"Désormais, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit." Pour faire de sa sentence un adage, Sarkozy a dû cravacher. Bakchich décortique les dix commandements du casseur de mouvements sociaux.
Nicolas Sarkozy a promulgué la loi sur la réforme des retraites, mettant fin à la "séquence" législative, et en attendant peut-être d’autres mobilisations. Contre lesquelles tout un système anti-contestation a fait ses preuves cet automne. Voici le kit du parfait petit briseur de grèves.
Un mouvement social contrôlé, c’est d’abord un agenda politique maîtrisé. Et la meilleure saison pour légiférer à couteaux tirés, c’est l’été. Pour la précédente réforme des retraites, en 2003, l’affaire était bouclée en un mois : d’un passage à la mi-juin en Conseil des ministres au vote des sénateurs à la mi-juillet. Vite fait bien fait. Grâce à une ruse législative, dite « procédure d’urgence » qui limite la loi à un seul passage entre l’Assemblée et le Sénat, au lieu de deux. Et, nouveauté depuis la réforme constitutionnelle de 2008, la limitation du temps des débats. Fixé à soixante-quinze heures pour la réforme des retraites, histoire de ne pas s’éterniser. Une subtilité de forme qui avait manqué à Juppé en 1995 et Villepin pour son CPE en 2006. Son bazooka, c’était l’article 49.3, qui permettait de faire passer le texte sans vote. Cher payé à l’arrivée.
Depuis le blocage du pays lors des grèves de 1995, tous les gouvernements se sont interrogés sur la façon de contourner cette puissante arme syndicale. Pourtant, à droite, l’idée du service minimum n’est pas nouvelle. Quand Philippe de Villiers propose, en 1992, un projet de loi, il n’est que le onzième en dix ans ! Chirac en fera une promesse de campagne. Mais le sujet, très sensible, sera reporté. Après le conflit de 2003 sur les retraites, rebelote, l’idée redevient une priorité gouvernementale. Là encore, pas de concrétisation. Finalement, ce sera la loi d’août 2007 qui va, sans instaurer un vrai service minimum, rendre beaucoup plus difficile la paralysie des réseaux. En obligeant les grévistes à se déclarer au moins quarante-huit heures à l’avance ou à négocier lors de tout dépôt de préavis, elle permet aux transporteurs de s’organiser pour assurer une continuité du service.
Adoptée en 2008, la réforme de la représentativité a bouleversé le paysage syndical en favorisant, indirectement, la mouvance la plus réformiste. En revenant sur le vieux principe de la présomption de représentativité qui faisait que seuls cinq syndicats étaient considérés comme représentatifs (CGT, CFDT, CFTC, FO et CGC), la réforme oblige désormais à dépasser le seuil des 10 % aux élections professionnelles. Au grand dam des « petites » organisations ou de celles moins promptes au compromis. Un peu de zizanie dans une grande famille syndicale morcelée, voilà qui ne peut pas faire de mal…
Contre les bourricots de l’opération escargot, Sarko flingue au silencieux. Grâce à un article du code de la route qu’il avait déjà exhumé dans son habit de ministre de l’Intérieur, en 2002. Et qui prévoit deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende en cas d’entrave ou de gêne à la circulation. Voire une « suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire ». Circulez !
De manière générale, les jours de grève ne sont pas payés. Reste que, bien souvent lors de longs conflits, s’engagent des négociations pour amoindrir le choc. En 1995, à la SNCF, les jours de grèves furent convertis en congés et les retenues sur salaire, longuement étalées. À l’Éducation nationale, en 2000, les grèves contre Claude Allègre se soldèrent par trois à cinq jours de retenue sur salaire. Des pratiques de conciliation dénoncées de longue date à droite et qui ont fait dire à un Nicolas Sarkozy, à peine arrivé à l’Élysée, qu’avec lui, « les jours de grève ne seraient plus payés ». Une déclaration excessive puisque telle était déjà la règle, mais qui entendait mettre fin à tous ces arrangements. En effet, cette année, après deux semaines de conflit, Total a indiqué qu’aucun jour de grève ne serait payé.
