Pendant que le Medef blablatte enfance lors de son université d’été, les salariés de Chaffoteaux en Bretagne bataillent contre la fermeture de leur usine. A poil et dans la bonne humeur.
Depuis que la crise a éclaté, les fermetures d’usines et les licenciements se succèdent… et se ressemblent un peu. Ils s’inscrivent souvent dans des stratégies de long terme, pour lesquelles la crise constitue un effet d’aubaine. Petit manuel illustré par un cas : celui des Chaffoteaux et Maury, fabricant historique de chauffe-eaux et de chaudières.
Leçon n°1 : endormir pour mieux virer…
La « stratégie de l’anesthésiant » est devenue un mode de gestion largement répandu pour mener « à bien » une fermeture d’usine. A Ploufragan, petite ville de la banlieue de Saint-Brieuc, dans les Côtes d’Armor, tout, dans ce que les employés de Chaffoteaux-et-Maury ont vécu, témoigne de son application parfaite. « Effectifs qui fondent, déficit d’information et discours managériaux rassurants, tels sont les trois ingrédients pour une fermeture programmée d’usine », explique Rachel Beaujolin-Bellet, professeure de gestion des ressources humaines à Reims Management School [1]
Annoncée le 18 juin 2009, lors du Comité central d’entreprise, cette fermeture d’usine n’est que l’ultime étape d’un processus qui court sur une vingtaine d’années. Fleuron industriel français, l’usine historique de Ploufragan a compté jusqu’à 2 300 salariés au début des années 1980 et en employait encore 850 avant la prise de contrôle de l’entreprise par les Italiens Ariston Thermo Group (ATG), en 2001. De suppressions de postes en départs volontaires, le dégraissage subi par l’entreprise a été tel qu’ils ne sont plus, aujourd’hui, qu’une poignée d’irréductibles sur les chaines de montage : 207, sur les 251 emplois que compte le site de production breton. 207 qui, bientôt, devraient être virés alors qu’auparavant, les réductions d’effectifs antérieures avaient été systématiquement présentées comme « nécessaires, pour le bien de l’entreprise et le maintien de l’emploi sur le long terme », se souviennent les salariés. Avec un objectif permanent : rationnaliser pour faire de Chaffoteaux une usine à haute-valeur ajoutée.
Leçon n°2 : être une marque reconnue, acquérir des compétences et délocaliser en toute discrétion
Là encore, Chaffoteaux sert d’exemple type. Il n’est qu’à voir les propos tenus par la direction lors de l’audience publique devant le Conseil des Prud’hommes, le 3 juin 2009 : « les ventes de chaudières à condensation Chaffoteaux et Maury, en France, sont passées de 1600 en 2005 à 8300 en 2008, soit une augmentation de près de 550%.(…) Sur le site de Ploufragan, la production de chaudières à condensation a fortement augmenté en passant de 14749 unités à 49451 unités, soit une augmentation de 335% ». Tout montre que l’usine fonctionnait bien. Mais en rachetant Chaffoteaux, c’est un savoir-faire internationalement reconnu qu’ATG s’est procuré. Bon pour la marque maison : Indesit, appartenant à la famille Merloni, filiale d’ATG. D’ailleurs, peu à peu, les objectifs de production étaient devenus plus importants pour l’Italie, et baissaient pour la France. Et aujourd’hui, pour les syndicats, la direction a réalisé un véritable transfert de la fabrication vers l’Italie.
Leçon n°3 : trouver le moment adéquat pour annoncer les licenciements
« Mouvement de délocalisation, de transfert de compétences, de désindustrialisation : pourquoi le coup de grâce tombe à ce moment-là ? », s’interroge la chercheuse. Et de répondre que, « d’une part, le contexte de crise fournit un argument, de l’autre, des raisons politiques se mêlent : les emplois sont rapatriés sur le sol national pour y assurer la paix sociale ».
