Ca tire à vue sur ceux qui ont ficelé l’affaire, les juges d’instruction et le parquet. Mais le tribunal évoque les millions reçus par Paul-Loup Sulitzer, dit « Goldfinger », comme James Bond…
A l’assaut contre les juges. Le procès de l’Angolagate aborde un tournant, avec les cas des uns et des autres, ceux qui ont bénéficié des enveloppes bourrées de billets ou de virements dans les paradis fiscaux de Pierre Falcone, généreux financier d’une galaxie de personnages hauts en couleurs. Paul-Loup Sulitzer passe sur le grill, gentiment assis face au président Jean-Baptiste Parlos. Il a varié dans ses dépositions mais, promis juré, dit désormais la vérité. Est-il ou non le titulaire d’un mystérieux compte bancaire aux Bahamas dénommé « Goldfinger », tel le film bien connu mettant en scène le 007 ? « Non, c’est James Bond, pas moi », répondait-il au début de l’instruction. « Oui, c’est moi », a-t-il expliqué par la suite. Devant le tribunal, hier : « J’ai menti, j’avais peur, c’était tendu avec le juge Courroye ».
Sulitzer, après avoir 4 fois au cours de l’enquête nié détenir un compte à l’étranger, a finalement reconnu être propriétaire du compte Thor-Goldfish à Zurich. « J’ai menti, j’ai commis une erreur, je le reconnais ». Il a été fiscalement condamné pour ne pas avoir déclaré les millions qui y étaient planqués. Mais encore une fois, l’argument revient contre les juges. « J’avais peur. Et je n’ai pas de passeport depuis 9 ans. Comment faire pour exercer mon métier de consultant international ? » Falcone, qui craignait des articles négatifs sur l’Angola, la guerre civile et son équipée avec Arcadi Gaydamak, payait Sulitzer, dit-il, pour sa cellule de veille médiatique…
La fête à Courroye a commencé. Un avocat se lève, dénonçant les « poignées de boue » jetées sur son client, un magistrat, Georges Fenech, à qui on reproche d’avoir reçu 15 000 euros de l’homme d’affaires Pierre Falcone pour la revue du syndicat de magistrats qu’il présidait, l’APM (Association professionnelle de magistrats, bien à droite). Le juge, nommé il y a peu président de la Miviludes, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, prétend que les juges qui ont instruit l’Angolagate en voulaient à sa personne, pas au syndicat, et les assassine. « Le juge Courroye, qui a signé l’ordonnance de renvoi, c’est simple, je ne l’ai jamais vu. Isabelle Prévost-Desprez [la juge qui a été cosaisie aux côtés de Philippe Courroye] m’a dit quand je suis entré dans son cabinet : “Monsieur, vous avez trouvé votre maître”. Après, elle m’a parlé de Ben Laden ». Moui. Personne ne confirme…
Un autre avocat embraie. « Bienvenue à Ubu », s’exclame Pierre-François Veil. Le fils de la nouvelle académicienne dénonce, lui, les « torrents de boue » qui auraient éclaboussé les prévenus de l’Angolagate. « La façon dont nous avons été traités est contraire à la Convention européenne des Droits de l’Homme. On a rien dit, on est restés polis, on a continué. Mais tout le dossier est fait de mensonges et de boue ». Après Courroye, Marin et le parquet de Paris. Le procureur de la République de Paris en prend lui aussi plein dans la figure. Un vieux dossier qu’il a classé alors qu’il était proc’ adjoint mettant en cause un prévenu du procès, laissant planer un soupçon qui fâche Georges Fenech. « Si nous avions juridiquement le droit, nous aurions demandé la récusation du parquet », assène Lev Forster, l’avocat de Charles Pasqua. L’avocat, rabroué par le président, « assume » la « prise à partie personnelle ». Ambiance… Au cours de la suspension d’audience, la bras droit du procureur est descendue dans la salle et s’entretient en murmurant avec les deux substituts qui soutiennent l’accusation.
Mais bon, les faits sont là, et les millions qui se baladent de comptes à comptes, aussi. Tiens, le tribunal juge un juge. Georges Fenech, attend, dit-il, « ce moment depuis 10 ans ». A l’époque où il présidait son syndicat de magistrats de droite, il tenait ses assemblées générales au Palais de justice de Paris et occupait, souligne-t-il, la place où est assis le président Jean-Baptiste Parlos pendant la durée du procès…
C’est pour sa revue que les 15 000 euros avaient été donnés par Falcone. « Une revue de société sur l’intégration de la justice dans la société », se souvient-il. En échange de quoi, la société de Falcone a eu l’insigne honneur de recevoir 25 abonnements « de soutien » de la revue pendant deux ans. Il ne comprend pas pourquoi la justice lui cherche noise.
