La demande d’extradition vers la Suède de Julian Assange sera examinée par la justice britannique les 7 et 8 février prochains. Et le site de fuites peine à recueillir des fonds.
La justice britannique a fixé mardi aux 7 et 8 février l’examen de la demande d’extradition formulée par la Suède à l’encontre du cofondateur du site WikiLeaks Julian Assange dans le cadre d’une plainte déposée par deux Suédoises qui l’accusent de leur avoir imposé des rapports sexuels sans préservatif.
Julian Assange a toujours nié les faits, et sous-entendu avoir été piégé par la CIA au moment où WikiLeaks sortait ses 400 000 documents sur l’Irak. Il avait annoncé qu’il s’opposerait à son extradition, estimant que les conditions d’un procès impartial n’étaient pas réunies en Suède. Depuis le début de la procédure, l’Australien accuse à mots couverts la justice suédoise d’obéir à des pressions des Etats-Unis, où une enquête pénale sur Wikileaks est en cours. Ajoutant qu’il avait "de fortes chances" d’être tué dans une prison américaine s’il venait à être extradé.
Ses supporteurs estiment qu’il est victime d’une machination politique, en raison des fuites de dizaines de milliers de documents sensibles organisées par son site.
Les avocats de Julian Assange ont en outre publié sur internet l’ébauche de leur ligne de défense. En substance, ils estiment que le mandat d’arrêt européen lancé à l’encontre de leur client par la procureure Marianne Ny, en charge du dossier à Stockholm, constitue une procédure abusive. Ils affirment aussi que Julian Assange a proposé plusieurs fois de répondre aux questions de la procureure sans jamais recevoir de réponse.
Pour obtenir sa libération conditionnelle le 16 décembre après neuf jours de détention, Julian Assange a dû verser une caution de 240.000 livres (288.000 euros), réunie grâce à plusieurs personnalités. L’Australien vit actuellement en résidence surveillée dans la campagne anglaise, accueilli par un ami dans le manoir d’Ellingham Hall. Il est soumis à un couvre-feu et porte un bracelet électronique.
Julian Assange a par ailleurs déclaré à plusieurs médias mardi que WikiLeaks ne pourra poursuivre ses activités longtemps s’il continue de perdre de l’argent au rythme actuel.
"Nous ne pourrons pas survivre au train où vont les choses", a-t-il indiqué au micro d’Europe 1. "L’argent des donateurs a du mal à nous arriver, parce que tous nos comptes sont bloqués. J’estime que nous perdons 500 000 euros par semaine."
Dans une autre interview à France Info, Julian Assange s’est toutefois montré déterminé à ce que Wikileaks continue. "Les attaques que nous subissons n’ont jamais été aussi fortes, mais dans le même temps, les soutiens que nous recevons n’ont jamais été aussi importants", a-t-il dit. "Quoi qu’il arrive, nous continuerons. Le nombre de publications quotidiennes s’est intensifié ces derniers temps et va continuer à augmenter."
Devenu l’icône d’un journalisme alternatif, Julian Assange a longtemps gagné sa vie comme informaticien. Pour échapper, raconte-t-il, à un beau-père illuminé, il goûte très tôt aux délices de la clandestinité. Quand il est adolescent, la police l’arrête alors qu’il officie sous le pseudo de Mendax dans un collectif de hackers, International Subversives.
1. C’est quoi Wikileaks ?
Créé en décembre 2006 par Julian Assange, Wikileaks.org se présente comme un site participatif de fuites « déontologiques » et « éthiques » et se veut « la première agence de renseignements du peuple ». Apôtre de la transparence, il publie des documents bruts fournis par des sources dont il garantit l’anonymat. Le site est hébergé par des serveurs en Suède et en Belgique, deux pays aux législations favorables à la protection des sources. La plateforme emploie une demi-douzaine de volontaires à plein temps et a gagné, au gré de ses révélations embarrassantes, son statut de trouble-fuite.
2. Des scoops à gogo
Avril 2009 : le résumé d’auditions du pédophile belge Marc Dutroux. Un dossier de 1 235 pages, constitué en 2005 avant d’être transmis au juge d’instruction. Il faudra attendre août 2010 pour que ces fichiers soient médiatisés.
Octobre 2009 : la liste des quelque 11 811 membres du British National Party, l’organisation d’extrême droite britannique.
Novembre 2009 : 573 000 SMS envoyés par les personnels du Pentagone, du FBI, de la Federal Emergency Management Agency et du département de police de New York, le 11 septembre 2001.
Avril 2010 : une vidéo de l’armée américaine montrant un hélico abattre deux photographes de l’agence Reuters lors d’un raid en juillet 2007, à Bagdad. La révélation de cette bavure accroît la notoriété de Wiki- Leaks et conduit en prison Bradley Manning, le soldat soupçonné d’avoir divulgué le document.
Juillet 2010 : le War Diary, soit 90 000 rapports sur la guerre au jour le jour en Afghanistan de 2004 à 2009. WikiLeaks collabore pour l’occasion avec des médias internationaux.
Octobre 2010 : les « War Logs », 391 832 documents secrets sur l’Irak (2004- 2009) révélant notamment que la guerre a fait environ 110 000 morts dont 66 000 civils. Les troupes US auraient livré plusieurs milliers d’Irakiens à des centres de détention pratiquant la torture.
