La sécurité rapporte gros, mais les conditions de travail sont déplorables.
À 50 kilomètres de Paris, c’est déjà le bout du monde. Des routes désertes longent l’Oise encore scintillante. Un croissant de lune, le froid, et la solitude. Enfin, un aboiement derrière une grille métallique. Une imposante lampe torche à la main, Michel [1], la soixantaine, fait le guet. Sur son dos, cette inscription : « Sécurité ». Michel travaille pour Samsic depuis une dizaine d’années. De 22 heures à 6 heures du matin, il garde un chantier abandonné. Cette nuit-là, Michel ne peut nous laisser entrer ; il craint de se faire licencier. Le lendemain, il n’est pas à son poste. Il a pris deux jours de congé, après une chute, à quelques mètres de son lieu de travail.
Le local où travaille d’habitude Michel est presque vide. Une chaise, un bureau, un téléviseur fatigué, deux radiateurs électriques qu’il a apportés de chez lui. Et, sur le rebord de la fenêtre, un PTI, ce gros téléphone obligatoire pour les travailleurs isolés, attaché à la ceinture des gardiens de sécurité. Pendant deux mois en 2010, celui de Michel était HS. Au fond de la pièce, il y a une petite cuisine. Un frigo rouillé, sale, un placard, des crottes de rat par paquets. Un jerricane est posé sur une étagère, « parce qu’il n’y a pas d’eau potable depuis plusieurs jours », nous dira un autre agent de Samsic sécurité.
Les toilettes ? Jusqu’à l’année dernière, c’était en pleine nature, un trou d’égout de la circonférence de deux femmes de taille moyenne et d’environ quatre mètres de profondeur, situé à cent mètres du local. Désormais, Michel peut aller dans celles, très abîmées, d’un des bâtiments du chantier. Là, il n’y a pas de lumière, des fils électriques ayant été coupés. La laine de verre de la toiture, arrachée, est étalée sur le sol humide. Il y a aussi plusieurs bombonnes de gaz abandonnées. Sont-elles encore pleines ?
Un brin dangereux, le chantier. Mais, malgré les alertes lancées par la CGT, qui a remis un premier rapport à la direction de Samsic en décembre 2009, celle-ci n’a pas bougé d’un pouce. Pas plus que l’inspection du travail. Pourtant, Samsic, présidée par Guy Roulleau, sponsor du Football Club de Rennes, est une entreprise florissante. Avec 54 000 employés en Europe, dont 3 400 pour la sécurité en France, Samsic gère la sûreté de sites aussi modestes que les aéroports Roissy- Charles-de-Gaulle et Orly, d’Air Iberia, d’Air Algérie, du siège social de Bouygues Telecom, de Dior, de Lagardère, de la Société générale… En 2010, ce marché a rapporté au groupe 130 millions d’euros.
Jusqu’en 2009, Samsic était aussi chargée de la sécurité de la tour Eiffel. Mais une grève de ses agents lui a fait perdre le marché, soit plus de 1 million d’euros.
Michel n’est pas une exception. Samsic non plus. « Toutes les grosses boîtes de sécurité fonctionnent comme ça, témoigne un agent d’une autre société, en poste depuis trente-cinq ans. Je suis dans ce métier depuis 1975 mais, si j’avais 30 ans aujourd’hui, je ne le referais pas. »
Michel est en CDI. Mais sur les 3 400 agents français de Samsic sécurité, les sous-traitants sont nombreux et travaillent parfois jusqu’à quatre-vingt-dix heures par semaine, en toute illégalité [2].
Inutile de préciser que ce marché n’est pas près de s’effondrer. Au contraire, le business de la sécurité privée, dont l’inefficacité a été démontrée dans une enquête de Linda Bendali (France 2, Envoyé spécial, « Police privée : la sécurité au rabais »), a littéralement explosé ces dernières années. En dix ans, il a presque doublé. Avec 4 500 boîtes en France, il pèse désormais plus de 10 milliards d’euros. Il faut dire qu’un agent de sécurité privée coûte de deux à trois fois moins cher qu’un fonctionnaire de sécurité. Si tout va bien, dans trois ans, les premiers seront plus nombreux que les seconds. Et, comme Michel, sans doute ravis d’aller bosser.
[1] Le prénom a été modifié.
[2] Selon la loi, les agents de sécurité ne peuvent pas travailler plus de 48 heures par semaine