Dans les Deux-Sèvres, une entreprise de confection va sans doute mettre la clé sous la porte. Si les salariés sont condamnés, pour les actionnaires c’est une belle opportunité. De délocaliser. Encore faut-il savoir s’y prendre.
L’été -social - s’annonce pourri, tout spécialement à Cerizay dans les Deux-Sèvres, une commune de 4000 habitants et dont les deux principales entreprises sont en passe de mettre la clé sous la porte.
Jeudi, c’est le tribunal de commerce de Niort qui devait trancher sur l’avenir de l’équipementier automobile Heuliez, en redressement judiciaire. Un millier d’emplois sont en jeu. Heuliez jouit d’une certaine notoriété grâce à Ségolène Royal - nous sommes sur les terres de la présidente de la région Poitou-Charentes - et cette dernière a fait entrer le conseil régional dans le capital de la société pour 5 millions d’euros. Qui plus est, Ségo a assuré la promotion du projet de voiture électrique -un produit en vogue - et sur lequel l’équipementier compte pour échapper à la faillite.
Beaucoup moins tendance et en tout cas loin des feux de la rampe, le cas de la société CSV (Confection Sèvre Vendée), principal employeur de la ville derrière Heuliez, ne mobilise lui pas les foules et tend à se régler sans tambours ni trompettes. Un paradoxe s’agissant d’une entreprise historique de confection de vêtements militaires, et qui propose certes des produits moins « tendance » mais qui, à la différence du véhicule électrique, ont toutefois le mérite d’exister.
Depuis des décennies, CSV « coupe et finit » des vêtements militaires ou des vêtements de protection avec l’Etat comme client. Depuis le 23 avril 2009, CSV est en redressement judiciaire et le tribunal de commerce doit statuer sur son cas le 8 juillet prochain. 170 emplois y sont menacés. Le 23 juin dernier, les salariés de CSV sont descendus dans la rue, aux cris de « non à la délocalisation ». Présent à la manifestation, le député PS du cru Jean Grellier a invoqué « la nécessité d’une nouvelle et nécessaire politique économique française mais surtout européenne ».
Service minimum donc et certainement pas de quoi galvaniser le moral de troupes désabusées. Ceci alors même que CSV jouit dans la mémoire collective, régionale et syndicale, d’une grande notoriété pour la combativité dont avait fait preuve ses ouvrières en 1973. Dans le sillage de mai 68 (et de précédents accords de Grenelle), une déléguée syndicale CFDT avait été mise à la porte pour avoir réclamé le 13e mois. L’inspection du travail avait refusé le licenciement et le conflit avait débouché sur une grève très dure (6 mois) au cours de laquelle les ouvrières s’étaient emparées de l’outil de production, fabriquant et écoulant leurs chemises rebaptisées « PIL » pour « populaires inventés localement » suivant l’exemple des travailleurs de LIP.
Les pouvoirs publics n’avaient toutefois rien lâché et obtenu la peau de la militante syndicale. Cette « grève productive » avait toutefois provoqué un vaste mouvement de solidarité dans la région auquel, dit -on, même l’évêque local s’était associé. Autant dire une autre époque ! C’est toutefois toujours le même patron Joël Cousseau qui se trouve à la tête de l’entreprise. Enfin officiellement.
Selon la Nouvelle République, l’entreprise fait face depuis fin 2008 à « un manque de trésorerie à court terme, malgré un carnet de commande satisfaisant ». Une information confirmée par le secrétaire du comité d’entreprise Jacky Brémand qui, cité par La Nouvelle République, explique : « Notre plan de charge est plein jusqu’en décembre ». Un état des lieux encore corroboré par notre PDG Cousseau qui, selon des confidences recueillies par notre confère, aurait expliqué au maire de Cerizay la situation de l’entreprise par « un manque d’argent pour acheter de la matière première », avant d’ajouter : « pourtant, nous avons un carnet de commandes bien rempli. »
Traduction ? CSV a des clients qui plus est solvables (le plus souvent des Etats), un savoir faire, l’activité économique est viable mais comme nombre de PME depuis la crise financière, l’entreprise est étranglée par les banques qui refusent d’assurer sa trésorerie. Faute de ce carburant indispensable, ses salariés sont condamnés à l’ANPE sans guère d’espoir de retrouver un emploi. A se demander ce que fabrique René Ricol, le fameux médiateur du crédit désigné par Sarkozy !
