Ce mercredi en fin d’après-midi, les députés doivent examiner à l’Assemblée le projet de loi Hadopi… pourtant rejeté par ces mêmes députés, le 9 avril. Petite histoire parlementaire.
Peut-on revoter un texte qui a déjà été voté et qui a été rejeté ? Il semble bien que oui, a fortiori quand Nicolas Sarkozy le souhaite… Aujourd’hui, et à la demande donc du Président, le texte de loi contre le téléchargement illégal (Hadopi) doit repasser à l’Assemblée nationale, ce mercredi 29 avril en fin de journée. Pourtant, le 9 avril, le texte avait été rejeté par les députés, à 21 voix contre 15… le tout sur 577 députés. « La sagesse politique », précise le député socialiste anti-Hadopi Christian Paul à Bakchich « aurait été de ne pas le représenter et de considérer que la bataille était terminée. C’est politiquement scandaleux ». Mais juridiquement possible.
Aux yeux de Nicolas Sarkozy, pas question de reculer alors que le projet de loi est jugé prioritaire. Mercredi 22 avril, à l’Élysée, entouré de son épouse Carla Bruni-Sarkozy et d’une soixantaine de producteurs, de chanteurs et de cinéastes, le Président a réaffirmé son engagement à faire adopter le projet de loi Internet. Coûte que coûte… Ce mardi matin, en réunion de groupe UMP, les députés ont d’ailleurs été fermement rappelés à l’ordre. « Maintenant que l’on est plus sur le texte mais sur l’aspect politique de la loi Hadopi, il nous a été demandé de voter comme un seul homme », confiait un député UMP, à la sortie.
Voter un texte voté… « On a beau expliquer que le texte était prêt à être adopté et que c’est parce que certains députés étaient cachés qu’il n’a pas été adopté », raille Sandrine Bélier, tête de liste d’Europe Écologie dans le Grand-Est et juriste spécialisée dans les libertés publiques « et que cela justifie un nouveau vote, tout ceci n’est qu’une négation de la démocratie ». Après le couac du 9 avril, le gouvernement avait demandé la réinscription du texte à l’agenda de l’Assemblée, dès la fin des vacances parlementaires.
Et ce « en vertu de l’article 45 de la Constitution », précise le cabinet de Roger Karoutchi, secrétaire d’État en charge des Relations avec le Parlement. « Il s’agissait d’un texte passé en urgence, ce qui signifiait qu’il n’y avait qu’une seule lecture. Là, c’est comme s’il y en avait une deuxième », explique-t-on dans l’entourage de Karoutchi. Bête comme chou finalement. « Il est rarissime qu’un texte qui passe en commission mixte paritaire (CMP) soit rejeté. Ce n’est pas là que l’on s’amuse à bousculer ou amender un texte, issu d’un compromis. » Il est vrai que la situation n’est pas fréquente et que les exemples se comptent sur les doigts d’une main depuis les débuts de la Vème République.
Selon l’article 45 de la Constitution, quand un texte issu d’une commission mixe paritaire (CMP) « n’est pas adopté dans les conditions prévues conditions prévues à l’article 45, alinéa 3, le gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. En ce cas, l’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat ».
Il reste donc encore deux à trois votes même si « tout est fait pour que le vote soit conforme au Sénat », lâche-t-on à l’UMP. Deux ou trois votes sans compter celui qui intervient dès ce mardi et qui en principe ne devrait être qu’une formalité. Après les questions d’actualité au gouvernement, les députés sont appelés à voter la modification de leur agenda pour autoriser la nouvelle discussion du projet de loi Hadopi ce mercredi 29 avril. Une formalité, mais dans ce dossier, les surprises sont nombreuses…
Le nouvel examen du projet de loi Hadopi, dès ce mercredi, se fera sur la base de la première mouture du texte votée par les députés le 2 avril et amendée hier en commission des lois. Avec au final un texte quasi-similaire à celui voté en commission mixte ! « Le travail de la commission mixte paritaire », décrypte le député socialiste Patrick Bloche, « par les amendements du gouvernement et du rapporteur Franck Riester, a visé à durcir le texte voté en première lecture de manière à réintroduire le même projet de loi que celui qui a été rejeté ». Le député PS, membre de la commission des lois, poursuit : « C’est donc refuser la légitimité du vote du texte, le 9 avril, le tout sous injonction présidentielle et gouvernementale ».
Un constat partagé par Jean Dionis, député du Nouveau Centre et membre de la majorité présidentielle : « Il y a un durcissement et une crispation de l’exécutif. Le gouvernement et le Président de la République n’ont pas pris le temps de voir la complexité technologique et sociologique du sujet ». Et d’ajouter : « On est revenu à la version de base gouvernementale, dans le droit fil des accords élyséens avec le monde de la culture, dans sa majorité favorable au texte, sans vouloir entendre l’industrie des télécoms, les représentants des consommateurs ni les millions d’Internautes ». Pour Jérôme Cahuzac, vice-président du groupe socialiste à l’Assemblée, l’analyse est simple : « Le président refuse ce vote et oblige l’Assemblée à plier ».
Le vote solennel sur le projet de loi Hadopi n’interviendra qu’autour du 12 ou 14 mai. Le texte sera ensuite transmis en Sénat. Si le projet de loi est finalement adopté, tout ne sera pas fini pour autant. Primo, « les socialistes entendent déposer un recours devant le Conseil constitutionnel », prévient Christian Paul. Deuxio, « la loi est encore en discussion au Parlement européen », explique Sandrine Bélier. Avant de poursuivre : « La logique aurait voulu que l’on attendre l’adoption du texte communautaire pour envisager de l’introduire ou non dans le législatif français. Si le texte est finalement adopté, la France pourrait finalement être sanctionné au niveau européen » et la loi Hadopi passée à la trappe.
Sûrement un signe de la revalorisation du Parlement français tant souhaité par Nicolas Sarkozy…
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Et pourtant c’est un Suisse qui parle. Nous possédons, parait-il, un organe démocratique efficace. Fort heureusement dans ses crises de léthargie redondantes, nous sommes un tant soi peu préservés. Mais pas à l’abri pour le moins.
Qu’il est doux d’imaginer un monde ou les consommateurs posséderaient un pouvoir réel. Une époque où l’on choirai la culture de l’esprit critique. Il fallut que ces grasses compagnies se meuvent bien difficilement, pour louper le coche de la révolution virtuelle.
J’ai pu construire ma culture musicale en majeur partie sur le net. Nous pouvons tous appréhender le monde d’une manière bien plus vaste grâce aux nouvelles technologies. Ils n’ont pas à s’interposer mais à s’adapter. Il me semble que c’est une raison élégante de balayer leurs arguments.
Amicalement I.
Le problème des députés (de tous bords) c’est qu’ils se trouvent dans une situation inédite avec, d’une part, de nombreux électeurs potentiels qui les interrogent et les mettent en garde sur leur vote et, d’autre part, leurs enfants qui maitrisent bien mieux qu’eux les usages des nouvelles technologies et leur expliquent que cette loi est au mieux inutile, au pire idiote et dangereuse.
Personnellement, il est hors de question que je donne un jour mon suffrage à un député qui aura voté ce texte liberticide, couteux, inutile et dangereux. J’aime les artistes et me désole de voir 70 Millions d’euros dépensés en pure perte.