Saisie de l’arrestation d’un équipage, la Cour européenne des droits de l’Homme contribue au débat sur la réforme judiciaire. Quelle sera l’autorité indépendante de l’exécutif dans le schéma voulu par Sarko ?
De la lointaine Alsace, le gouvernement de Sarko Ier ne reçoit pas que des belles nouvelles. Jusqu’au 29 mars, les cigognes rhénanes avaient plutôt gâté l’Élysée. Une victoire aux régionales des 14 et 21 mars. Et surtout un arrêt de la cour européenne des droits de l’homme qui était tombé à pic le 13 octobre dernier. La décision "Dayanan vs Turquie", qui dézinguait le régime de garde à vue installé en France. Et lançait une polémique pleine d’entrain sur le chiffre hallucinant, les conditions et les excès des gardes à vue en France.
Reprise en chœur par des avocats bien intentionnés, les droits de l’homme et de la fripouille mêlées en bandoulière, voilà un bien bon terreau pour faire passer une réforme de la procédure pénale. Avec au menu allègement du régime de GAV, assorti de la suppression du juge d’instruction et un pouvoir encore accru au ministère public -alias le parquet- directement relié à la chancellerie. En fait le pouvoir exécutif. Bref, une justice bien rangée derrière la bannière de l’Élysée, capable de manier le glaive et la cécité avec à-propos. Malgré les cris d’orfraie des magistrats et des flics réunis.
Las, la muse Europe se veut capricieuse et sa mélopée strasbourgeoise, un chouia sournoise. Le 29 mars dernier la grande chambre de la cour européenne des droits de l’homme a ainsi pondu le très attendu arrêt Medvedyev. Après une maturation de près de 8 ans…
En juin 2002, un discret et timide navire, "le Winner", se promène dans les festives eaux du Cap-Vert. Sitôt que s’approche un navire de l’armée française, l’embarcation pond de petit paquets. Comme autant de ballons de cocaïne jetés à la mer. Ballot. L’équipage est arrêté (dont le fameux M. Medvedyev) et maintenu à bord treize jours durant, le temps de ramener l’embarcation vers Brest et de présenter tout ce beau monde à un juge d’instruction pour une mise en examen puis à un juge des détentions et libertés.
Saisie par l’équipage, la petite chambre de la CEDH avait réalisé une jolie embardée le 10 juillet 2008. L’arrestation des moussaillons amateurs de poudre et d’écume avait violé l’article 5.1 de la convention européenne des droits de l’homme. Voire plus précisément l’article 5.1.C :
"1 Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci".
Rien de franchement gênant pour la France, habituée à de régulières condamnations devant la cour de Strasbourg. Un détail l’a toutefois taquinée. Le rappel par la cour que le "procureur de la république n’est pas une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la cour donne à cette notion, il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif". Une vraie méchanceté à l’heure où le gouvernement a dans l’idée de placer le parquet au centre de la procédure judiciaire…
"Du tout, a précisé à Bakchich le porte-parole du ministère de la Justice, Guillaume Didier. La cour explique que le parquet n’est pas habilité, comme le juge des détentions et libertés, à statuer sur l’emprisonnement, ce en quoi nous sommes d’accord".
Titillée, l’officielle patrie des droits de l’homme avait tout de même fait appel. "Pour que la cour clarifie sa position sur le sujet", précise Guillaume. Trop serviable…
Las, le 29 mars, la grande chambre de la CEDH s’est contentée de confirmer la condamnation de la France. Tout en rappelant que les juges d’instruction peuvent être, eux, qualifiés "de magistrats habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires". Et promis à une disparition certaine dans le projet de réforme de la procédure pénale de Sarko Ier…
"Cette décision nous conforte dans notre démarche, affirme Guillaume Didier. Nous avons le droit d’avoir un parquet soumis à l’exécutif, à condition que le statut du juge des libertés soit renforcé". De la nuance juridique…
Des procureurs dénués du statut d’autorité judiciaire selon la CEDH, des juges d’instruction appelés à disparaître. Un pays sans magistrat, cela ressemble à quoi ? La France d’après…
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