Les réformes sous l’ère Sarkozy : beaucoup de bruit pour pas grand-chose selon deux spécialistes de la question de l’emploi.
À la veille du deuxième anniversaire du mandat de notre hyperprésident, le livre de deux économistes Pierre Cahuc et André Zylbererg Les réformes ratées du président Sarkozy (Flammarion, 2009), vient déconstruire un discours bien rôdé selon lequel les réformes ont été menées au pas de charge depuis deux ans.
Parlementaires épuisés, ministres à bout de souffle : nous sommes priés de croire que « ça bouge » en Sarkozie et que, grâce au volontarisme du chef de l’État, « les réformes » passent enfin dans ce pays réputé irréformable ! Rien n’est moins sûr, affirment pourtant les auteurs qui se sont concentrés sur les réformes économiques et sociales. « Des domaines aussi sensibles que les régimes spéciaux de retraite, le contrat de travail, la durée du travail et la représentativité syndicale ont fait l’objet de lois ou de protocoles d’accord en passe de devenir des lois, sans anicroche notable. Un examen minutieux montre que la réalité est toute autre », tranchent d’entrée de jeu les deux économistes.
Et tout l’intérêt de ce livre tient effectivement à la façon très méticuleuse dont chaque réforme annoncée, et apparemment réalisée, est passée au crible. Les auteurs, hors battage médiatique, ont en effet décidé d’ouvrir la boîte noire du « réformisme » à la mode Sarkozy. Et s’interrogent : Que reste-t-il derrière les effets d’annonces et les poignées de mains de façade entre partenaires sociaux ? Pas grand-chose, selon eux. Pire, « aucune de ces réformes n’a amélioré la situation antérieure et certaines l’ont détériorée ». Leur charge porte d’autant plus que Pierre Cahuc et André Zylberberg adoptent un ton volontairement neutre de techniciens pour ramener le Sarkozy super-réformateur à ses propres impuissances. Ces spécialistes de la question de l’emploi ne se situent pas sur le terrain du bien-fondé de ces réformes – ce qui limite quelque peu leur propos – mais s’intéressent plutôt à la façon dont le gouvernement procède pour passer en force, tout en vidant généralement les réformes de leur contenu. Pour ces économistes, la formule magique de Sarkozy consiste à user de deux techniques simultanément : « l’étouffement » et « la conciliation ».
Étouffement parce qu’« en ouvrant constamment de nouveaux chantiers… les parlementaires doivent voter toutes les lois importantes relevant du domaine économique et social en respectant les procédures d’urgence » alors qu’ils sont « dépassés par la complexité des dossiers ». Conciliation parce que pour faire aboutir, au moins sur la scène médiatique, une réforme, on concède des avantages parfois absurdes en toute discrétion.
La réforme des régimes spéciaux (la première réforme d’ampleur du mandat) fait ainsi l’objet d’un examen détaillé. Après neuf jours de grève, l’harmonisation des régimes de retraite des agents SNCF, RATP, EDF et GDF mainte fois tentée passe presque miraculeusement. En y regardant de plus près, les auteurs montrent qu’elle a en réalité été obtenue en octroyant des avantages en douce aux agents pour revaloriser ces retraites. Bilan sur les finances publiques : nul. « On aurait pu s’attendre à ce que les techniciens de Bercy évaluent précisément l’impact de la réforme sur les finances publiques. Il n’en est rien… En réalité, le coût de la réforme importe peu. L’essentiel est de produire l’apparence du changement », assènent-ils.
Idem pour la « modernisation du marché du travail », accord signé par le patronat et tous les syndicats, à l’exception de la CGT. « Un véritable conte de fée », ironisent Pierre Cahuc et André Zylberberg alors que la fameuse flexi-sécurité officiellement revendiquée a fait pschitt. Là encore, la méthode consistant à pousser les partenaires sociaux à trouver un accord à la va-vite les a conduit à écarter tous les sujets qui fâchent. « Après la signature de l’accord du 11 janvier, les membres des cabinets ministériels qui suivent le dossier sont effondrés », affirment-t-il. Le texte ne contient quasiment rien de « vendable ». Le contrat unique, mesure phare du programme social de Sarkozy, est ainsi remisé au placard. L’accompagnement des chômeurs : aux oubliettes. Reste la rupture à l’amiable, ce nouveau mode de séparation qui ouvre des droits au chômage. Mais là encore, démonstration à l’appui, les auteurs soulignent que le gain pour la collectivité est loin d’être évident puisque, par la rupture amiable, réapparaît en réalité la possibilité de partir en pré-retraite dès 57 ans, aux frais des Assedics. De plus, estiment-ils : « la rupture à l’amiable a de fortes chances de faciliter le départ de salariés hautement qualifiés désireux de faire une pause de quelques mois indirectement financée par les salariés moins qualifiés ».
Défiscalisation des heures sup’, RSA, réforme de la représentativité syndicale… le livre passe en revue, et au grill, toutes ces réformes dont le gouvernement ne cesse de chanter les louanges. On y apprendra pourquoi la réforme des heures sup’ pousse en réalité à l’optimisation fiscale sans aucun bénéfice pour l’emploi ou comment le RSA améliore les chances de retrouver un emploi de 0,9%…
Un livre par moment irritant, quand les auteurs refusent d’entrer dans le débat sur le sens même de certaines « réformes » ou adoptent un discours sans nuance sur le syndicalisme français, mais incontestablement instructif.
Retrouvez également le dossier spécial sur les réformes de Nicolas Sarkozy, deux ans après son élection.
À lire ou à relire sur Bakchich.info :