Le procès du trafic d’armes présumé vers l’Angola a enfin débuté avec le classique interrogatoire d’identité. VIP et petites mains défilent à la barre. De la jolie comédie humaine.
Comme au théâtre, on se chauffe. Les cafés alentours en sont témoins. Voilà qu’aux Deux Palais, face au tribunal de Paris, deux avocats se sentent bien seuls, devant leur café, sans leur client : Arcadi Gaydamak, l’un des deux organisateurs présumés du trafic d’armes, a préféré rester en Israël. Il n’a jamais déféré aux convocations du juge mais on apprendra qu’il daignera peut-être comparaître « en novembre ». Dans l’arrière-salle du même troquet, Jean-Christophe Mitterrand se fait briefer une dernière fois par un conseil en chapeau et nœud pap, Jean-Pierre Versini. Quelques heures plus tard, ce lundi 6 octobre, ce dernier mènera le premier l’assaut contre le procès, dégainant tous azimuts demandes de nullité et d’annulation.
Et voilà que s’ouvre enfin le procès du trafic d’armes présumé. Il y a l’homme clé de l’affaire, Pierre Falcone, au premier rang, face à un président déterminé. Costume gris et cravate foncée, souliers noirs comme son œil de charbon, menton haut : Falcone reste impassible. Quand il annonce au cours de l’interrogatoire d’identité ses revenus (4 millions d’euros par an) et le montant de son patrimoine (15 millions), certains dans la salle se prennent probablement à rêver.
Car la mixité sociale sur les bancs des prévenus frappe l’esprit. Après Falcone, quelques bénéficiaires de quelques miettes de l’argent du trafic confessent leurs maigres ressources. Ceux-là ont été écrasés par le rouleau compresseur de la justice et du fisc, alléché par les cascades d’argent noir versées dans des comptes off shore. Un ancien salarié de Brenco, la société de Falcone, Jérôme Mulard, au chômage, vit chez ses beaux-parents en Haute-Savoie. Mitterrand, « sans revenus ni patrimoine immobilier », dit-il, s’est installé chez sa mère ; un troisième couteau, Jean-Claude Alcaraz, qui s’avoue « suicidaire », évalue son patrimoine à « moins que rien ». On ne sait s’il plaisante quand il ajoute qu’il fait l’objet d’une « invalidité psychiatrique supposée ». D’autres, anciennes hôtesses employées dans le bel hôtel particulier de Falcone, avenue Kléber, ont touché quelques milliers d’euros en liquide, voire une bagnole… Les voilà plongées dans ce marigot.
Les prévenus défilent, et les juges assesseurs égrènent la litanie des incriminations. Tous les métiers sont représentés, arrosés un jour ou l’autre par l’argent provenant du trafic : chanteur lyrique, chef d’entreprise, architecte d’intérieur, ex-ministre, conseiller régional, général retraité, écrivain à succès, voire président de commission. Les millions valsent, dollars, francs, livres anglaises, versés sur des comptes bancaires abrités aux quatre coins de la planète dans des banques peu regardantes, sous des noms de code bien inspirés. Voilà le compte « Colorado » de Falcone, lui dont la résidence américaine est l’Arizona… Dans l’affaire Elf, le Monsieur Afrique du groupe pétrolier n’avait-il pas baptisé l’un de ses comptes « Colette », du petit nom de sa femme ?
L’assemblée se tasse, dans la petite salle des criées où le public n’a guère pu pénétrer. Il y a là une quarantaine de prévenus, 60 avocats, sans compter ceux de la république d’Angola – Francis Teitgen et Claude Serra -, qui réclament que cessent les mises en cause de l’Angola et à « l’ordre public international », et se font sèchement renvoyer dans leurs cordes par le président Parlos : « L’Angola n’est pas partie à la procédure, vous plaiderez au moment des plaidoiries ». C’est-à-dire en mars 2009. D’ici là, le grand déballage sur les commissions touchées par les plus hauts dignitaires du régime, président en tête, aura lieu. Les fuyards, eux aussi, ont envoyé les yeux et les oreilles de leurs conseils prendre le pouls de ce procès à hauts risques.
C’est le tour de l’ancien ministre. « Pasqua Charles », répond l’intéressé d’une voix forte avant de décliner ses revenus – 120 à 150 000 euros par an – et sa seule propriété foncière : « des terrains indivis dans la montagne corse ». De retour à sa place, le patriarche goguenard fait des mines, roule des yeux, coulisse des regards à ses anciens collaborateurs qui peuplent la salle : son ex-secrétaire, ses anciens conseillers Jean-Charles Marchiani et Bernard Guillet, les flics qu’il fréquentait (Raymond Nart, ex-numéro deux de la DST, présent comme simple témoin) ou les cadres qu’il côtoyait à l’Intérieur (Bernard Poussier, ex-directeur de la Sofremi, une société de la place Beauvau chargée d’exporter des matériels de police). Ca fait du monde…
Pendant deux mois, certaines éminences du barreau de Paris vont devoir prouver leur don d’ubiquité et leur sens du grand écart au palais de Justice de Paris. Impliqués dans les deux procès phares du moment, celui de l’Angolagate d’une part, et celui de l’évasion du spécialiste de l’attaque de fourgons blindés Antonio Ferrara de la prison de Fresnes en 2003, d’autre part, ils vont devoir jongler entre les comptes en suisses de l’establishment parisien et les règlements de comptes des « beaux voyous » du grand banditisme.
