Plus de 60 avocats, dont plusieurs stars du barreau, jouent leur partition pour un procès aux lourds enjeux pétroliers. Il y a le torpilleur de dossiers, l’amateur de bons mots et les autres.
Le tribunal est un théâtre, et chacun des avocats mobilisés depuis octobre 2008 pour le procès de l’Angolagate a cherché à imposer son personnage sur la scène de la salle des Criées, au Palais de Justice de Paris. Les grands jours, l’enceinte, qui accueille les 42 prévenus de ce trafic d’armes présumé et les parties civiles, froufroute du mouvement de 60 robes noires qui s’asseyent, se lèvent, murmurent, s’amusent ou grondent. Au début des audiences, voilà que chacun fait son tour, ça se bise, ça se serre les mains, ça se tape dans le dos. A chaque nouvelle audience, l’immanquable rituel. On défile – respectueusement ? - devant Pierre Falcone, l’homme clé de l’affaire, qui a arrosé tous les prévenus et est jugé pour cela, et Charles Pasqua ; on monte les marches conduisant à Jean-Charles Marchiani qui, détenu, n’est pas libre de ses mouvements dans le tribunal. Face à ce mouvement perpétuel, le président Jean-Baptiste Parlos, ses assesseurs, que des femmes, et les greffières, doivent se sentir bien seuls. Ça dure depuis début octobre.
Les piliers des grosses affaires pénales sont tous là ou presque. Les enjeux de l’affaire sont lourds, et pas seulement par les centaines de millions évoqués à l’audience. En coulisse se jouent les relations de la France avec un incontournable Eldorado pétrolier qui persiste à soutenir Falcone, au point de l’avoir nommé ambassadeur pour lui garantir une immunité.
Les assauts se mènent en groupe mais chacun joue sa partition. Leurs clients n’ont-ils pas, un par un, leur intérêt à faire valoir ? Le temps a passé depuis les réunions d’avocats tenues - afin de donner le la et préparer les offensives communes - autour des avocats de Pierre Falcone. Mais encore aujourd’hui, les conseils de l’homme d’affaires multicarte sont les plus virulents. Rassemblés derrière lui, assis au premier rang, juste devant les micros où viennent s’exprimer prévenus et témoins, Pierre-François Veil, Emmanuel Marsigny et Georges Jourde font face au président. Il suffit qu’un interrogatoire tourne au désavantage de Falcone, voire qu’un seul mot soit prononcé, pour qu’ils se déploient en des effets de verbe et de manches. En se faisant parfois rabrouer par Parlos, qui dégaine parfois, sourire moqueur aux lèvres, le mot qui tue un avocat : « Décidément la procédure pénale vous joue des tours, maître ». Alors que le président menait l’audition comme témoin de l’ancien numéro deux de la DST, mardi 3 février, Pierre-François Veil pose une question puis une autre et s’excuse d’avoir « l’esprit en escalier ».
« Alors grimpez », s’exclame Parlos.
« L’escalier ça se prend dans les deux sens… » : l’un des avocats de Charles Pasqua, Lev Forster, ne manque jamais de saisir la balle au bond, n’hésitant pas à tacler ses confrères. C’est l’homme des bons mots, et on les voit parfois démarrer une partie de ping pong verbal avec le président. Débarquant à l’audience avec ses dossiers, sa canne et parfois un bon livre – Saladin, récemment – ou un magazine qu’il feuillette en mâchant du chewing gum, il a l’air de ne pas y toucher mais commente à haute voix les déclarations des uns et des autres. Pendant ce temps, Pasqua se marre avec son autre avocat, Edgar Vincensini, écoute les débats, échange des coups d’œil complices avec ses anciens conseillers – dont deux sont jugés comme lui, Bernard Guillet et Jean-Charles Marchiani -, voire somnole. Son jeune garde du corps l’attend sur les bancs de la presse.
« Alors ça va les enfants ? » Jean-Pierre Versini, l’un des deux conseils de Jean-Christophe Mitterrand, vient saluer les journalistes. C’est lui qui, estimant un jour que « la vérité ne doit faire peur à personne »,inspire les coups les plus frontaux, cherchant à torpiller l’instruction du juge Philippe Courroye comme il l’avait déjà fait au cours de l’enquête. Prenant acte du refus de venir témoigner ce mercredi 4 février de l’ancien patron des RG Yves Bertrand, il aurait bien aimé jouer un peu et demander au tribunal de le faire venir par la force… Chiraquien pur jus, Bertrand, rappelons le, avait inscrit dans ses carnets de mystérieuses annotations sur Courroye, et la défense veut y voir la preuve que l’affaire avait été soufflée à l’oreille du juge dans le seul but de nuire à Charles Pasqua. Mais l’initiative n’a pas soulevé l’enthousiasme des confrères.
Quant aux avocats d’Arcadi Gaydamak, l’autre pivot de l’affaire, ils sont aussi présents à l’audience que leur client est absent, en fuite en Israël ou en Russie, c’est selon. Chaque fois que le nom de l’homme d’affaires milliardaire est prononcé dans la salle, voilà Pierre Haïk, Jacqueline Laffont et William Goldnadel qui dressent l’oreille et se préparent à sortir leurs ergots. En alternance néanmoins, surtout depuis que Haïk est retenu à la 17ème chambre du tribunal pour conseiller Xavière Tibéri dans l’affaire des faux électeurs…
Les autres robes noires se font discrètes, apparaissant épisodiquement à l’audience au gré des interrogatoires de leurs clients, deuxièmes ou troisièmes couteaux de l’affaire. Jean-Michel Darrois, l’avocat de Jacques Attali, a beau être une star incontestée du barreau, il se fait rare. Jacques Trémolet de Villers (pour Marchiani) a des trémolos dans la voix quand il faut défendre l’action incertaine de l’aventureux préfet en Bosnie ou ailleurs. Olivier Baratelli (Jean-Noël Tassez, l’influent conseiller des patrons du CAC 40) se cale dans un petit coin au fond de la salle, Martine Malinbaum (Paul-Loup Sulitzer) parcourt le livre qu’elle vient de signer, un recueil des lettres d’amour que lui envoyait Jacques Mesrine, et qui lui vaut une enquête disciplinaire du barreau pour violation du secret professionnel… plus de 30 après. Bernard Guillet, l’ex-conseiller de Pasqua, n’a plus d’avocat, faute d’argent. Quant aux conseils des parties civiles, qu’ils représentent le fisc ou les liquidateurs de Brenco, l’ancienne société de Falcone, ils sont étrangement muets.
Quand ils sont là.
Pour lire ou relire les articles de Bakchich sur l’Angolagate :