C’est un général, retraité de l’armée et vice-président de la Compagnie des signaux (aujourd’hui Communication et systèmes) qui a présenté l’homme d’affaires international au magistrat. « Oui monsieur le président, plaide ce dernier, je suis un magistrat qui vit dans la société civile, je sors du palais de justice, je vois des chefs d’entreprises… » Et aussi des généraux et des marchands d’armes… Ils se sont vus, se sont plus, et hop, un chèque arrive au trésorier de l’APM. Le chèque est tiré sur le compte suisse de Falcone, on y voit pas malice. De toute façon, replaide Fenech, « je ne m’occupais pas de la trésorerie du syndicat ». Quand il venait dans les locaux de Brenco, la société de Falcone, avenue Kléber, « il n’y avait pas de Kalachnikovs sur les étagères ». Le général assure qu’il avait informé Fenech : Brenco négociait des armes. L’ex-président de l’APM nie avoir été informé.
Pourquoi Falcone a tenu à financer ce syndicat de juges ? « Bah la justice manquait cruellement de moyens », assure l’homme d’affaires. Le président recadre : « Avec votre chèque vous financiez un syndicat, vous ne répondiez pas à une demande du ministère de la Justice ». Pas vraiment pareil. Même si l’argent n’a pas rejoint les poches de Fenech, mais les caisses de l’APM.
Georges Fenech, ancien juge d’instruction, doit sa notoriété à un dossier instruit à Lyon sur la Scientologie. Il s’énerve et tonne quand on lui rappelle une autre affaire dans laquelle sa probité vaguement malmenée. Et ne comprend pas pourquoi on le juge pour les fonds reçus de Falcone et pas pour ceux perçus des autres sociétés qui finançaient son syndicat. « Lagardère, Axa, LVMH, le Medef de Lyon, la Compagnie des signaux » achetaient elles aussi des abonnements. Et aussi l’UIMM, la fameuse Union de l’industrie métallurgique, dont les millions évaporés en liquide occupent également la justice ces temps-ci.
Curieux, le président Jean-Baptiste Parlos fait son malin : « Et l’UIMM, elle vous payait en chèque, en virement… ? » Plane l’ombre des valises de billets de banques, que Georges Fenech évite soigneusement. « Monsieur le président, comme je vous l’ai dit, je ne m’occupais de la trésorerie du syndicat ». Quand la mémoire lui revient, c’est pour administrer un coup de griffe à son ancien concurrent syndical, l’USM, le syndicat majoritaire et modéré : « En 1990, quand l’USM a tenu son congrès de Lyon en présence du Garde des Sceaux Henri Nallet, une grande banderole Crédit agricole montrait que cette banque finançait le syndicat… ».
Le tribunal et le parquet s’interrogent : « Vous ne faisiez pas d’enquête, de vérifications élémentaires, au moment de recevoir cette somme qui équivaut tout de même à la moitié du financement de votre syndicat ? » Et bien non, il n’est pas venu à l’idée des 18 magistrats qui composent alors le bureau de l’APM, dont des proches d’Yves Bot, ancien procureur de Paris, d’aller farfouiller sur Infogreffe ou ailleurs. Fenech a reçu à son domicile un beau cadeau de la société de ventes d’armes : une malle Fauchon. « C’était plein de pots de miel et de pots de confiture », se rappelle-t-il. Le magistrat, une fois de plus, assure vivre dans la société et non pas reclus dans un palais de justice : « Heureusement qu’on se fait encore des cadeaux dans la société dans laquelle on vit ». D’ailleurs, il a reçu il y a deux semaines, dit-il, une caisse de beaujolais nouveau, et l’a gardée.
Bien entendu, il n’est pas question d’être intervenu, d’avoir rendu des services ou donné des informations sur des affaires en cours à Pierre Falcone : « Ce serait se faire une bien piètre idée de la justice », assène Fenech.
Lire ou relire dans Bakchich sur l’Angolagate :
La vérité sur l’Angolagate est dans le dernier roman de Paul-Loup Sulitzer, Le Roi rouge.
L’affaire y est expliquée et décryptée. Une éclatante réussite.
Voir également son blog ici : http://paulloupsulitzer.unblog.fr