Ce mercredi, Nicolas Sarkozy reçoit les partenaires sociaux à l’Elysée pour discuter des propositions mises sur la table le 5 février. Au menu : le pouvoir d’achat, l’emploi, le chômage…
« Sans la CGT de Bernard Thibault, on ne peut rien faire dans ce pays », a confié récemment Nicolas Sarkozy. Dès mai 2007, avant même d’être élu à l’Élysée, Nicolas Sarkozy lâche d’ailleurs sur France2 : « J’ai beaucoup de respect pour Bernard Thibault ». Un petit message personnalisé. Improvisé ? Pas sûr. Dès son passage à Bercy, en 2004, Nicolas Sarkozy soigne ses relations avec la CGT et notamment avec la fédération de l’énergie. Aujourd’hui, alors que le gouvernement craint une déflagration, le chef de État et ses conseillers veulent à tout prix ménager cette courroie de transmission. « N’oubliez pas que vous serez réélu avant moi », a lancé Sarkozy à Thibault, en évoquant le congrès de la CGT prévu en décembre.
Les proches conseillers du Président l’encouragent à ménager la centrale syndicale. À l’instar de Raymond Soubie qui appelle très régulièrement les ministres concernés pour faire un point sur les discussions, avec la pleine et entière confiance du Palais. Expert en la matière, Soubie sait aussi ménager ses interlocuteurs syndicaux pour ne pas les froisser. A fortiori pour ceux de la CGT que le conseiller social connaît bien. Raymond Soubie, mélomane, aimait partager sa passion de la musique avec Henri Krasucki, ex-leader de la CGT qu’il invitait dans sa loge au Théâtre des Champs-Elysées. Mais ce genre d’agapes n’est pas du goût de Thibault. Les relations sont donc des plus professionnelles. Outre Raymond Soubie, Henri Guaino, a toujours cultivé les liens avec la CGT dans son espoir de devenir, un jour, le patron d’Edf…
Depuis la sortie du livre de François Chérèque, l’année dernière, Si on me cherche, la CFDT, quant à elle, n’est plus jugée crédible. Car Chérèque a eu le malheur de raconter un petit arrangement secret : « ce qui m’amuse aujourd’hui, avec le recul, c’est que ce deal qu’il me proposait en 2004, il a fini par le passer avec la fédération CGT de l’énergie, dont il tutoie le leader ». Et d’expliquer : « Sarkozy, ministre des Finances, a garanti l’équilibre financier du système des retraites des salariés d’EDF-GDF en instaurant une taxe de transport de l’électricité, payée par les usagers, qui abonde un fonds de retraite pour les gaziers et les électriciens. On a là un bon exemple de la traditionnelle entente entre les gaullistes et la CGT ». Et vlan ! Sarkozy en gaulliste…
Du côté de la CGT, on ne cache pas que l’organisation est devenue un interlocuteur privilégié du gouvernement. « Nous sommes la première centrale syndicale », revendique Jean-Christophe Le Duigou, numéro 2 de la CGT. « Dans le passé, il y avait une tentative des gouvernements de nous contourner. Mais nous sommes devenus incontournables ». Même son de cloche chez Maryse Dumas, secrétaire confédérale de la CGT : « nous sommes l’organisation que craignent le plus Nicolas Sarkozy et le gouvernement, du fait de l’importance qu’elle a chez les salariés, et parce que c’est l’organisation qui est aussi la plus en lien avec le monde du travail touché aujourd’hui par la crise ».
« Quand on essaye de mener une politique de réforme », décrypte le politologue Philippe Braud, « on essaye d’avoir dans sa poche les syndicats les plus puissants ». La CGT a remporté 34% des suffrages aux dernières élections prudhommales - loin devant la CFDT en deuxième position avec 21%. À la SNCF, un de ses principaux bastions, la CGT réalise 40%. Et davantage encore aux prochaines élections de mars, d’après les patrons du ferroviaire.
