Les vacances se terminent. Les estivants sont rares sur les quais des ports bretons, les promoteurs rodent.
Quadruppani nous a mis en garde contre l’utilisation de la vidéo surveillance par les policiers municipaux, Patrick Raynal quelques années plus tard, nous raconte l’exode naval. On reste sur les côtes.
L’exode rural est un phénomène connu. C’est le déplacement de population des zones rurales vers les zones urbaines. L’exode naval c’est la même chose, des zones côtières vers le RMI, l’industrie n’embauche plus depuis longtemps.
Les marxistes, dont Polanyi (1886-1964), ont voulu voir dans l’exode rural une cause, voire une volonté de la révolution industrielle. Il fallait chasser les pauvres des régions agricoles pour les envoyer servir de main-d’œuvre dans les industries naissantes qui n’étaient encore que des manufactures. En réduisant les espaces collectifs et communaux (qui ont le même sens), le législateur a chassé des villages les plus pauvres, les obligeant à se vendre aux nouveaux capitalistes. Ce fut le temps des lois sur les enclosures.
En France, le processus a été très progressif. Il aurait commencé en 1860. En 1936, plus de la moitié de la population française vivait encore loin des villes. L’exode continuerait donc dans l’immédiate après-guerre. D’après l’Insee, il se serait totalement essoufflé au milieu des années 1970. Les dernières régions à avoir résisté succombent. La Vendée, l’Anjou et surtout la Bretagne sont les dernières à se vider. Dans l’ouest, l’Église et l’agriculture vivrière ont permis jusque-là de résister à l’appel des 40 heures de travail hebdomadaire et au SMIC.
Sur le littoral, la pêche côtière a jusque dans les années 1970 permis aux habitants de trouver un emploi rémunérateur. Sa flottille de pêche avait compté plus de cent bateaux, des sardiniers pour la plupart. Kerletu possédait même sa propre usine de conserves. « Plus de vingt-deux bistrots pour neuf cents habitants et tous faisaient leur beurre », se souvient Jean-Marie. La pêche industrielle et l’épuisement des réserves halieutiques vont progressivement avoir raison de cette activité artisanale. Les ports de Bretagne se vident de leur population active pour laisser la place aux estivants. A la fin du siècle, l’exode naval est terminé.
En 1995, lorsque Arrêtez le carrelage est publié aux Editions Baleine, il ne reste plus qu’un seul bateau. Il saute sur une mine allemande au début de ce quatrième Poulpe. La transformation rapide des côtes bretonnes est déjà bien entamée.
On est encore loin de la transformation du littoral des côtes d’Espagne. Mais là aussi qui peut tenir tête à un promoteur ? A Paris, dans le XIe arrondissement, ils mettent le feu aux logements, ils molestent les vieilles personnes. Les techniques sont-elles différentes en Bretagne ? Les faibles rendements de la pêche, les petites retraites peuvent-ils résister aux fortunes que l’on peut se faire en transformant un petit port de pêche en une marina adaptée au tourisme de masse ?
Patrick Raynal connaît le littoral. Le niçois d’abord, où il obtient, en 1969, une maîtrise de lettres modernes. Le breton ensuite, où il aime aujourd’hui se ressourcer. Comme nombre de ses pairs, il milite dans les mouvements d’extrême gauche. Il exerce ensuite le métier d’assureur et devient critique de polars, d’abord pour Nice Matin, puis pour Le Monde jusqu’en 1994. Antoine Gallimard lui confie alors la direction de la fameuse collection Série Noire qu’il dirigera jusqu’en 2004.
En parallèle de son métier d’éditeur, il écrit des romans noirs. Avec son ami JB Pouy, il crée le personnage du Poulpe, héros anarchiste. « Il croyait ne croire en rien mais il trouvait sans cesse des motifs pour alimenter une colère viscérale qui, convenablement orientée, lui fournissait toujours de nouvelles raisons d’espérer ».
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