Altis, importante entreprise de semi-conducteurs, se retrouve au coeur de la campagne pour les municipales de Corbeil-Essonnes des 5 et 12 décembre.
Dans son malheur – la crise économique qui la menace –, Altis, importante entreprise de semi-conducteurs, a la chance de se retrouver au coeur de la campagne pour les élections municipales de Corbeil-Essonnes (91) dont le premier tour aura lieu dimanche prochain 5 décembre. À la veille d’un scrutin crucial pour le clan de Serge Dassault, qui veut maintenir son emprise sur son fief, l’avenir de cette boîte qui génère 3 000 emplois directs et indirects, lâchée par IBM et Infineon, est devenu une préoccupation majeure.
Officiellement, la société a été sauvée cet été. Grâce aux connexions de Serge Dassault. Candidat à sa propre succession, après l’annulation de son élection, Jean-Pierre Bechter, le pion numéro un de Dassault, a distribué une brochure dans Corbeil. Elle le montre au côté de son patron milliardaire avec un titre explicite : « Promesse tenue : Altis sauvée et relancée ». « Avec cette élection, il nous a pris en otage », explique Serge Cavanna, le délégué CFDT d’Altis, qui sait aussi que la fermeture de l’usine serait une catastrophe.
Rachetée après trois années d’incertitude par Yazid Sabeg, le haut-commissaire à la diversité, un vieil ami de Bechter, Altis n’est pourtant pas tout à fait sortie d’affaire. Il manque toujours 50 millions d’euros pour boucler un tour de table d’une singulière complexité. Si Sabeg a apporté 40 millions – en reconnaissant qu’il ne s’agissait pas de son propre argent –, les 30 millions promis, et censés venir d’investisseurs étrangers, se font encore attendre. Quant aux 20 millions d’euros du FSI, le fonds public chargé de soutenir les entreprises en difficulté, malgré les pressions (rapportées par le Canard enchaîné) de Claude Guéant, le tout-puissant secrétaire général de l’Élysée proche de Sabeg, Altis pourrait bien avoir à s’en passer. Dans un premier temps, le FSI avait en effet jugé le projet de reprise trop nébuleux pour investir. Contacté par Bakchich, un représentant du FSI indique pudiquement : « Dans ce dossier, il faut donner du temps au temps. » En clair, attendre que passent les élections.
Serge Dassault, qui déclarait en février dernier vouloir investir 40 millions pour sauver Altis, s’est, depuis, officiellement retiré du dossier. Mais ne dément que très mollement être, en sous-main, l’investisseur mystère de Sabeg. Pourquoi ne pas, alors, assumer sa participation jusqu’au bout, si participation il y a ? C’est que, politiquement, l’affaire est délicate : difficile, après avoir été condamné pour « achat de voix », de lancer une nouvelle campagne électorale en achetant une usine qui ne représente pas d’intérêt industriel pour son groupe. Pour Thierry Mandon, conseiller général PS du coin, les raisons du non-achat par Dassault seraient motivées par un conflit d’intérêts : « Dassault a des participations dans Thales, un concurrent d’Alcatel qui est aussi un client important démarché par Altis. Il y a peut-être aussi des considérations fiscales… »
Reste que, sur place, malgré le rachat, les inquiétudes sont toujours là. « C’est un projet de reprise à l’arrache, fait sur un coin de table », tranche le syndicaliste Serge Cavanna. Financièrement, selon les experts, ce projet ne tient pas la route. « On a à peine un tiers de la somme pour redémarrer un projet industriel », déplore Marc Roumejon, secrétaire général de la CGT 91. Échaudés par trois ans d’incertitudes, certains salariés redoutent un scénario catastrophe. Et si Sabeg rachetait dans le seul but de faire plaisir à son copain Dassault, puis revendait le site par petits bouts, en tant que bien immobilier, un terrain estimé à plusieurs centaines de millions d’euros ? Thierry Mandon, peu suspect d’affinités avec l’avionneur, est un peu plus rassurant : « Le rachat d’Altis n’est pas seulement un écran de fumée pré-électoral. » Certes, Dassault a souvent dégainé le carnet de chèques pour ses élections, mais de là à racheter une boîte pour garder la mairie, c’est, selon le maire de Ris-Orangis et conseil général, pousser le bouchon un peu loin.
Depuis l’annonce, en 2007, de la mise en vente de l’entreprise par IBM et Infineon, les repreneurs fiables ne se sont pas bousculés au chevet d’Altis. Au contraire, ces trois dernières années, les salariés ont vu défiler les candidats, russes pour la plupart, qui finissaient par prendre la poudre d’escampette. Un expert, qui suit de près le dossier, explique par ailleurs que les pouvoirs publics auraient pu mettre leur veto aux investissements russes… Façon de prévenir un éventuel pillage technologique, Moscou cherchant depuis quelques années à combler son retard en matière de semi-conducteurs.
Les Russes sont-ils vraiment sortis du dossier ? Ou font-ils partie, comme les Qataris, des fonds étrangers susceptibles de boucler le tour de table. Pour Yazid Sabeg, ils ne sont pas encore entrés au capital, « mais nous discutons sur un projet de centre de design [centre de conception, ndlr] en Russie avec Sistema ». Une joint-venture ? Pour l’instant, les négociations se poursuivent. Mais l’affaire est éminemment politique. Sistema, énorme consortium qui possède le plus gros opérateur de téléphonie de Russie, appartient à l’oligarque milliardaire Vladimir Yevtushenkov, le beau-frère du maire de Moscou, récemment limogé par le président russe, Dmitri Medvedev.
Reste qu’aujourd’hui tout ce beau monde continue d’être courtisé par la galaxie Dassault. En septembre, Jean-Pierre Bechter s’est rendu en Russie pour parlementer avec ces investisseurs. Comme son patron, Serge Dassault, qui était allé à la fin 2008 rencontrer Vladimir Poutine à Moscou… et lui parler d’un dossier électoralement stratégique, celui d’Altis.
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