Le Grenelle de l’environnement en 2007 a marqué un renouveau dans l’approche des citoyens par le gouvernement à travers ce nouveau média qu’est internet.
En matière environnementale, les années 1980 ont consacré la technique de la consultation locale dans le processus de décision publique. Le principe de la consultation vise à « recueillir, préalablement à une décision collective, les avis, opinions, attitudes d’un certain nombre d’acteurs » comme l’explique Hubert Touzard , professeur à l’Université Paris 5 – Descartes. Ainsi, en 1981, les « Etats généraux de l’environnement » avaient réuni les associations de protection de l’environnement lors de réunions publiques locales et avaient ainsi permis la consultation d’environ 10.000 personnes, et ce sur une période de 6 mois. En 2007, la phase de consultation interrégionale du Grenelle de l’environnement a attiré environ 15.000 personnes en moins de trois semaines . Au-delà de ces modes traditionnels de consultation, internet permet une autre forme d’interactivité pour un coût humain et matériel réduit.
Internet, nouvel espace public, est un espace d’expression et de discussion sur lequel s’échangent des idées, s’émettent des opinions, se diffuse de l’information et se propage de l’idéologie. Le Grenelle de l’environnement, dès son lancement a eu un impact retentissant sur la Toile. Le gouvernement a besoin d’être présent sur Internet. Le silence du pouvoir laisserait le champ libre aux autres opinions, parfois subversives, c’est-à-dire à la parole des associations, de militants, ou de pseudos « analystes-politiques ». Face à ce risque pour les institutions, le gouvernement se doit d’être réactif afin de faire passer son interprétation des événements. Il doit maitriser son image, que ce soit par exemple par la diffusion de vidéos ou la participation à des « chats ». Une chaîne du grenelle de l’environnement a par exemple été créée sur Dailymotion et Nathalie Kosciusko-Morizet est même allée jusqu’à intervenir sur Second Life.
Une « révolution » dans l’utilisation d’internet est la création des forums. Depuis 1993, des forums ont été régulièrement mis en place sur le site du Premier Ministre. Le forum organisé sur la question du tabac avait ainsi permis recueilli 11.700 contributions en quatre mois dont 8.200 avaient été publiées. Avec le Grenelle de l’environnement on est passé à l’étape supérieure. Au total, 14.259 contributions ont été déposées en 17 jours sur huit forums.
La vocation des forums à l’origine était comme Jean-Louis Borloo l’expliquait : « d’éclairer les parties prenantes sur la perception de l’opinion des propositions ». Bettina Laville, membre du Conseil d’Etat à l’origine d’un rapport sur le Grenelle ajoute : « Il ne s’agit pas de donner au public l’occasion de réagir à un projet précis d’aménagement, mais de lui offrir la possibilité d’approuver ou de désapprouver des propositions issues elles-mêmes d’un travail collectif et de la délibération des cinq collèges de groupes de travail nationaux ». Donner de la visibilité à l’action gouvernementale semble bien être le leitmotiv de la mise en place de forums.
N’ayant pas les outils techniques pour réaliser les forums, les services du ministère ont eu recours, par l’intermédiaire du SIG, à des prestataires de services. Formés aux nouvelles technologies de l’information, ces nouveaux communicants se substituent peu à peu aux chargés de communication traditionnels. Or, ce sont ces mêmes prestataires, « clients » du gouvernement, qui ont réalisé les synthèses des débats ayant eu lieu sur les forums.
« C’est le plus gros forum qu’on ait jamais fait », estime un membre du Service d’Information du Gouvernement. Ce à quoi il faut ajouter que « globalement, il n’y a pas eu besoin de promotion » nous explique un prestataire de service, dont la société de débat public s’est chargée de confectionner les forums du Grenelle. La décision de les créer a été prise dans l’urgence et comme l’explique ce membre du SIG : « personne ne savait très bien ce qui allait en sortir ». Cette initiative a donc surpris par son succès. Mais ces contributions ont-elles réellement été prises en compte ? Le cadre du débat a été fixé par le Ministère de l’écologie, de l’énergie du développement durable et de l’aménagement du territoire. Même si l’un de ces prestataires de services nous précise que « Les messages refusés, ce n’est absolument pas une censure d’opinion », il reste que les thèmes traités sur le net pour recueillir l’avis des internautes sont sélectionnés par le gouvernement. Par exemple, lors du Grenelle, la question du nucléaire n’a pas eu de réelle remise en cause. Il convient également de nuancer le poids des forums du grenelle dans la prise de décision finale en raison de la proximité temporelle entre le rendu des conclusions des groupes de travail et la clôture des forums. Les synthèses, qui ont été remises lors des conclusions des groupes de travail n’ont ainsi pas pu être prises en compte, ou alors très peu.
Pour Thierry Vedel , chercheur au CNRS, « Internet permettrait même de retrouver le modèle de l’agora athénienne ». La faible prise en compte des contributions des forums laisse à penser qu’il s’agit davantage d’un coup de communication dans lequel les prestataires de services tentent de développer une véritable évolution du débat public. Les forces exercées par les prestataires de services, et les outils qu’ils développent pourront permettre, à terme, de faire émerger de « l’opinion publique » des consensus pour faire avancer le débat sur certaines questions. Dans ce jeu à flux tendu entre des prestataires de service qui tentent de légitimer leur travail, et le gouvernement, incapable de maitriser ces outils et pourtant obligé d’intervenir sur le net, se développe une nouvelle forme de démocratie.
Tout comme la démocratie représentative, la démocratie participative est « le produit d’un travail social et intellectuel de construction ». Les médias et les chargés de communication, nouveaux auxiliaires de l’activité politique, contribuent à imposer la transparence comme condition d’une démocratie irréprochable. Le champ politique, pour s’adapter à cette exigence doit adopter des techniques de prise de décision qui la prenne en compte, tout en évitant de remettre en cause leur domination. En effet, « bien souvent, les dispositifs médiatiques de la « parole citoyenne » imposent les thèmes à aborder en établissant l’évaluation de la pertinence dans certains cadrages dans l’espace public ». C’est pourquoi Michel Marcoccia explique que pour permettre un réel débat sur un forum internet il faudrait faire abstraction de toute modération, de tout contrôle sur les débats, afin que les idées s’expriment pleinement et librement.