Mieux que dans n’importe quel autre ministère, celui de la Culture joue à fond la précarisation du personnel. Le privé n’aurait pas fait mieux.
Dans la réforme de la modernisation de l’État, certains fonctionnaires ont la désagréable impression de servir, plus que les autres, de cobayes. François Baroin, le ministre du Budget, a tapé du poing sur la table pour affirmer que les établissements publics devraient un peu plus se serrer la ceinture. Mais au ministère de la Culture, les agents se demandent bien comment ils pourraient faire davantage d’efforts. Aujourd’hui, près des deux tiers des personnels travaillant pour ce ministère ne sont plus fonctionnaires, selon un décompte de la CGT Culture. Un record absolu.
Pourquoi la culture plus que d’autres ministères ou administrations ? « Nous sommes un laboratoire de la modernisation de l’État, sans doute parce que notre ministère regroupe toute sorte de métiers, des agents de surveillance aux universitaires, en passant par les artistes », explique Franck Guillaumet, secrétaire national CGT Culture.
Devançant bien souvent les exigences de la RGPP (révision générale des politiques publiques), les établissements culturels ont développé des politiques de gestion du personnel dont n’ose rêver le secteur privé : myriade de contrats, empilement de statuts avec, à la clé, des situations ubuesques.
Au Musée d’Orsay, Frédéric Sorbier, conférencier, raconte : « Au même comptoir d’information, on trouve un contrat précaire qui touche 700 euros par mois, alors que son collègue fonctionnaire peut gagner le double pour exactement le même travail. Évidemment, ça crée des divisions, ça casse le collectif. » À moins que tel ne soit le but… « Depuis quelques années, des secteurs entiers ont été réorganisés pour remplacer tous les titulaires par des contractuels », renchérit Franck Guillaumet.
Dans les expositions temporaires, de nouveaux personnels sont apparus : les contrats « mécénés » (financés par un mécène). Par miracle, le jour où les budgets fondent, ces salariés s’évaporent. Pour ne pas embaucher de fonctionnaires – hérésie ! –, « la direction fractionne artificiellement les besoins, elle crée des contrats d’un mois renouvelés tous les mois », observe un représentant du centre des monuments nationaux.
À l’Institut national de recherches archéologiques, on n’est pas peu fier d’expérimenter, depuis janvier 2010, une nouvelle forme de contrat de travail, totalement inédite : le CDA, le contrat d’activité, calqué sur le contrat de mission que la droite n’a jamais réussi à imposer dans le privé.
Un délice pour les modernisateurs de l’État puisque le CDA, sans date de fin établie, rend les nouveaux précaires totalement disponibles et « remerciables » à souhait. « On en est à se battre pour des CDD, c’est du jamais-vu chez nous ! confie Valérie Renault, une représentante syndicale. Les gars sont en train de comprendre qu’avec le CDA ils ne passeront jamais en CDI. Ils pètent un câble. »
Pour Franck Guillaumet, si le processus de précarisation des agents de la Culture est ancien, « on a basculé vers quelque chose de nouveau : les salariés du privé peuvent saisir les prud’hommes. Nous avons, nous, très peu de possibilités de recours ». De fait, les tribunaux administratifs déjugent rarement l’État-employeur. Un cycle de négociations avec le gouvernement vient de s’ouvrir sur le thème des vacataires et des contractuels de la fonction publique. En arrière toute ?