A Corbeil-Essonnes, 74 contrats d’accompagnement à l’emploi ont été signés en six mois. Ces jeunes recrues travaillent désormais à la mairie. Ce qui provoque un conflit entre les employés municipaux.
Corbeil-Essonnes frôle l’implosion. Entre les agents municipaux traditionnels, titulaires, et les jeunes (moins de 25 ans) employés en Contrat d’Accompagnement à l’Emploi (CAE), s’est engagé un conflit sévère. Qui s’apparente à une guerre de clans, avec les anciens d’un côté, les jeunes de l’autre.
Pour les agents municipaux “traditionnels”, depuis février et l’embauche de 74 jeunes en CAE, travailler est devenu un véritable enfer. Incendie de vestiaires dans les locaux du centre technique municipal en mai 2010, balayeuses rodéo à gogo, quads garés sur le lieu de travail, conduite de gros véhicules sans permis, jeux infantiles avec les tuyaux d’arrosages des voiries…
Pis, le 30 juillet, la salle des vestiaires du centre technique municipal a été détériorée. Méchamment. Sur les murs, des menaces de mort ont été rédigés, à côté desquelles figuraient trois noms d’agents municipaux. Sur les mêmes murs, étaient aussi dessinés une femme nue et homme pendu sous la menace d’une arme de poing. Macabre ! « Ces menaces doivent être prises au sérieux, ces gars-là ne rigolent pas », témoigne un agent municipal.
« Le travail de week-end de la propreté urbaine est devenu une mafia CAE », scande un autre agent, furibard. « Il est arrivé que des agents communaux titulaires et habituels se fassent caillasser par des jeunes qui disaient : “Dis à ton maire de nous embaucher” », poursuit-il. Les méthodes du vieux Serge Dassault auraient laissé des traces ? (Lire encadré)
Étrangement, la mairie a recruté, le 17 mai, un responsable des CAE qui sortait de prison. Leader – parmi d’autres – de Montconseil, un quartier populaire et « sensible » de Corbeil-Essonnes, il devait devenir, aussi, leader du groupe de travail. On retrouvait ainsi l’organisation de la cité dans le travail. Or, à peine était-il nommé que, l’ancien détenu était interdit de territoire à Corbeil. Le lendemain de la peine infligée par le tribunal correctionnel d’Evry, il n’est donc pas venu travailler. Alors, pour que leur ami revienne ou par solidarité, les CAE ont fait grève une journée.
Résultat, deux agents sont en arrêt maladie pour dépression nerveuse. Et ni l’un ni l’autre n’envisagent de revenir prendre du service. Plus sinistre encore, un agent municipal s’est suicidé au mois de juillet. Et, si aucune preuve tangible n’établit le lien de cause à effet entre ce suicide et les pressions des jeunes embauchés en CAE, selon les proches du défunt, c’est la principale raison.
Pour Bruno Piriou, élu de l’opposition (PC), « le gouvernement multiplie les discours contre ceux qu’il appelle les voyous des cités. Mais c’est parmi les membres de son propre camp, l’UMP, qu’il y a des voyous. A Corbeil, les voyous sont à la mairie. Ces méthodes de recrutement – embaucher des chefs de quartier – s’apparentent à du clientélisme ! », explique-t-il. « Le problème n’est pas que des jeunes travaillent à la mairie, au contraire. Mais que certains d’entre eux, une minorité d’ailleurs, terrorisent tout le monde ! », complète une employée municipale.
Avec un taux de chômage de plus de 40 %, « embaucher des jeunes en difficulté afin de tenter de les réinsérer, est-ce mal ? » interroge Azdine Ouis, adjoint à la mairie de Corbeil.
A l’instar d’Azdine Ouis, les jeunes employés en CAE ont une autre vision des choses.
Montconseil, dimanche 29 août 2010.
Quelques barres d’immeubles, une moto, des scooters, un petit parc, des enfants qui jouent. Nous sommes dans le quartier de Montconseil, à Corbeil-Essonnes. Sur une rambarde, le long du parc, une dizaine d’hommes discutent allègrement.
Il y a N’Gaibona Redanga, l’élu municipal chargé des sports ; et des CAE : "El Kubano" et huit autres, qui préfèrent taire leurs noms.
Entre deux tours de moto, El Kubano s’empresse de témoigner : "Je fais des études, pour moi le CAE est bénéfique, je suis content de travailler".
Un autre CAE tient, aussi, dire à quel point son travail est émancipateur : "Je suis au service nettoyage, je conduis des balayeuses. Ca se passe bien. On commence le travail à 8h, jusqu’à 17h, avec au milieu une pause déjeuner. En ce moment, comme c’est le ramadan, nos horaires sont adaptés. On prend les machines à 7h, jusqu’à 13h. Comme les autres CAE, je touche le smic, un peu plus quand je travaille le dimanche."
"Le soucis dans notre service, poursuit-il, c’est que la mairie n’a pas prévenu les anciens de notre arrivée. Un matin, ils ont vu débarquer douze mecs comme nous, ça leur a fait drôle !"
"Il y a des gens qui foutent le bordel, mais c’est une minorité, on les connaît, ce sont quatre-cinq personnes, que nous allons sanctionner", explique N’Gaibona Redanga.
L’élu poursuit : "Parfois, au gymnase de sport, les petits viennent à 60, on a besoin des CAE pour les encadrer". Azdine Ouis acquiesce. Et ajoute : "La plupart prennent plaisir à travailler, leur vie trouve un sens, et au moins ils ne traînent pas dans les rues !"
Avant de nous quitter, un jeune en CAE dit ces mots, à demi ironiques : "Les CAE ? C’est une belle carotte, c’est de la merde, les contrats sont précaires, on peut nous virer à n’importe quel moment ! La mairie nous a recrutés pour avoir la paix sociale !"
Une certitude, entre les agents municipaux titulaires et les « quatre-cinq CAE qui foutent le bordel », la paix n’est pas à l’ordre du jour. Surtout si Jean-Pierre Bechter, le maire, s’amuse au dangereux jeu du diviser pour mieux régner.
Au cours des échanges avec les jeunes en CAE, un homme grand et bien taillé, s’est avancé. Et a raconté son histoire, que voici.
Il est accusé d’extorsion de fonds. Son domicile a été perquisitionné. Or selon le Canard Enchaîné, en fouillant le domicile, les poulets de la brigade financière ont trouvé trois talons de chèques, signés… Jacques Lebigre ! Un adjoint au maire qui fut longtemps l’homme lige de Serge Dassault. Montant total des versements : 8500 euros.
Le jeune homme explique : "Le Canard Enchaîné accuse Lebigre de m’avoir donné 8500 euros, et sous-entend qu’il a fait ça pour obtenir la paix sociale. J’aurai bien aimé, moi, qu’il me donne 8500 euros ! Lebigre m’a fait un chèque pour ma formation, il a bien le droit".
Un chèque en son nom propre pour une formation professionnelle ? Quelle drôle d’idée.
Lire ou relire sur Bakchich.info :
Un sénateur UMP de l’Essonne, qui vend des avions et de la presse, et dont le nom est Serge Dassault. Un homme connu, par conséquent, jusques au royaume de Belgique, pour sa vive brillance (qui fait comme un fanal dans la nuit des idées).
Vient (…)