Leçon n°4 : faire taire les contestataires
« La médiatisation peut atteindre l’image de l’entreprise », explique Rachel Beaujolin-Bellet. Là, il semble que la direction ait échoué. Car en multipliant les actions, les Chaffoteaux font parler d’eux et ont gagné une bonne partie de l’opinion publique à leur cause !
Depuis le 18 juin, les Chaffoteaux sont devenus de véritables irréductibles. Parce qu’ils sont les derniers ouvriers d’une usine qui fut un véritable fleuron de l’industrie en Bretagne. Parce qu’ils occupent l’usine que leur patron voudrait fermer. Parce qu’ils mènent un combat hors norme… et médiatisé.
Son point d’orgue ? Le calendrier, bien sûr ! Grosso modo, les « Dieux de l’usine », des hommes mis à nu, qui veulent montrer que sans leur travail, ils n’ont plus rien. Ce calendrier, c’est lui qui attire les foules de journalistes. Alors qu’ils sont en grève depuis le 18 juin, ils débarquent maintenant dans la banlieue briochine. Comme le reconnaît Chantal Jouan, secrétaire CGT au CCE, « le fait d’accrocher par un calendrier a fait venir les journalistes ».
Libé fait, à la mi-août, sa Une avec un retentissant « tous nus et tous virés », parodie d’Annie Cordy. France 3 national pose ses caméras pendant 48 heures, histoire de filmer l’occupation. Et il n’est pas un jour sans qu’un article ne sorte dans la presse régionale, nationale, voire internationale. Coup de com’ ? Coup d’éclat, plutôt ! Car alors que, face à la violence des licenciements, dans plusieurs usines, les employés ont réagi par des actions radicales, les Chaffoteaux, eux, ont mené d’entrer de jeu le combat sur un autre registre : celui de la sensibilisation de l’opinion publique, histoire de se la mettre dans la poche. En allant jusqu’à employer l’humour. Certes, Brigitte Coadic, la déléguée CGT du personnel, a admis dans l’émission Comme on nous parle, sur France Inter : « on a parlé des bonbonnes de gaz. On a vite fait comprendre aux gens que, pour l’instant, ce n’était pas le moment. On n’a pas exclu de monter d’un ton dans la violence ». Mais pour l’instant, la violence est restée d’un symbolisme bien moindre à celle de la décision qu’ils subissent.
Le rire est leur arme face au cynisme de la situation. Le directeur de leur usine l’a appris à ses dépens. Ils avaient pourtant un brin de confiance en lui car, comme les Chaffoteaux le disent, « il nous connaît tous, il connaît nos familles ». Mais lorsqu’il a proposé, en CCE, de faire venir la justice pour vider l’usine, il a retrouvé le lendemain matin son bureau… sur le trottoir devant l’usine.
Quant à leur force, elle est celle d’une médiatisation réussie : réunions publiques, campagne de sensibilisation avec des cartes postales qu’ils ont diffusées, lancé de ballons à destination de l’Italie, apparition sur le Championnat de France de cyclisme… tout est bon pour faire parler d’eux. A tel point que les élus, de tout bord, se sont rangés de leur côté. Même le député européen UMP les défend !
Dernière réalisation : l’écriture et l’enregistrement d’une chanson. Pour espérer que leurs lendemains chantent et les patrons d’ATG, le groupe qui les détient, déchante.
