme des sous-marins pour arriver à leurs fins ? Levons le voile.
Le 27 mars 2009, Edmond Simeoni, le héros d’Aléria, contacte Moune Poli, la porte-parole du front anti-PADDUC.
Il lui transmet une lettre, ou plus précisément une proposition. L’élu territorial nationaliste « souhaite en effet réagir » à l’Assemblée de l’île « au nom » de la coalition anti-PADDUC tout entière. La manœuvre n’est pas anodine. Le vieux leader nationaliste souhaite , ni plus ni moins, avoir l’aval du « Front uni », afin d’en devenir le porte-parole à l’Assemblée territoriale.
Etrangement, une copie de cette proposition est aussi envoyée, par Monsieur Simeoni, à Madame Michelle Salotti, animatrice de l’association de défense du littoral U Levante, qui fait partie, au même titre que les autres associations, du front anti-PADDUC. Si le choix de contacter Moune Poli est tout à fait naturel, cette dernière étant la porte-parole de la coalition anti-PADDUC, tel n’est pas le cas de Michelle Salotti, qui ne représente dans ce « Front » qu’une association parmi d’autres.
Il est pourtant aisément compréhensible que, pour tenter d’arriver à ses fins, Edmond Simeoni, en vieux briscard de la politique insulaire, a tissé un solide réseau pour appuyer sa tentative de prise en main du mouvement anti-PADDUC tout entier.
Un réseau, composé de personnes fidèles qui, tout en se présentant comme simples militants associatifs, peuvent jouer un rôle de passerelle politique au service du chef de clan autonomiste. Un chef qui, dans le droit fil de la tradition clanique, n’est pourtant pas insensible à ses propres intérêts personnels. C’est ainsi que la famille Simeoni possède à Calvi quatre résidences secondaires destinées à la location touristique. Elles sont situées à quelques encablures du camping de la famille Santini, dont Amnistia.net a révélé qu’un bon hectare et demi était destiné à la « désanctuarisation » dans le projet élaboré par le président de l’Exécutif de Corse en juillet 2008.
Mais comment Monsieur Edmond Simeoni, peut-il prétendre dénoncer le « tout tourisme » et « l’économie résidentielle » [2] préconisée par le clan UMP au pouvoir, alors que lui-même ne s’est pas gêné d’édifier quatre villas avec piscine destinées à la location touristique ?
Il faut bien admettre que le héros d’Aléria n’est pas à une contradiction près. Mais qu’à cela ne tienne. Edmond Simeoni s’essouffle, sans vergogne aucune, à dénoncer les méfaits de « l’économie résidentielle » qui fait flamber les prix du logement, en « empêchant aux Corses » de trouver à se loger à bas coût… tout en apportant sa pierre à cette même économie. Et c’est avec la nonchalance de l’habitué, que le chef de clan autonomiste se propose désormais de devenir le porte-parole du front anti-PADDUC tout entier. Décidément, c’est une bonne carte de visite en vue des prochaines élections territoriales de 2010.
Il faut bien admettre que Monsieur Simeoni peut compter sur la discrétion, voire l’omertà, de certains responsables associatifs engagés dans la lutte contre la spéculation immobilière afin que l’existence de ses propres investissements ne soit pas étalée au grand jour.
Tel est le cas de Michelle Salotti, [3], responsable d’U Levante, principale association de défense de l’environnement en Corse.
Madame Salotti a été, en effet, l’une des fondatrices des « I Verdi Corsi », faux nez écologiste lié à double fil au mouvement nationaliste, tandis que son mari Christophe, était candidat sur la liste de Corsica Nazione en 1992. Une liste dont le chef de file n’était autre que Monsieur Simeoni.
Nous étions dans la pire époque du nationalisme corse. Le 15 juin 1993, le FLNC-Canal historique, bras armé de la Cuncolta Naziunalista, elle aussi composante de Corsica Nazione, n’hésitait pas à tuer froidement Robert Sozzi (militant indépendantiste, mais aussi résolument communiste), dont la seule faute avait été de dénoncer la responsabilité écrasante de la principale organisation nationaliste dans la catastrophe du stade de Furiani.
Rappelons-nous. Dès 1992, la Cuncolta avait fait alliance avec Jean-François Filippi, le président du Sporting club de Bastia. L’organisation nationaliste, partie intégrante de la plateforme électorale Corsica Nazione, ne pouvait pas admettre que celui qui était devenu son principal bailleur de fonds, puisse être accusé de la plus grande catastrophe civile que l’île ait connue.
C’est ainsi que le FLNC-Canal historique a assassiné Robert Sozzi. Le meurtre fut ensuite revendiqué publiquement, et même justifié au nom de la « légitime défense préventive » par l’avocat nationaliste et ancien bâtonnier de Bastia, Vincent Stagnara qui figurait, lui aussi, sur la liste conduite par Edmond Simeoni.
Il faut bien admettre que les avocats nationalistes qui, de nos jours, sont si prompts à dénoncer les atteintes à la présomption d’innocence, ne s’embarrassaient pas de telles finesses juridiques pour justifier l’élimination physique des militants qui « mettaient en péril la cause ».
Le temps passe, mais les amitiés perdurent. Ainsi, l’association de Michelle Salotti se fait un devoir d’être bien discrète concernant les intérêts des clans nationalistes sur le littoral Corse. Alors que U Levante était en première ligne pour dénoncer le domaine de Sperone, un grand complexe immobilier et golfique, édifié en contournant la loi Littoral à Bonifacio, l’association n’a jamais dispensé un mot pour souligner que ce havre de luxe pour milliardaires était « sécurisé » par la société CGS, une société de gardiennage pilotée par Charles Pieri, homme fort du FLNC, et aujourd’hui incarcéré : reconnu coupable d’une série de malversations financières servant à financer, non pas la « cause », mais bel et bien ses propres besoins personnels.