3. Mystères, mystères
« Organisation transnationale », sans adresse fixe, le site est officiellement financé par des dons de « défenseurs des droits de l’homme, de journalistes d’investigation, de technophiles et du grand public ». Impossible d’en savoir plus. Ce qui est sûr, c’est que ces donations ne couvrent que la moitié du budget de fonctionnement, qui est de 300 000 euros environ. Le site fait donc appel très régulièrement aux généreux donateurs pour exister. Pour ce qui est des membres de l’équipe, hormis quelques noms, comme ceux de Ron Gonggrijp, spécialiste du cryptage, ou Birgitta Jonsdottir, qui siège au Parlement islandais, là encore mystère. On connaît surtout ceux qui ont claqué la porte, comme l’ancien porte-parole, Daniel Domscheit-Berg, parti créer son propre site pour cause de divergence stratégique – il aurait mal digéré la mise en pâture de certaines sources. Si ces dissidents dénoncent le culte de la personnalité autour d’Assange et déplorent la mauvaise organisation de WikiLeaks, ils font désormais l’objet d’un nouveau soupçon : et s’ils étaient financés par les services secrets américains ?
4. Journalisme de données
Pour faire chic, dites « data journalism ». Quésaco ? Une forme d’investigation plutôt technique qui consiste, grâce à Internet et à des logiciels de recherche, à dépouiller des documents en grande quantité. Pas simple. Le principe de départ de WikiLeaks a été de publier des infos brutes, mais, très vite, il a fallu composer. Humainement d’abord : une ONG comme Amnesty International avait « dialogué » avec WikiLeaks pour protéger des Afghans cités dans le War Diary. Reporters sans frontières dénonçait carrément « la mise en danger des sources et, au-delà, l’avenir d’Internet en tant que support d’information ». WikiLeaks a donc été amené à davantage collaborer avec les médias traditionnels, qui « valident » au fur et à mesure une partie des infos, et même avec des agences Web qui conçoivent et développent des outils utiles à la consultation de la masse de documents.
5. Et la presse ?
Le site de fuites choisit de grands médias, qui sont amenés à collaborer sur des documents livrés en avant-première (The New York Times, The Guardian, Der Spiegel, Al-Jazeera…). Au début, les médias tricolores n’ont pas été associés aux campagnes de médiatisation. Honteux ! En juillet, Liberation.fr fait sa une sur les War Logs irakiens à partir du blog d’un correspondant. Le Monde titre gentiment sur « La stratégie bien rodée de WikiLeaks », qu’il qualifie par ailleurs de « contrebandier de l’info ». Mais, à la fin novembre, l’ex-quotidien de référence, désormais associé au « pool » WikiLeaks, expliquera que, « à partir du moment où cette masse de documents a été transmise, même illégalement, à WikiLeaks, et qu’elle risque donc de tomber à tout instant dans le domaine public, le Monde a considéré qu’il relevait de sa mission de prendre connaissance de ces documents, d’en faire une analyse journalistique et de la mettre à la disposition de ses lecteurs ». Cocorico.
6. La contre-attaque du Pentagone
C’est peu de dire que les États-Unis n’apprécient guère les révélations en cascade du site Internet. Aussi, après avoir arrêté Bradley Manning, l’une des sources présumées, ont-ils déclaré ouverte la chasse au Wiki- Leaks. Dès mars 2008, un document de 32 pages classé confidentiel émanant du ministère de la Défense américain indiquait la meilleure manière de se débarrasser de WikiLeaks. Celui-ci détaillait : « Wikileaks.org utilise la confiance qu’il inspire comme centre de gravité, en assurant à ses informateurs et à ceux qui entrent en contact avec les journalistes du site qu’ils resteront anonymes. L’identification des sources du site serait donc de nature à dissuader d’autres personnes d’utiliser Wikileaks.org. »
7. Bradley Manning, héros, martyr ou repoussoir ?
Si l’origine des fuites reste « officiellement » inconnue, les autorités américaines ont déjà un suspect. Bradley Manning, 23 ans, spécialiste du renseignement au sein de l’armée américaine, a été arrêté au mois de mai après avoir été dénoncé par l’ex-hacker Adrian Lamo, à qui il avait confié avoir envoyé des copies des bases de données à WikiLeaks. Considéré comme un traître par une bonne partie de la population américaine, il est soutenu par la gauche radicale, comme l’intellectuel Noam Chomsky. « J’écoutais Lady Gaga et je chantonnais sur la musique, tout en exfiltrant la plus grande fuite de l’histoire des États-Unis », expliquaitil à celui qui le dénoncera plus tard aux autorités américaines. Il encourt cinquante-deux ans de prison. L’acte d’accusation est à lire sur http:// minu.me/3e2r.
8. Qui héberge WikiLeaks ?
Plutôt que de s’en prendre à son leader, les détracteurs de WikiLeaks pourraient avoir envie d’asticoter ses hébergeurs. Là aussi, la tâche est compliquée. Hébergé en Belgique et en Suède, WikiLeaks et les données qui y transitent sont défendus par des lois sur la protection des sources très favorables. PRQ, son hébergeur suédois, explique à Bakchich : « On ne filtre, ni ne censure ni ne surveille nos clients d’aucune manière (…). On ne conserve qu’un e-mail pour la facturation (…). L’entreprise a été fondée sur l’idée que la liberté d’expression et le respect de la vie privée sont des droits qui ne peuvent être restreints et qui sont au contraire des droits fondamentaux qui garantissent la démocratie et le débat. »
9. Le paradis islandais
Au début de novembre, WikiLeaks annonçait la création en Islande de Sunshine Press Production, sa première entité juridique connue. Pourquoi l’Islande ? Principalement parce que ce pays travaille actuellement à une législation très favorable aux médias. En collaboration avec WikiLeaks, la députée Birgitta Jonsdottir est à la tête d’un groupe, baptisé Immi (Icelandic Modern Media Initiative), qui élabore depuis deux ans une politique visant à faire de ce pays « un paradis pour la liberté de presse ».