207 postes supprimés, la fermeture du site de Ploufragan dans les Côtes d’Armor : voilà le futur qui s’offre aux employés de Chaffoteaux. Et pourtant, la direction a dit…
• Par la voix de son avocat, lors d’une audience publique devant le Conseil des Prud’hommes, le 3 juin 2009 : « en France, la société [Chaffoteaux et Maury] qui vendait 1,57% de chaudière à condensation en 2005 contre 9,44% pour l’ensemble des fabricants, vend, en 2008 10,08% de chaudières à condensation contre 24,59% pour l’ensemble des fabricants ;
• Par la main du directeur général du groupe, Marco Milani, qui écrit dans le rapport développement durable 2008 : « diriger une entreprise n’est pas simplement une question d’augmentation des ventes et des profits. Cela veut dire aussi développer des produits d’une qualité sans cesse meilleure (…) ; cela veut dire réduire l’impact environnemental des processus de fabrication et enfin, mais ce n’est pas la moindre des questions, favoriser le développement de ceux qui travaillent avec nous »
• Par la voix de Chantal Beckensteiner, PDG de Chaffoteaux, dans un entretien accordé à Ouest France, paru le 10 juin : « je réaffirme ma volonté de maintenir une activité industrielle à Ploufragan. Depuis le départ, nous nous efforçons de travailler dans la transparence avec les organisations syndicales et les pouvoirs publics (…). On le fait pour assurer la pérennité de l’entreprise. (…) Nous voulons maintenir le savoir-faire et les compétences des 250 employés restants. »
Les promesses n’engagent que ceux qui les tiennent…
Pendant l’été, un doux parfum de grillades retentissait aux abords de la zone industrielle des Châtelets. Mais ceux qui étaient là n’avaient pas le cœur à l’évasion. Les ouvriers de Chaffoteaux ont gardé, pendant leurs vacances, leur usine et son « trésor de guerre », comme ils l’appellent. Aujourd’hui encore, ils y travaillent, mais ne laissent rien sortir. « L’usine est à nous », expliquent-t-ils. Chantal Jouan précise : « on travaille, on veut maintenir notre emploi et on veut aussi le montrer ». Alors, ils produisent, en maintenant le système des débrayages tournants.
Pourquoi sont-ils venus ?
Martine Rouxel (Note : cheveux rouges sur les photos) travaille depuis mars 1999 chez Chaffoteaux. « Nous voulons avoir quelque chose à la fin. Nous voulons montrer que notre usine est importante, que c’est notre gagne-pain ». Mais ses craintes aussi, elle veut les faire savoir. L’avenir de ses deux enfants, de 13 et 8 ans, qu’elle élève seule, l’inquiète. Mêmes inquiétudes pour sa collègue, Valérie Kaouane (Note : dame à lunettes). Elle travaille depuis 2000 dans cette usine et doit aussi élever deux enfants. « Que ferons-nous si nous ne retrouvons pas de travail ? Nous avons des prêts à rembourser ».
Et d’une seule voix, elles ajoutent ; « il est important de bloquer. Si on laisse l’usine libre, ils vont faire ce qu’ils veulent. Tout sera plus facile pour eux ».
Jea-Christophe Cola a 33 ans. Il est là avec Manon qui aura passé quelques-unes de ses journées de vacances… à l’usine de Papa. Lui aussi s’est mis en grève immédiatement le 18 juin. « Je viens pour retrouver les collègues, bloquer l’usine et surveiller le stock ». Il veut « faire face au chantage de la direction ». Et lui aussi tient à souligner : « l’occupation montre que les ouvriers tiennent à leur usine et à leur emploi ».
Sans doute cette unité est elle liée à plusieurs facteurs : la conscience qu’il sera très dur de retrouver un emploi dans une région qui a perdu 3600 emplois depuis le début de la crise, qui est atteinte dans l’évolution de son paysage économique et sa conversion aux « High tech’ » mais aussi à l’attachement à l’outil de travail. Et à l’unité syndicale et de l’ensemble des salariés. Le 18 juin, tous se sont mis en grève, spontanément, de l’ouvrier au cadre en passant par les employés des bureaux. Et tous ont participé aux multiples actions. « On avait envie de populariser notre lutte à l’extérieur, de s’adresser à la population pour dénoncer les patrons voyous », explique Martial Collet, délégué FO. Ils ont au moins gagné une première manche : celle de la sensibilisation de l’opinion.
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[1] Elle a notamment écrit : Flexibilités et performances. Stratégies d’entreprises, régulations, transformations du travail, Ed. La Découverte.
Bonne idée que tout cela, il y a souvent un manque d’humour dans les luttes ouvrières ici. Je viens de faire un petit article sur Chaffoteaux, sur mon blog : danactu-resistance
Résister y a plus que cela à faire en ce moment dan le breton