En terme de rapport de force, la CGT et Nicolas Sarkozy ont donc tout intérêt à se ménager. Jusqu’à présent, cette entente s’est faite au travers de petits « deals ». Dernier fait d’armes, la loi du 20 août 2008 sur la représentativité des organisations syndicales. Désormais, le poids de chaque syndicat est évalué à partir du nombre des suffrages exprimés en sa faveur lors des élections professionnelles. De quoi bouleverser le paysage syndical d’ici quelques années, pourtant immuable depuis 1966. Depuis quarante ans, les cinq confédérations (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC) disposaient d’une présomption de représentativité qui ne pouvait être juridiquement contestée.
« Le rétrécissement du nombre des organisations syndicales représentatives dans 4/5 ans », analyse en conséquence Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du Travail, « permettra aux syndicats présents de se partager en un moins grand nombre les subventions de l’État. Car derrière la réforme du 20 août, se pose la question du financement des syndicats ». En faisant voter cette loi, le gouvernement favorise les plus gros, donc la CGT. Pas bête la guêpe !
En échange, Bernard Thibault a sauvé la mise du gouvernement qui commençait à affronter une grosse mobilisation sur les régimes spéciaux de retraite, à l’automne dernier. En proposant de s’asseoir à la table des négociations, la CGT a ouvert une porte de sortie à François Fillon. Des petits gestes qui entretiennent l’amitié !
Nicolas Sarkozy et Bernard Thibault ont donc trouvé ensemble un modus vivendi. « Pour l’instant, selon Bernard Vivier, Thibault n’a pas fait à Nicolas Sarkozy ce qu’il avait fait en 1995, ni à Dominique de Villepin en 2006 avec 12 semaines consécutives de blocage ». « La CGT, depuis 1995 avec Bernard Thibault, se targue d’ouverture », note Henri Vaquin, expert en relations sociales. Une ouverture dont Nicolas Sarkozy a largement bénéficié ces derniers mois…
Rien de tel, pour sauver une amitié, qu’un bon ennemi commun. En l’occurrence, le syndicat Sud qui n’est pas invité ce mercredi à la table des négociations. Selon Jean-Luc Touly, auteur de L’Argent noir des syndicats, « il y a un intérêt de part et d’autre à ne pas faire entrer Sud dans le jeu. Les syndicats ne veulent pas partager leurs privilèges (ressources, locaux…) ». En un mot : limiter la concurrence à la gauche de la CGT.
« Quant à Nicolas Sarkozy, ajoute Touly, il ne veut pas d’un syndicat indépendant vu comme un électron libre ». Sauf qu’à trop jouer de la division des syndicats, le chef de l’État pourrait se retrouver l’arroseur arrosé. Invité, début février, du Grand rendez-vous à Europe 1, le leader de la CFDT, François Chérèque, a estimé que la stratégie de Sarkozy de « survaloriser médiatiquement Sud » pour affaiblir les autres syndicats constituait « un jeu dangereux ». Car le Président ne se gêne pas pour nommer ce syndicat dans ses discours… Cette surmédiatisation est sans commune mesure avec le poids réel de cette organisation. Et pourrait finir par donner à l’avantage à ce syndicat.
Dans ce contexte, et avec la flambée des mécontentements, la belle idylle entre la CGT et Nicolas Sarkozy est en train de se craquer. Cette fois et à l’inverse de l’automne dernier, le Président doit se battre sur plusieurs fronts, sans réel grain budgétaire à moudre. Bernard Thibault, lui, est parfois aux abonnés absents. Aux Antilles, la CGT s’est fait plus que discrète !
À Lire ou relire dans Bakchich :
Au fait, ou en est l’affaire du financement des syndicats, dénoncée par France 3 en mai 2008 ?
La CGT était prise la main dans le sac dans une affaire de fausses factures au sein du CCE SNCF qu’elle dirige.
Y aurait-il un petit arrangement secret pour que cette affaire qui met en cause l’ami-de-gauche-de-sarkozy soit "enterrée" par la justice ?