Mais la crise « mondiale » a aussi le dos particulièrement large. Elle est aussi parfois une belle occasion pour se débarrasser d’une main d’œuvre jugée trop onéreuse puis de délocaliser. En Asie par exemple.
CSV dispose ainsi d’une filiale CSVI. « I » comme international. Soit la filiale export qui habille les soldats de plusieurs armées étrangères et plus spécifiquement celle de nombreux Etats africains. Un marché dynamique, semble-t-il, puisque cette filiale affiche elle des bénéfices. Fin janvier 2009, quelques semaines avant la mise en redressement judiciaire de la maison mère, la filiale bénéficiaire - alors détenue à 99% par CSV - a fait l’objet d’une opportune augmentation de capital avec l’arrivée de nouveaux actionnaires. La part de CSV est brutalement diluée et tombe à 36 %. Parmi les entrants (27 %), on note l’irruption d’une « all Dragon Holdings LTD », un nom qui fleure bon l’empire du milieu et sa main d’œuvre low cost….
Autre invité de marque (27%), le milliardaire Iskandar Safa. Une célébrité puisque cet homme d’affaires d’origine libanaise, un temps en délicatesse avec la justice française, s’est forgé une solide notoriété pour son rôle dans la libération des otages au Liban dans les années 80, époque à laquelle il se lie d’amitié avec Jean-Charles Marchiani. Une amitié qui conduira Safa à lui verser des sommes rondelettes. Au titre de l’amitié forcément ! Iskandar Safa est encore actionnaire principal des Constructions mécaniques de Normandie (CMN), un chantier naval spécialisé dans les bâtiments militaires.
A noter aussi la présence de Robert Franchitti, actionnaire lui à hauteur de seulement 4,5 % mais qui est le patron de fait de CSVI. Son profil, lui, relève du vieux routier corse de la Françafrique. Proche dit-on de Vincent Bolloré, il est aussi membre en sa qualité de chef d’une entreprise d’équipements militaires du « comité Afrique -bassin Méditerranéen de l’UMP ».
Toujours est-il que cette recapitalisation subite de la filiale de CSVI au détriment de sa maison mère témoigne d’une confiance dans l’avenir comme dans la poursuite de la commercialisation des vêtements militaires. Mais si demain, ils sont fabriqués à Shanghai plutôt qu’à Cerizay, Deux-Sèvres, ce sera à l’évidence la faute à pas de chance et à « la mondialisation ».
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Cocasse votre actu. Savez-vous que le dirigeant actuel de CSVI est Bernhard Edelmann. Lui et son frère ont fait fortune essentiellement en vendant des stocks de matériels et d’armes provenant d’ex-URSS grâce à leurs réseaux dans les pays d’Europe de l’Est. Ils ont d’ailleurs fait de la prison pour traffic d’armes. Pas étonnant de le (les ?) voir re-apparaître en Afrique vendre des uniformes, ou d’autres choses surement encore plus lucratives…
Un ami qui baroude en afrique.
Cela fait des années que CSV Int’l achète en Chine via All Dragon Holdings, pour vendre en Afrique de l’ouest des produits annoncés comme français !
All Dragon Holdings est le point de passage obligé de tout achat chinois de CSV Int’l.
Je sais de quoi je parle, ayant travaillé dans la sté.
De même CSV fournit régulièrement de la confection chinoise à l’armée française.