Mais ce n’est pas tout. Lorsque des adhérents d’U Levante souhaitaient enquêter, il y a trois ans, sur des projets de constructions situés sur le magnifique site de Girolata, commune d’Osani, la responsable d’U Levante leur a expliqué qu’il valait mieux détourner le regard. En effet, le maire d’ Osani n’est autre que François Alfonsi, le numéro 2 du Parti de la Nation Corse.
U Levante, qui a fait de la dénonciation des paillotes en bordure de mer son cheval de bataille, n’a pourtant rien trouvé à redire, lorsque la famille Angelini est arrivée à faire surgir du sable un restaurant de plage sur le rivage de Palombaggia, à Porto-Vecchio. Jean-Christophe Angelini, faut-il le rappeler, est le leader du Parti de la Nation Corse, et il est actuellement mis en examen pour « association de malfaiteurs et complicité de faux ».
Quant à Edmond Simeoni qui, selon nos informations, se serait porté acquéreur de certains terrains agricoles sur la commune de Lumio, il peut compter sur une discrétion à toute épreuve. Jamais une critique venant de l’association de défense de l’environnement U Levante ne l’a effleuré. Même quand, avec son ami Jean-Pierre Pinelli, propriétaire de l’hôtel de luxe La Villa à Calvi, il s’était exprimé pour la réalisation de nouveaux sites golfiques en Corse, des sites très gourmands en eau, et souvent préconisés sur des terrains actuellement agricoles, et donc inconstructibles… L’omertà était de rigueur !
Des anciens adhérents d’U Levante nous ont expliqué que, lorsqu’ils ont posé le problème des investissements fonciers du chef nationaliste, Michelle Salotti a coupé court : « Edmond a toujours été très engagé, et il a eu très peu de temps pour travailler dans sa vie… ». Comment ne pas le comprendre… le pauvre !
Lire le dossier corse d’Amnisitia.net
A lire ou relire sur Bakchich.info
[1] Au sein du Collectif pour la loi Littoral, sont aussi présentes des organisations politiques : le Parti communiste, le Parti socialiste et Corse Social-Démocrate. Le mouvement nationaliste, à la connotation politique aussi vague qu’imprécise, participe, lui aussi, à la démarche : Corsica Libera (coalition indépendantiste, avec un fort penchant populiste. Ils sont solidaires avec les actions des clandestins), le Parti de la Nation Corse (autonomistes et libéraux. Ils condamnent fermement la violence politique) A Chjama Naziunale (autonomistes, tendance libérale, ils condamnent, mollement, la violence politique), A Manca (indépendantistes de gauche, liés stratégiquement au NPA d’Olivier Besancenot et tactiquement aux autonomistes de La Chjama Naziunale) et I Verdi Corsi (historiquement liés à double fil au mouvement nationaliste).
[2] jeudi 2 avril, le président de l’Exécutif de la Corse, Ange Santini, a présenté quelques 200 amendements au PADDUC arrêté en juillet 2008. Le terme économie résidentielle, qui prévoit la prolifération des résidences secondaires a, par exemple, été gommé dans cette nouvelle mouture au profit d’un terme quelque peu artistique : « économie présentielle ». Une économie qui concernerait, selon Ange Santini, « les apports des touristes, retraités et propriétaires de résidences secondaires à l’économie locale »… Du pareil au même ?
[3] contactéeMme Salotti n’a pas souhaité nous répondre
Il n’y a aucune possibilité d’action citoyenne dans cette île car les nationalistes ont réussi à infiltrer absolument toutes les réseaux environnementaux, humanitaires, culturels ou syndicaux. Cette politisation de nombreux aspects de la vie civile oblige chacun d’entre nous, soit à se rendre complice de idéologie nationaliste (même de manière tacite), soit à se tenir à l’écart du monde associatif, voire de la vie de la société Corse.
Par ailleurs, ce qui compte en Corse, plus que tout, c’est la façade. La Corse est en train de mourir du ’politiquement correct’ : tout le monde y soigne grandement son image ou l’image de l’île. On se présente comme humaniste, respectueux, écologiste, solidaire, tolérant alors que les comportements quotidiens et la réalité sont bien différents (et puis ça permet de faire passer des vessies pour des lanternes, mais le grand écart et un art en Corse). En clair, vécu au quotidien c’est du lavage de cerveau. Et bien sûr, personne ne mets jamais les pieds dans les plats, sauf dans un article comme lui là qui ne manquera par de provoquer des cris d’orfraies des nationalistes et sympathisants nationalistes bien pensants.
Pour finir avec un exemple : le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) n’a jamais voulu créer une antenne en Corse pour ne pas ’gêner’ les partis nationalistes. Pire il va présenter prochainement un candidat nationaliste aux élections européennes. Ça illustre totalement mon propos. Moi qui suis très à gauche je ne me vois pas soutenir un parti avec lequel j’avais pourtant quelques affinités puisqu’il s’allie à des gens qui défendent des idées de droite : la ’lutte’ Corse est une lutte de caste, pas une lutte de classe et l’idéologie nationaliste Corse est une idéologie de droite, très proche de celle du Front National (le FLNC et le FN ne partagent pas que la similarité des sigles).
Je me considère donc comme prisonnier d’une dictature régionale en train de pourrir sur pied. Et tout le monde s’en fout, ou presque.
1) Je suis Corse et je vis en Corse depuis toujours (comme ça, pour la légitimité c’est fait puisqu’il en faut toujours une, hein ?).
2) Heureusement qu’il reste le parti Communiste en Corse. Ne rigolez pas, c’est bien le seul parti politique Corse à s’être mouillé à de multiples occasions et surtout à avoir évité les compromissions.