En 2008, comme en 2007, à l’occasion du 14 juillet, l’Elysée a renoncé à toute forme de grâce présidentielle. Toutefois, l’été judiciaire est marqué par de spectaculaires retours en grâce. Episode N°1 : l’affaire Falcone.
Front judiciaire majeur, après l’affaire Tapie (sur laquelle Bakchich reviendra demain), l’Affaire Falcone, que le pouvoir s’applique à déminer avant le procès qui doit s’ouvrir en octobre prochain. L’Angolagate ou un copieux dossier de courtage en armes et de corruption présumés, dans lesquels, outre l’homme d’affaire Pierre Falcone, 42 personnes sont renvoyées devant le tribunal correctionnel de Paris. Parmi eux une kyrielle d’amis plus ou moins proches du pouvoir dont Jacques Attali, Charles Pasqua, Jean Charles Marchiani, Jean-Noël Tassez etc.
C’est dans ce contexte que le 11 juillet dernier, Hervé Morin, ministre de la Défense adressait un courrier, révélé par le Point, au défenseur de Falcone, et dans lequel le ministre s’applique à dynamiter le fondement même des poursuites judiciaires engagées. (Lire l’encadré ci-dessous)
Pierre Falcone est surtout l’homme de confiance du président angolais Dos Santos, assis sur ses puits de pétrole… Or, depuis les poursuites engagées par la justice dans le dossier de l’Angolagate, le message des Angolais est clair : Si Falcone était condamné, le groupe Total n’aurait plus une goutte d’or noir… D’où l’embarras de l’Elysée et les discrets émissaires envoyés à Luanda pour rassurer Dos Santos.
C’est dans ce contexte que le ministre de la Défense, Hervé Morin a adressé le 11 juillet une stupéfiante missive à l’avocat de Falcone. Comme s’il était d’usage qu’un ministre de la République apporte un soutien public à l’avocat d’un mis en examen qui doit comparaître dans quelques semaines devant la justice… L’argumentaire de monsieur Morin, qui fait référence aux seules pièces fournies par l’avocat, est tout aussi extravagant. Le ministère de la Défense plaide t-il, n’aurait jamais du déposer plainte dans cette affaire de commerce d’armes puisqu’il n’y a jamais eu de « trafic » à proprement parler à partir de la France.
Avant d’envoyer cette lettre incongrue le ministre aurait du demander conseil à sa collègue de la Justice ou du moins au Parquet …Et on lui aurait expliqué que dans ce dossier, l’accusation repose sur un délit précis, le courtage en commerce illicite d’armes. À ne pas confondre avec le trafic d’armes stricto sensu. Le concept juridique précis de courtage, régi par une ordonnance de 1939, oblige tout négociant en armes œuvrant depuis Paris à obtenir une autorisation en bonne et due forme du ministère de la Défense. Et peu importe, dans ce cadre juridique que les armes aient physiquement transitées ou pas, par le territoire français. Que dans un dossier aussi brûlant un ministre reprenne l’argumentaire le plus éculé des avocats de la défense ne fait pas honneur à notre République. N.B.
Avec moins de publicité, Rachida Dati, notre pétulante gardes des Sceaux a d’ailleurs déjà largement anticipé les suites favorables attendues de ce procès. En procédant notamment à la réintégration au sein de ce même parquet de Georges Fenech, magistrat mis en examen dans ce dossier. Ainsi le 24 juin dernier la place Vendôme proposait elle la réintégration du magistrat au sein de l’administration centrale comme premier substitut, poste où il sera peut–être amené à donner des instructions au Parquet de Paris…
Présumé innocent, Georges Fenech a été mis en examen pour abus de bien social, par Philippe Courroye et Isabelle Prevost-Deprez après la découverte lors de l’enquête sur l’Angolagate d’un singulier virement en 1997 d’une somme de 100 000 francs par une société dirigée par Pierre Falcone au profit de la revue de l’APM - Association Professionnelle des Magistrats - alors présidée par Georges Fenech. En guise d’explication, Fenech et ses amis de l’APM expliqueront aux juges qu’il s’agissait de « 25 abonnements de soutien à 2000 l’unité sur 2 ans ».
Incontestable soutien donc d’un marchand d’armes aux bonnes œuvres d’un syndicat de magistrats. Peut-être pas totalement désintéressé ? Mais comme le précisera Fenech lors de ses auditions, le magistrat indique ignorer que Falcone est alors engagé dans le commerce des armes. Mais de préciser que s’il l’avait su, il l’aurait rencontré quand même car « il n’avait rien contre l’industrie d’armement française ». Patriotisme quand tu nous tiens !
Incidemment ces 100 000 francs pesaient à la moitié du budget annuel du syndicat. Parmi les autres généreux donateurs de l’APM, Axa ( 10/ 12 000 / an), Promodès ( 12 000 ) et l’union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) pour une contribution de 50 000 francs / an pendant trois ans.
Plusieurs versements en liquide seront également mis à jour après épluchage de la comptabilité de l’APM. L’un de 60 000 francs au profit d’un certain « Georges » mais celui-ci ne sera jamais identifié. Un autre de 30 000 francs inscrits dans le livre de compte de l’association sous la mention « allocations diverses » et dont l’APM devait justifier la provenance en expliquant qu’il s’agissait du produit de la vente d’un livre de M. Fenech intitulé Main basse sur la justice. Ça ne s’invente pas !
Toujours est-il que l’ensemble de ces découvertes aboutissait à la mise en examen du magistrat pour recel d’abus de biens sociaux. Dans l’intervalle, Fenech se mettait en disponibilité et décidait d’embrasser une carrière politique. Élu député du Rhône en 2001, il était réélu aux dernières législatives de 2007 jusqu’à ce que le Conseil Constitutionnel invalide le 27 mars dernier son élection. En raison de problèmes dans ses comptes de campagne : des sorties d’argent en espèces non-justifiées. Tant de talents qui ne pouvaient rester plus longtemps inexploités a-t-on donc estimé à la Chancellerie.
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