Sarkozy et son bras armé Hortefeux ont promis de reconquérir tous les territoires de la République. Récemment, le ministre a cité en exemple le 9-3 en parlant de 1300 sécurisations de hall d’immeubles en trois mois.
Saïd, lunettes Ray-Ban, le regard froid, les doigts experts en roulage, éclate son joint. A 10 mètres seulement, trois policiers qui « cuisinent » un gars de la cité au milieu d’une place. Ambiance. Discrets coups d’œil aux alentours. Pas de trêve estivale à la cité des 4000. A la Courneuve (9-3), même en présence des flics, le trafic fonctionne comme d’hab’. Des flèches peintes sur les murs indiquent même le chemin des paradis artificiels. En bas des immeubles, des groupes de jeunes, scooters posés, fumées éparpillés, tapent la discute. - Tu veux quelque chose ? demande un grand type, avenant ? - Non merci ça va.
Depuis 2003 et la loi pour la sécurité intérieure de Sarkozy, ces attroupements sont interdits mais cette règlementation n’a jamais vraiment été observé. « Où voulez-vous qu’on aille ? On ne va pas m’empêcher de descendre de chez moi, non ? Mais ils ne nous font pas chier pour ça, sinon on mettrait le feu direct. » Les policiers le savent, à peine plus d’une centaine de gardes à vue par an. Une autre loi —non écrite— prédomine : ne pas provoquer d’émeutes.
Dans le récent documentaire de Jean-Michel Décugis et François Bordes, un policier syndiqué évoque les limites posées par le ministère de l’Intérieur, en contradiction avec les effets d’annonce édités dans la presse. « Eviter scrupuleusement de répondre aux provocations ». Si un jeune passe en scooter sans casque, pas le droit de le poursuivre. Illustration. Un commerçant ferme sa boutique, il est 18H. Une moto passe en trombe, éclate les tympans des riverains. « C’est tous le temps comme ça », déplore le bonhomme, la quarantaine. « Il faudrait revenir à une police de proximité. Il n’y a plus de dialogue entre ces jeunes et la police », dit-il le visage souriant. - « Mais il y a l’UTEQ, les (Unités Territoriales de Quartiers) mise en place par Michèle Alliot Marie, non ? » - « Ah oui ? Je ne connais pas… » Encore du travail à faire.
Heureusement, Brice Hortefeux est là pour « protéger les honnêtes gens » . Dans la foulée du discours de Grenoble par un Sarko au bord de la caricature, c’était au tour du ministre d’en mettre une seconde couche au cours d’une interview dans le Parisien. Hortefeux « tout flamme » a promis la déchéance de la nationalité pour les délinquants d’origine étrangère, le démantèlement des camps Roms, la chasse aux couples polygames, jouant clairement sur les terres du FN. Brice vante au passage son activité en banlieue et notamment, sans stigmatisation aucune, dans le 9-3 : « Nous menons des opérations systématiques de contrôle des appartements et des caves dans les quartiers sensibles. Rien qu’en Seine-Saint-Denis, 1 300 halls d’immeuble ont été visités et sécurisés depuis trois mois, soit plus d’une quinzaine par jour ! Ces actions vont être amplifiées dans les semaines qui viennent. Face aux voyous, pas de trêve estivale ! »
Bakchich a contacté la Préfecture de Seine-Saint-Denis pour avoir plus de détails. Premier élément, ils n’ont pas les mêmes chiffres puisque la Préfecture parle de 1800 interventions de sécurisation et Hortefeux de 1300. Un détail. Résultat : 80 gardes à vue pour des port d’armes, vols et stupéfiants. Mais diable ! Qu’est-ce que la sécurisation de ces halls d’immeuble ? : Réponse de la Préfecture : « La sécurisation des halls d’immeubles fait partie, plus globalement, de la sécurisation renforcée de la voie publique initiée par le préfet Lambert (ancien chef du RAID) depuis son arrivée en Seine-Saint-Denis : à savoir une présence policière à but préventif, dissuasif et répressif en cas d’infraction, comme c’est également le cas dans les gares, les centres commerciaux, et les parkings du département. Cela consiste en des contrôles d’identité, et recherches de produit stupéfiant, d’armes… »
Donc la sécurisation se résume à des patrouilles et finalement à un certes difficile mais « banal » travail de police. Pas d’opérations systématiques de contrôle des appartements et des caves dans les quartiers sensibles comme l’annonçait Brice Hortefeux. Décidément, Lambert et Hortefeux ont du mal à accorder leurs violons. Autre problème, l’Ile de France manque de flics. Si à la Courneuve, nous avons constaté cette présence, elle est sans effet direct sur le « bizness » et les « provocs’ », Guillaume Da Costa, éducateur à La Courneuve, relativise les efforts du nouveau préfet : « Ils ne sont pas tout le temps là, loin de là. Et quand ils passent, ils laissent faire. A moins d’une grosse opération. » « Mais l’activité reprend toujours… »
Pour la gauche, Hortefeux fait surtout de la communication. A l’hôtel du département, l’entourage de Claude Bartolone doute des 1800 interventions. « Chiffres impossibles à vérifier. » « La vérité sur le terrain est qu’il manque 400 policiers en Seine-Saint-Denis. Les priorités sont ailleurs, on a à peine une centaine de policiers de plus que dans les Hauts-de-Seine… » Pour rappel, 10 000 postes de gendarmes et de policiers ont été supprimés depuis trois ans suite à la réforme générale des politiques publiques (RGPP). Dans les colonnes de Libération du 6 août, Jean-Jacques Urvoas, secrétaire national chargé de la sécurité au PS fustige le manque de moyens et les différentes politiques sécuritaires « les effectifs papillonnent d’un problème à un autre, changent d’objectif prioritaire tous les six mois, un temps sur la sécurité routière, un temps sur la prévention des cambriolages, un temps sur la violence des jeunes : En Île de France, depuis un an, tous les commissariats de banlieue ont baissé d’effectifs afin de renforcer les brigades spécialisées (police de transport, BAC départementales, compagnie d’intervention) ». Pas de doute, la sécurité sera une nouvelle fois un thème majeur des Présidentielles. Selon l’éducateur Da Costa, « Sarkozy joue un jeu très dangereux. Ici, on a besoin de sécurité, c’est clair, mais aussi de soutien humain. On est en manque cruel d’éducateurs pour des formations, des suivis psychologiques, des aides sociales. Les enfants dont je m’occupe tombent de plus en plus jeunes dans la délinquance. Et la violence comme la détresse ne cessent de progresser. »
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