Des années durant, droite et gauche ont "laissé faire" sur les marchés publics de la région. Si cela suffit à des mises en examen….
Le dossier baptisée Guernica par les enquêteurs a provoqué un gros embouteillage, au sortir de l’autoroute, Aubagne-Marseille les 12 et 13 janvier.
Plus précisément à l’avenue de Toulon, siège de la section de recherche de Gendarmerie en charge de l’enquête menée par le juge Duchaine. En garde-à-vue, quelques santons aubagnais. Le chef de cabinet du maire, un ancien directeur technique de la communauté d’agglomération et le directeur de cabinet du président la communauté d’agglomération. Sans oublier le premier élu gardé à vue dans ce dossier qui fait trembler la classe politique marseillaise, Alain Belviso, président de la communauté d’Agglo d’Aubagne.
Du beau monde, pas encore du grand-monde. Mais des convocations aux airs de message lancés aux autres élus, tous bord confondus.
De Marseille à Aubagne, une longue histoire d’amour. Né des temps pas si anciens où les citadins montaient à la campagne, du côté du village, à l’ombre du Garlaban. Lointaines réminiscences de cet transhumance transcendée par Pagnol, le plus célèbre des Aubagnais, demeurent les bouchons de l’autoroute entre le Prado et sa ville-banlieue, où malgré l’usure des ans, une touche de rouge demeure. Aubagne la Coco, l’une des dernières forteresses de la barrière communiste qui effraya tant le légendaire maire de Marseille Gaston Deferre. Le PCF semble enraciné aux institutions. Seul le député est un UMP. Incrusté à la mairie à la communauté urbaine, le PC trône dans la capitale des santons. Inactif, inamovible, jamais touché par la gauche plutôt qu’intouchable.
Bienveillante, la puissante fédération socialiste des Bouches-du-Rhône de Jean-Noël Guérini ne s’est même que peu apprêté pour aller la quereller. "Nous avons toujours passé des accords avec les communistes", sourit une huile socialiste officielle. Comme une preuve que la gauche peut s’entendre à merveille ? De mesquins esprits subodorent des accords un peu moins glorieux et aux fort relents d’ordures, dont le fumet ressort depuis l’arrestation, le 29 novembre dernier, d’Alexandre Guérini, frère du président socialiste du Conseil Général, dans le cadre d’une vaste enquête (dévoilée par Bakchich dès novembre 2009) sur des marchés publics présumés frauduleux.
L’élu et les fonctionnaires aubagnais, aux rôles éminemment politiques ont été passés au gril pour avoir "laissé faire" comme l’a affirmé un témoin. Notamment avoir été au courant qu’Alexandre Guérini, entrepreneur et acteur majeur du marché des ordures du département a déversé des ordures privées dans la décharge de la communauté du Pays d’Aubagne, la décharge du Mentaure, sise à La Ciotat, quand cela était interdit.
Interdit mais tellement rentable ! Pour un bénéfice de près de 4,5 millions d’euros, comme l’a reconnu en audition Alexandre Guérini, qui avait remporté l’appel d’offres pour gérer la décharge. A ajouter à quelques broutilles que lui reproche le juge Duchaine : surfacturations lors de la pesée, des travaux d’aménagement confiés à des sociétés proches du grand banditisme. Une ambiance où se mêle détournement de biens et de fond publics, voire de blanchiment d’argent du grand banditisme. "De la surfacturation qui n’en fait pas ?, tempère un ponte de la droite marseillaise. Et Alexandre est un bosseur, on ne peut pas dire qu’il ne fait pas le travail ou qu’il le fait mal. Mais quand on voit les noms du grand banditisme apparaître, on peut se dire que les ramifications sont énormes, bien plus grandes que ce qu’on imaginait. Et que M. Frère a été alpagué dans un système bien plus fort que lui".
Une déclaration étonnante, dite d’une voie craintive lors d’un rendez-vous discret, dans un bar du quartier de l’Opéra à Marseille en décembre dernier. Les garde-à-vue des derniers jours ne vont pas le rassurer.
A côté des Aubagnais, Patrick Boudemaghe a enfin été interrogé. L’homme qui a été arrêté en Espagne début décembre est suspecté d’avoir créé des sociétés-taxis (qui ont travaillé notamment avec Alexandre Guérini) pour blanchir l’argent du clan Barresi-Campanella. M. Alexandre, lui, a été confronté à Michel Karabadjakian, l’ex directeur général adjoint à la propreté de la Communauté urbaine de Marseille. Ce dernier, mis en examen pour corruption passive a affirmé, "subjugué" par la personnalité d’Alex, l’avoir avantagé lors d’appels d’offres. L’enquête, malgré les entraves (voir Bakchich Hebdo 53), fait trembler les eaux du Vieux Port et pas seulement les jours de Mistral.
Des années durant, droite et gauche ont "laissé faire" sur les marchés publics de la région. Si cela suffit à des mises en examen…. "Beaucoup d’hommes politiques ne portent plus que des mocassins", s’amuse un dandy de la ville. Histoire de gagner du temps lors des fouilles ? A nouveau, la ville bruisse de convocations de noms plus sonnants. Imminentes. Eugène Caselli, le président socialiste de la Communauté urbaine de Marseille, épicentre du dossier des marchés truqués ? Ou celui qui l’a mis en place, Jean-Noël Guérini, président du CG 13 et frère d’Alex ? Les cérémonies de voeux sont achevées, chacun s’est évertué à répondre qu’il s’endormait l’esprit tranquille chaque soir.
Début février commence la campagne des cantonales et les candidats PS ne savent plus si leur lider maximo sera aux commandes ou aux Baumettes pour les mener à la victoire ou à la défaite. Théoriquement, le conseil général devrait rester à gauche mais combien de candidats PS ou PC la justice va-t-elle convoquer avant le début de la campagne ? C’est le chiffre mystère mais il devrait vite tomber sur les téléscripteurs puisque le juge Duchaine sait que le pouvoir politique lui reprocherait de faire tomber la foudre en pleine campagne.
Guernica était le tableau d’un massacre par bombardement. Là, c’est une guerre des nerfs.