Réquisitionner les grévistes est un moyen somme toute assez radical pour mettre fin à un mouvement. Dans le cas des raffineries bloquées, même s’il a dû s’y reprendre à deux fois, le préfet a bien obtenu la remise au turbin des salariés. Politiquement, l’exercice est délicat. En 1963, De Gaulle avait tenté de réquisitionner les mineurs grévistes. Échec total pour le général. Légalement, la réquisition de salariés grévistes est ardue et, jusqu’à récemment, était pratiquement impossible dans la majorité des conflits. Depuis 2003, elle est un peu plus aisée. La loi pour la sécurité intérieure de 2003, dite « loi Sarkozy II », autorise les préfets à réquisitionner « en cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige ». Bon ordre, tranquillité, des notions assez floues qui laissent une vraie marge aux préfets.
Interpeller beaucoup, condamner itou. Telle est la réponse donnée aux débordements en marge des grandes manifestations. Une réponse qui a l’avantage de criminaliser à bon compte le mouvement social et qui peut, dans le même temps, dissuader quelques candidats aux cortèges. Si le bilan des interpellations lors du conflit contre la réforme des retraites n’est pas encore connu, il devrait être du même tonneau que lors des manifs anti- CPE. À l’époque, près de 1 500 interpellations et des charretées de condamnations avaient suivi les manifs. Les comparutions immédiates, systématiques pour les casseurs, assurent une justice express rarement en faveur des prévenus. Jet de caillou, dégradation du mobilier urbain coûtent de plus en plus cher. Montrer ses fesses à un CRS : trois mois ferme !
Triptyque classique de communication de crise pour enrayer un mouvement social : dénoncer le coût d’une journée de grève, noter la baisse du nombre de manifestants et signaler la présence d’éléments perturbateurs. Pour la facture, Dame Lagarde a assuré le boulot : la grève coûte « entre 200 et 400 millions d’euros par jour ». Les enragés du bitume ? Sarko avait préparé le terrain en 2008 : « Désormais, quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit. » Éric Woerth de reprendre le flambeau : « Ça ne sert à rien de faire grève aujourd’hui. » Côté matraque, Hortefeux s’amuse à titiller le patriote qui sommeille en nous d’une « France [qui] n’appartient pas aux casseurs ». Allez hop, au boulot !
Soufflez sur les braises de la contestation, et c’est l’effet papillon. En cela, Sarko a retenu les leçons du passé. D’un Juppé, qui, en 1995, se vantait d’être « droit dans ses bottes » contre ces « fonctionnaires qui font de la mauvaise graisse ». Ou d’un Raffarin qui clamait, en 2003, que « ce n’est pas la rue qui gouverne ». Le conseiller social de l’Élysée, Raymond Soubie, a fait répéter l’angélus aux ministres dans les médias : « Le Président écoute les gens, écoute l’opinion. » Quand bien même la loi sur les retraites recueille 65 % d’opinions défavorables.
Si, en plus de tout cela, vous avez la chance de pouvoir compter sur une opposition qui ne sait pas ce qu’elle veut, c’est gagné ! Car sans ciment politique à l’expression du sentiment d’injustice, point de cocktail explosif. Sur les retraites, le PS a bien du mal à allumer la mèche. Jusqu’à s’en brûler les doigts. Le 17 janvier, Aubry jetait les 60 ans aux oubliettes : « On doit aller très certainement, on va aller très certainement, vers 61 ou 62 ans. » Dans les contre-propositions socialistes, on peut lire : « Jusqu’à 2020, des dispositions sont prévues concernant la durée de cotisation. » Lesquelles ? Mystère ! Déjà en 1995 puis en 2003, la question de l’allongement de la durée de cotisation avait été le clivage majeur au sein du PS. Leur constance, elle est là.
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