Jean-Yves Le Borgne, lui oscillera entre la préservation de l’honneur d’un ancien général de l’armée française, Claude Mouton, accroché par l’accusation du procès Falcone et la défense de Malek Boubbas, sorte de Kojak du grand banditisme, incarcéré depuis 2003 pour sa participation présumée au commando de Fresnes. Emmanuel Marsigny, un ancien collaborateur du cabinet Metzner, sera confronté à un défi similaire. Il jonglera entre la plaidoirie en faveur de la sœur de Pierre Falcone (pas encore revenue du Canada) et de celle d’Hamid Hakkar, que les flics présentent comme le gros bonnet du trafic de stups en région parisienne, devant répondre à l’association de malfaiteurs ayant protégé la fuite de Nino Ferrara.
Quant aux bien-heureux avocat Pierre Haïk. Ce ténor du barreau, expert ès-grande criminalité, ne sera sans doute pas, lui, contraint aux sprints dans les couloirs du palais de justice. Son client dans l’Angolagate, le supposé trafiquant israélo-russe, Arcadi Gaydamak, ne se présentera sans doute pas devant la 11ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, où il doit répondre des lourdes charges de trafic d’armes dans l’affaire Falcone, avant novembre. Dès lors, Haik aura tout loisir de consacrer sa science judiciaire à l’innocence de Karim Bouabbas, gros bonnet de la délinquance, incarcéré depuis janvier 2005 pour sa participation présumée à l’évasion de Nino Ferrara.
Reste Francis Szpiner, l’ancien avocat du cabinet noir de Jacques Chirac, qui entendait initialement prouver l’innocence de l’écrivain Paul-Loup Sultizer dans l’Angolagate, a finalement décliner l’offre pour se frotter à la pègre en tentant de démontrer que son confrère Karim Achoui, l’avocat des truands, n’a rien a se reprocher dans l’évasion de « Nino » Ferrara.
P.B.
Jacques Attali, Jean-Charles Marchiani, Paul-Loup Sulitzer, voix pâteuse depuis son AVC mais posture détendue devant ses juges - il évoque même son dernier roman, l’histoire revisitée de… l’Angolagate -, Jean-Noël Tassez, Paul Anselin, un soldat dont la vie fut sauvée par le troufion Jacques Chirac pendant la guerre d’Algérie… Défilent à la barre une brochette de VIP, tous récipiendaires du Mérite ou de la Légion d’Honneur. A chaque fois, le président Parlos, se renseigne : « Mais qui vous a remis la décoration… » Plusieurs chefs d’Etat, des ministres ou les plus hautes autorités militaires ont un jour honoré au nom de la République ces messieurs désormais bien penauds devant la justice.
Lire ou relire dans Bakchich :
Ce procès concerne des gens et "amis" de gens qui sont en principe au "dessus de tout soupçon" car ils sont, (c’est ce qu’ils croient), la crème de la crème, nagent dans les millions d’€ et donc par conséquent commettent des actes qui enverraient chacun d’entre nous, citoyens lambdas, si on en faisait le dixième, en prison pour au moins 500 ans.
Ils savent bien, c’est pour cela qu’ils font les fanfarons, que cette affaire est une affaire d’état qui touche forcément des questions assez "cruciales" et délicates, c’est à dire les grosses magouilles de la Françafique.
Comme par exemple les ventes d’armes aux bélligérants de la guerre civile du Congo Brazzaville 97-98, dans laquelle sont aussi impliqués les voisins Angolais qui ont donné un bon coup de main à l’ami Sassou, le tout sur fond de puits de pétrole au bénéfice de Total.
Et tout cela continue bien sûr sous l’égide de Sarko 1er (visite en Angola en mai 2008)…
L’ancien juge, Georges Fenech ne s’est pas présenté à l’audience. Il avait d’autres chats à fouetter que de rendre des comptes à la République pour une vulgaire affaire de trafic d’armes (dont des stocks de mines anti personnel) en direction d’un pays dont les morts ne se comptent plus. Ce qui tombe bien puisque personne n’aurait l’idée de les compter de toute façon.
M. Fenech, s’étant fait nommer président d’une commission anti secte, a judicieusement argué auprès du tribunal d’un travail urgent, probablement une descente dans un couvent de bonnes sœurs où il ne sera guère retenu compte tenu de sa faible propension à la confession et de sa très modique contribution aux Oeuvres du Seigneur.